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28 février 2015

Du mur au plafond, derrière les cimaises ou contre les vitres

Photo: Pierre Vadi, Centre Culturel Suisse, 2014-2015 © Julien Gremaud



Des barres d'aluminium, de l'odeur de souffre, du plexiglas, des murs déviés, coupés ou allongés, des plafonds solidarisés au sol, et une arrière-cour utilisée comme white cube: quatre détours pour autant de façons de voir une exposition sous un air revitalisant cet hiver, entre Zurich, Paris, Genève et Vevey. Pierre Vadi, Raphael Hefti, Isabelle Cornaro et le trio Gilles Fürtwangler, Vianney Fivel et Camille Besson. Autant de propositions réactivant le passé prestigieux ou industriel de ces espaces.

Riviera – Camille Besson, Vianney Fivel et Gilles Furtwängler
Café les Mouettes, Vevey
21 décembre 2014 – 24 janvier 2015

Baignant sous une lumière dorée, entre deux imposantes écritures / poèmes / rébus agencés et décomposés par Gilles Fürtwangler, d'étranges formes, entre des voiles et des toboggans plats, semblent comme jouer d'équilibrisme avec des béquilles d'aluminium. Une étrange danse fantômatique entre angles droits et arrondis restructure l'espace des Mouettes, situé sur les quais de Vevey, vidé de toutes cimaises pour l'occasion. ”Riviera”, comme un intermède désincarné, brut et définitif, dans la programmation artistique de ce lieu, réactivant une certaine idée d'abandon de cet ancien restaurant prestigieux. Dans son travail de recherche autour des agencements d’espaces, Camille Besson (1990) collabore ici avec Vianney Fivel (1984) dans cette réunion sol-plafond des plus fascinantes. On n'a toutefois pas encore tout vu: sélectionné pour Plattform 15 (vernissage ce 11 mars 2015) le duo Besson-Fivel devrait  en effet reproduire la même démarche, en plus conséquent, dans l'énorme ewz-Unterwerk Selnau à Zurich. Sébastien Peter annonce la couleur: « deux sculptures pariétales, réalisées principalement à la colle à bois, enveloppent avec souplesse l’architecture monumentale de l’espace d’exposition. À la dérive, aux marges de la vision, cette œuvre s’affiche comme atmosphérique et flottante ». On y est déjà.








Photos: Camille Besson, Vianney Fivel et Gilles Furtwängler, Café les Mouettes, Vevey © Julien Gremaud

Or Or Or? – Raphael Hefti
Centre d'art contemporain, Genève
29 janvier – 26 avril 2015

Presques synchros, les expositions au Café des Mouettes à Vevey et au Centre d'art contemporain de Genève mett(ai)ent donc à l'oeuvre deux séries de travaux portés non seulement sur la matière, celle pas franchement de luxe, mais aussi sur l'occupation stratégique d'un espace historique. Aux armatures brillantes de Camille Besson et Vianney Fivel, Raphael Hefti semble presque leur répondre, lui qui laissait le premier étage de l'institution dans une odeur d'atelier métallurgique fraîchement délaissé le soir du vernissage en janvier passé. Pliées, croisées, en série, ses barres opèrent de somptueuses diagonales dans un espace aux grandes similitudes avec son petit frère veveysan, tous deux comme promis aux interventions in situ (pas d'ancien restaurant ici, mais feu les ateliers de la Société d'Instruments de Physique). Des barres de couleur, ayant subi différents traitements, accolés dans des réunions esthétiques de perches se refusant à toute idée de classification. Des couleurs qui rendraient jaloux n'importe quel sérigraphe, des emboîtements de motifs aléatoires et aussi énigmatiques que les structures de Besson et Fivel. A l'opposé de cette barre solitaire dorée, des plaques d'aluminium recouvertes de plaque de fer qui semblent revenir… de l'enfer après leur traitement au brûleur à gaz. On sent encore le souffle de l'intensité dans une atmosphère sidérante de cimetière industriel. Un entre-deux majeur.



 

Photos: Raphael Hefti, Centre d'art contemporain, Genève © Annik Wetter

Isabelle Cornaro
Francesca Pia, Zurich
22 novembre 2014 – 31 janvier 2015

De l'autre côté de la Suisse, derrière les cimaises de la galerie Francesca Pia se cachait la surprise du chef. Ou plutôt, de la cheffe, en la personne de la subtile plasticienne française Isabelle Cornaro, auteur d'un travail de sculptures aux fins détails et de films sur le fil, qui inaugurait deux espaces de la galerie Francesca Pia jusqu'alors fermés au public. Sise comme nombre de ses consoeurs zurichoises dans l'ancien lieu de fermentation de la bière Löwenbräu, la Löwenbräu Areal – construite à la fin du XIXe – la galerie cachait jusqu'alors une arrière-cour d'une beauté stupéfiante, sur laquelle est intervenu Cornaro. Alors que le rez présente de nombreuses installations vidéos personnelles tournées en 16mm faisant face à une sélection de films issue d'un programme de projections qui s'était tenu au Centre Pompidou de Paris (en novembre dernier), Isabelle Cornaro nous prend au tripes une fois passé cette porte laissée ouverte au fond de l'espace. Des vidéos colorées, on passe à ces sculptures obscures ressemblants à des tableaux archéologiques après chaos. Du white cube à l'espace clinique industriel, comme un drôle dialogue entre l'histoire du lieu, des configurations réarticulées entre deux séries de travaux fondamentaux de la plasticienne. Sans aucun doute l'une des expositions les plus surprenantes jamais vues dans ce complexe de l'art. 





Photo: Isabelle Cornaro, Francesca Pia, Zurich  © Annik Wetter





Plus d'une langue – Pierre Vadi
Centre culturel suisse, Paris
16 janvier – 29 mars 2015

Quelques semaines après ce triptyque qui nous a inspiré cette thématique de circonstance, c'est à Paris que nous trouvons une splendide occasion de parapher cet article, comme synthétisant l'ensemble des intentions décrites ci-dessus, en y apposant des strates supplémentaires. On s'accroche donc: dans la foulée d'un retour au bercail, peu après notre crochet par Metz et son exposition ”1984-1999. La Décennie” (nous en reparlons prochainement), on ne pouvait en effet pas rater l'exposition de Pierre Vadi (1966) dans un Centre culturel suisse comme transfiguré par la venue de cet artiste genevois et ses espaces fictionnels. On ne sait plus vraiment ce qui ressort de l'architecture ou du remaniement dans ce lieux devenu pierre angulaire de l'art contemporain et transdisciplinaire à Paris. De l'émotion à la désorientation, il n'y a qu'une vitre parfois. Le jaune fluo qui te reste dans la rétine, des mauvaises herbes encastrées dans les cimaises – ou est-ce l'inverse? – des recoins aux…coins élimés, on ne sait plus trop ce qui est dedans et dehors. La cour, si typique du Marais, elle aussi, est une exposition (elle côtoie d'ailleurs agrandissement d'une pièce du ”Pastel et nu” de Nicolas Party). Enfin, il y a cette casquette qui nous nargue, accrochée au mur, sur laquelle est inscrite, peut-être, cette réponse à notre trouble: ”Traduire, dit-elle”. Une belle façon de résumer ces multiples déplacements et « écarts » artistiques.  On recommande une lecture plus approfondie sur cette exposition de Pierre Vadi, à retrouver dans son excellente interview publiée par le Phare, le journal du CCS. 





Photos: Pierre Vadi, Centre culturel suisse, Paris © Julien Gremaud