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05 mars 2015

Speaches: février 2015

Illustration: Maulde Cuérel

Ce deuxième Speaches de l'année 2015 se faufile a travers les nuées givrantes et autres grisailles pour aménager un coin de lumière sous forme de critiques aussi incitatives et joyeuses qu'impitoyables. Retour sur le Morgins Festival, conseil d'écoute et de lecture (Future Brown y côtoie Maigret), descente en règle du dernier Wachowski, et en prime, un éclairage enthousiaste du récent spin-off de Breaking Bad. De quoi s'éclairer la tête et se réchauffer les oreilles dans les chaumières...


LA CREME DU MOIS

Colin Pahlisch: SAGA : l’improvisation théâtrale comme joie.
Il y a des soirs où on se dit, et on en a tous connus des comme ça : bon je vais y aller, c’est des potes qui jouent, ça peut être bien. Il y aurait eu toutes les chances que ça soit mon cas, il y a quelques jours, en me rendant à SAGA, le nouveau projet de la compagnie rivieranne d’improvisation « Georges Poutre »... et bien non. Pour de la crème, s’en était. L’équipe a su faire de l’improvisation longue un art, une pirouette, une fresque, un feu d’artifice façon western. Une joie, voilà ce que c’était, plutôt qu’une crème. La joie du mois. Longue vie à Georges Poutre. Prochain rendez-vous, à ne pas manquer, en avril. Allez, on balance même le site ici.

Raphaël Rodriguez: John T Gast, EXCERPTS
TT a souvent parlé de (feu) Hype Williams et des projets respectifs de Dean Blunt et Inga Copeland depuis leur séparation. L'occasion de rappeler l'excellent live de Dean Blunt à Antigel il y a quelques semaines. Ce mois, c'est le premier album de l'un de leurs collaborateurs les plus fidèles, John T Gast qui sort sur Planet Mu (si si, c'est vrai). Un choix plutôt étrange pour un label qui a malgré tout retrouvé un peu de vitalité, avec notamment un excellent album de Hieroglyhic Being l'année passée. EXCERPTS est un concurrent sérieux au titre de meilleur album de l'année. Un truc complètement décadent, informe et dissonant, ultra touchant. L'incarnation parfaite de ce que devrait être la musique aujourd'hui: décomplexée, affranchie des contraintes de format (après tout, ça s'appelle "extraits"), référencée comme une mise en abîme des musiques contemporaines. Tellement de grâce qu'on se délecte du grand écart entre r'n'b orchestral ("Ceremony"), à la frontière du générique type x-files, la house brouillardeuse de "Congress" et le slow nauséeux ("White Noise/Dys").Quelque part entre les dimanches glauques de l'Angleterre rurale et l'asphalte brûlant, un trip pété entre excitation et désillusion.

Julien Gremaud: 1984-1999. La Décennie
L'exposition de Metz se mérite avec un prix de TGV prohibitif depuis Paris et un centre Pompidou bis (à Metz donc) pas franchement accueillant. Sous son drôle d'intitulé, cette rétrospective qui en rejette la mission revient sur les années 1990 sans pour autant en faire le tour, et c'est tant mieux. Au menu, deux ailes d'un étage, version nuit électrique et version nature, dédiés à une génération d'artistes devenus incontournables, qui de Sturtevant (à qui l'exposition est dédiée), qui de Parreno ou de General Idea, le savoureux audioguide stylo techno-gadget distillant, au choix, une bande son (peu surprenante et fort mal transmise) ou – mieux – des propos d'observateurs (critiques, éditeurs, théoriciens) avisés, de Lionel Bovier à Michel Houellebecq (à écoute ici). Pas du tout fourre-tout, bien scénographiée par Dominique Gonzalez-Foerster (ces cimaises!), une décagraphie suffisamment généreuse et singulière pour (re)faire l'histoire (par ses propres acteurs, ce qui a généré de nombreuses critiques ceci dit).

Maxime Morisod: Coming Soon à Morgins
Ils ont pas tant changé, sauf qu’il n’y a plus de filles. Leo Bear Creek a mué et est bientôt aussi grand que Howard, le chanteur. Les autres ont gardé la même gueule et sont devenus meilleurs sur scène. Aucune ancienne chanson, mais la bonne surprise de voir que malgré sa production, leur dernier album Tiger Meets Lion sonne parfaitement sur scène. Bravo les mecs, c’était intense, magnifique et très humain.

Pierre Raboud: Future Brown, FUTURE BROWN
Très attendu et accompagné d’une polémique sur laquelle je reviendrai prochainement, le premier album de FUTURE BROWN réunit un collectif composé d’individualités toutes aussi talentueuses : Fatima Al Qadiri, le duo NGUNZUNGUZU et J-Cush. Le projet représente un rêve de collaborations entre ces 4 producteurs très inventifs et des interprètes issus directement des scènes hip hop et r’n’b’: Tink, Kelela, Ian Isiah, … FUTURE BROWN constitue ainsi une mixtape de producteurs, où les voix changent à chaque track. A l’instar de l’album de leur comparse Kelela qui avait réalisé un fantasme sonore en collaborant notamment avec Jam City, la réalité s’avère parfois plus plate que le rêve qu’on s’en faisait. Ainsi FUTURE BROWN n’émerveille pas autant qu’attendu et possède quelques passages moyens. Néanmoins, cette volonté de faire se partager productions pointues et chanteurs s’avère passionnante et produit bel et bien des moments d’idylle sonore comme sur "Talkin Bandz", "Wanna Party", ou "Vernaculo"



LE PETIT LAIT DU MOIS

Colin Pahlisch: Foxcatcher (le film qui manque le coche)
Au registre des déceptions, on nommera le dernier Bennett Miller. Foxcatcher est censé (on dit bien) raconter l’histoire « tragique » d’une relation entre un milliardaire et deux champions de lutte. Alors oui, le jeu de Mark Ruffalo est bon. Et oui, on perçoit (on devine) les tenants de la relation tendue entre le personnage joué par Steve Carrel et sa mère... mais ça s’épuise, et vite, et tourne en rond, et s’enlise, comme l’univers boueux dans lequel gauge le long-métrage. La pléthore de récompenses et les nominations aux oscars restent difficilement compréhensibles. Autant de raisons de préférer American Sniper.

Raphaël Rodriguez: La programmation d'Electron
S'il est difficile de prétendre à la surprise à l'annonce de la programmation d'Electron à  Genève, il reste un peu d'idéalisme déçu. Electron nous avait habitué à des programmations de moyennes franchement médiocres ces dernières années. Mais une certaine évolution de l'attente des publics et l'exemple d'autres festivals comme Antigel ont contribué à un paysage sonore qui laissait espérer des choix plus radicaux. En réalité, ça sent la pression financière à plein nez. Osant l'horrible sans frémir, d'Adam Port à une soirée pour les dix ans de Boys Noize (putain on est en 2007? J'ai compris les cycles de récupération mais faut pas déconner là) en passant par The Hacker, Electron réussit un pari exceptionnel: m'avoir fait douter d'avoir regardé le programme de la mauvaise année. Les visuels en mode teletext n'ont pas aidé, hein. Heureusement, la présence d'Evian Christ, Objekt et eventuellement Blawan ou Etienne Jaumet nous rappelle que non, on est bien en 2015. Bref, tout ça nous rend pas une faveur si on espère rejoindre la cartographie implicite des zones musicalement crédibles.

Julien Gremaud: Le (re)nouveau Technikart
Après un très trompeur ”numéro collector de très grandes interviews” à la fin de l'année et quelques explications, sans oublier le départ de son rédacteur en chef et co-fondateur, on n'espérait plus grand chose du magazine Technikart. Sur le fil, à l'arrache, parfois mal relu et avec une maquettte déjà limite, le magazine que l'on connaissait compensait ces imperfections par des approches aussi originales que pertinentes, proche d'un gonzo nouveau genre, toujours aussi fauché mais plus réaliste (ou lucide). Le nouveau Technikart? Vous savez, les périodiques ont tous des bonnes et des mauvaises périodes. Des rendez-vous abandonnés ou taillés à la hache (le Selector, revue culturelle mensuelle), un graphisme juste pas possible, des articles d'un chiant, bref, une pâle copie. Ca sent vraiment la fin, si ce n'est la coquille vide. Heureusement qu'on a l'excellente surprise Audimat pour nous occuper.

Maxime Morisod: Go Out de Blur
Dans le petit lait du mois nous retrouvons aujourd’hui Go Out de Blur. Nouvelle compo du groupe sorti sur le net juste après avoir annoncé la sortie de leur nouvel album prévu pour cet été. Un clip pénible et une chanson qui l’est tout autant. Quelqu’un a laissé l’aspirateur allumé ?

Pierre Raboud: Jupiter Ascending 
Ayant apprécié Cloud Atlas et surtout Speed Racer, j’avais décidé d’ignorer les avertissements du trailer. Mais ce dernier film des frère et sœur Wachowski se révèle un de leurs plus faibles productions. Malgré quelques bonnes idées (l’humanité comme capital pour offrir du temps à l’aristocratie interstellaire), le film surjoue le parcours initiatique, s’ouvrant et se fermant sur l’image de Mila Kunis avec une brosse à chiotte dans les mains. Une ou deux jolies scènes d’abeilles et de vaisseaux ne sauveront pas un film aux dialogues faibles et au kitsch non maitrisé.


LE PAIN SURPRISE DU MOIS

Colin Pahlisch: Mon premier Maigret...
Il y a des sommets à l’assaut desquels on se risque tard. Simenon, c’en était un. En découvrant mon premier Maigret, je me suis dit que je partais perdant, que ça ne pouvais pas valoir tant d’encensements. Et si. En deux traits de plume (ou de pinceau), Simenon, qui écrivait ses romans en trois jours comme on croque une saynète, nous initie aux aléas d’une petite bourgade où les relations ne sont qu’envies, complots et vacheries entre les villageois. L'opus s’appelle Maigret à l’école, et pour le coup, le chroniqueur y est, dans une certains mesure, retourné. Merci.

Raphaël Rodriguez: la programmation du Kilbi
En bon contre-exemple à Electron, le Kilbi a souvent fait office de messie des festivals suisses. Avec un léger bémol en termes de programmation électronique, en général bonne mais sous-représentée. Cette année c'est chose faite avec quelques-uns des artistes les plus excitants de la scène: Lorenzo Senni (que TT avait invité à jouer son projet Stargate à Genève il y a quelques temps) et sa Pointillistic Trance, Vessel et ses déconstructions industrielles ou encore Lee Gamble. Et puis comme toujours, d'excellentes choses au rendez-vous avec entre autres Sleaford Mods et Hailu Mergia. On n'avait pas besoin de Kindness ni de Mac Demarco, mais programmer un festival, c'est pas facile.

Julien Gremaud: Le retour de Sufjan Stevens
« Je pense que tous les musiciens sont, d’une certaine manière, des prophètes. Il y a clairement de bons et de mauvais prophètes, mais tous partagent une vision prophétique, tirée d’un matériel prophétique ». On a connu Sufjan Stevens alors qu'il débutait une entreprise depuis mise en veille, celle de réaliser tout simplement un album par état de son Amérique du Nord. Après une première étape convaincante du côté du Michigan (2003), il signe ce qui pour moi reste son chef-d'œuvre en 2005 (”Illinois”). Depuis, des albums complexes, entre le gargantuesque hommage à l'Outsider artist Royal Robertson (2010) – nous en parlions longuement à l'époque ici –, une exploration  cinématographique et sonore du Brooklyn-Queens Expressway ou encore un album de chants de Noël, des égarements pour certains, une folie des grandeurs digne d'un prophète pour d'autres. Cinq ans après ”The Age of Adz”. ”Carrie & Lowell” (sortie fin mars) annonce un Stevens au plus près de l'acoustique, réalisé dans son studio de Brooklyn. Le magnifique ”No Shade in the Shadow of the Cross” fait office d'amuse-gueule des plus intéressants.

Maxime Morisod: Better Call Saul
La nouvelle série des créateurs de Breaking Bad a tapé fort avec un premier épisode qui a fait un record historique d’audience aux Etats-Unis (plus de 6 millions de téléspectateurs). Better Call Saul est ce qu’on appelle un spin-off de Breaking Bad, où l’on suit les péripéties d’un des personnages de la série phare. Pour les fans de BB, il faut y aller les yeux fermés. Pour les autres, on part à Albuquerque au Nouveau-Mexique pour découvrir la vie à problèmes de l’avocat Jimmy McGill avant qu’il tombe dans l’inégalité et qu’il rencontre un certain Heisenberg.

Pierre Raboud: C’est l’hiver Morgins Festival
Porté à bout de bras par une bande de potes, l’édition du festival de cette année n’a peut-être fait le plein mais s’est révélée une des plus réussies tant au niveau de la programmation que de l’ambiance générale. En plus du rock parfaitement exécuté par Green Fairy et de Duck Duck Grey Duck, le concert de Coming Soon fut superbe, réussissant, grâce à leur générosité et aux excellents titres de leur dernier album, à faire bouger une salle de Gym encore engourdie. Ce festival a aussi été l’occasion de manger une saucisse et des röstis en compagnie du batteur de Franz Ferdinand, venu pour clore la soirée sur un DJ set. Une expérience rétrospectivement quand même assez folle. Merci les copains-pines.