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30 décembre 2014

GOOD TIMES 2014

Illustration: Bruno Aeberli

Plutôt que des top 10 thématiques, Think Tank revient sur les meilleurs moments culturels de 2014. Les 5 rédacteurs désignent leurs coups de cœur de cette année. A l'image de notre projet en général, ces good times, par leur diversité non calculée, souhaitent multiplier les points de vue, croiser les disciplines, être attentifs autant aux phénomènes émergents qu'aux tendances plus massives ou au retour de classiques. On remet ça pour 2015 avec toujours la même envie d'être surpris et de prendre la pop au sérieux.




Pierre Raboud, rubrique musicale de Think Tank

10 – Palmistry 
Tout au long de l’année, Palmistry aura multiplié les projets tout en gardant une constance sans faille : une mixtape fin 2013 influant de nombreuses productions en 2014, mêlant moments tendres et dancehall sexuel ; deux EP très réussis tout en douceur, plaçant Palmistry parmi les compositeurs mélodiques actuels les plus doués. Tous ces titres furent de plus retravaillés constamment dans une quête de pureté menée avec brio.

9 – La Coupe du Monde 
2014 restera pour certains avant tout comme une année Coupe du Monde. Si cette édition au Brésil n’a pas tenu toutes ses promesses, on retiendra des gestes suspendus dans le temps : la tête de Van Persie, le tacle déchireur d’anus de Mascherano, les larmes de James Rodriguez et l’humiliation collective du Brésil par l’Allemagne.

8 – True Detective 
La grande série de 2014. Malgré un finish un cran en dessous, 8 épisodes réussis sous tous les angles, que ce soit dans la distribution irréprochable, les décors de l’Amérique profonde ou encore le suspens d’une poursuite de meurtres mystiques sans oublier la réalisation formelle de certaines scènes à couper le souffle.

7 – Le vent se lève de Miyazaki 
Pour peut-être son dernier film, Miyazaki tente la sobriété et l’inscription dans la culture européenne du début du XXème siècle. Sous les mains du grand orfèvre, le classique redevient splendide : l’amour immortel confronté à la mort ; le dessin splendide ; et le récit biographique au plus profond de la condition humaine. Dans certains cas, il ne faut pas avoir peur des grands mots.

6 – Où êtes-vous tous ? 
Alors que les nuits suisses romandes ne faisaient plus parler d’elles que pour des normes de sécurité, le collectif Où êtes-vous tous est venu réintégrer du plaisir et de la surprise dans les fêtes locales. Des lieux supers, des concerts terribles (Marilou à Genève) et plein d’amour, ils méritaient bien d’organiser la meilleure façon de finir 2014.

5 – L’homme soleil de John Gardner 
Pas encore eu le temps de le finir mais il est déjà incrusté dans mon cerveau. Roman aux multiples directions et narrateurs dans une Amérique où il est question d’indiens délinquants, de shérif sur le retour, d’héritage bourgeois écrasant et de hippies incompréhensibles. Fleuve comme on dit.

4 – Audimat 
Alors que les réflexions sur la pop et la culture actuelle en français constituent une denrée rare, la revue Audimat représente un projet inestimable. Regroupant traductions inédites de penseurs internationaux, articles originaux, la revue offre des articles proches de la logique de Think Tank : fun du sujet et exigence dans la façon de l’aborder. Le numéro 2 sorti en 2014 a fait fort avec des articles comme "Le spleen de l’argent chez Drake", "Quelques idées reçues sur l’histoire de la house", ou encore "Petite histoire de la caisse claire dans la musique pop". A commander et lire absolument.

3 – PC Music et DIS 
Dans les réflexions sur notre ère post-digitale, deux collectifs ont creusé les pistes les plus inventives et passionnantes. Dans un registre pratique, le label PC Music aura rythmé 2014 avec des titres adorés ou détestés aux visuels pailletés de comptines adolescentes avec Hannah Diamond, Danny L Harle et A.G. Cook. Dans une volonté plus théorique, l’excellent site-magazine DIS aura maintenu la barre en 2014, devenant avec raison un peu plus accessible tout en restant défricheur et exigent. Au menu : des articles passionnant sur les jeux vidéo, les bases de données et autres. PC Music et DIS se sont même rejoint sur certains projets dont notamment un brillant mix.

2 – Films de père(s) et de fille : Dumb and Dumber To et Interstellar 
Cette année, deux films ont traité des rapports entre un père et une fille sous un angle totalement opposé. D’un côté, une fresque dans l’espace entre explorations théorico-metaphysico-scientifique et amour intemporel. De l’autre, le film le plus drôle depuis de très nombreuses années, avec des gags stupides comme on les aime et un brin de nostalgie bromancée. Jim Carrey transforme un hot dog, ou plutôt deux, en sketch de folie.

1 – DJ Mustard 
Il est loin le temps où le producteur de hip hop se faisait discret. Après 2013 et ses titres commençant par les "Mike Will Made It", rares sont les tubes de 2014 ne commençant pas par le mots "Mustard on the beat, hoe". DJ Mustard a surfé sur la vague RnBass pour produire les meilleurs singles de cette année. "My Main" de Mila J, "2 On" de Tinashe, "Paranoid" de Ty Dolla Sign ou encore "Who Do You Love" de YG, il est derrière toute cette liste impresionnante. La recette a beau être assez simple, une production aérée avec des claquements de mains et des sons de synthés nineties, mais ça marche, DJ Mustard parvenant à chaque fois à faire ressortir le punch des artistes qu’il produit.




Colin Pahlisch, correspondant littéraire de Think Tank

10 –  Imago à FORMA
On débute par une petite exposition, locale, mais de celles qui nous font voir les choses autrement, en grand ou en zébré, par le biais d’un filtre. Ce filtre, c’était la mue, et l’exposition en question, celle curatée par Myriam Ziehli, à la gallérie FORMA de Lausanne, intitulée « IMAGO ». Réunir des artistes autour d’une idée, la mue et ses images, c’en était l’ambition. Simple et souple, comme un étirement. Revigorant, comme un craquement d’os.

9 – Hedda, immortelle Hedda.
Côté théâtre, et côté scène. Une pièce, montée au Pullhof de Lausanne, Hedda Gabler. Difficile et ardu, le texte d’Ibsen avait de quoi rebuter, et pourtant ils sont parvenus à en faire une machine de guerre contre les idéaux bourgeois, et à rendre au théâtre sa vertu polémique première. Chapeau !

8 – Théâtre, côté écriture : Beau Wilimon
Beau Wilimon, c’est celui qui écrit les scenarii de House of Cards, mais c’est aussi un dramaturge américain, peu connu mais grandiose. Auteur de quatre pièces à ce jour, oscillant du réalisme magique à l’intrigue politique serrée, il mérite amplement une citation, et plus, un intérêt, de ce côté-ci de l’Atlantique. Commencer ? Par « Farragut North »

7 – Le concert de la petite Hiromi, pianiste asiatique de génie.
Une expérience à vivre, entendre la petite demoiselle en goguette qui s’excuse de son « mauvais français » avant de brasser avec brio les rythmes jazz et autres sonates bachiennes. Un mélange lumineux pour une salle conquise. Si le nom réapparaît, Hiromi, il faut y courir.

6 – Marcher au Tessin
Aux portes de l'Italie, une appréciation spéciale pour les marches et les parcours montagneux dans un Tessin ensoleillé, tout près d’ici donc et à l’occasion du festival de Locarno. C’était l’été, dans les jambes et dans la tête.

5 – Birmingham
Plus personnel, mais non moins intense, le colloque donné à Birmingham, ville british et brumeuse autour de l’œuvre de Nietzsche, en novembre. Il faut imaginer une réunion de potes de longue date (et de longue haleine) venus des quatre coins du monde pour parler du penseur qu’ils préfèrent. On y est venu en souris, en quêteur, en admirateur. On en est reparti grandi. Merci.

4 –  Le départ de Philip Seymour Hoffman.
Côté ciné, et série noire, on citera aussi le décès du grand Philippe Seymour Hofmann en début d’année. Immortel « Master », incroyable Truman (dans « Capote »). Le nom méritait d’être donné, en pensée, et en hommage.

3 – La grande étrangère de Foucault
Pas fini d’étonner, le grand chauve. L’EHESS sort en toute fin d’année un petit livre épais mais étonnant. L’opus s’appelle « La grande étrangère » et rassemble les conférences inédites données par Michel Foucault sur la littérature. S’y croisent : Sade, Barthes, Roussel et d’autres. Mais surtout, un rappel que l’écrit, c’est avant tout un sens, une envie, une fluidité... et le corollaire du lu bien sûr. Sacré Michel.

2 –  L’exposition « INSIDE » au Palais de Tokyo.
Visible encore jusqu’en janvier, l’exposition INSIDE mérite un petit détour par Paris, et de se trouver dans ce classement. L’idée ? demander aux artistes de produire des œuvres dans lesquelles le spectateur doit pouvoir se plonger, qu’il soit invité à habiter. Il y a des perles, on s’en doute. Coup de cœur ? une maison en bois où il pleut à verse, à l’intérieur. Rappel du titre, et prouesse technique, et pourquoi pas, une première résolution pour 2015.

1 – Découvrir Yves Ravey
La découverte d’un filon marque un tournant dans une année culturelle. Celui-ci est à suivre par tout amateur de roman policier : la lecture de l’œuvre d’Yves Ravey, jurassien d’origine, côté Français. Avec de petites ficelles et des intrigues familiales à deux sous, il compose, façon Simenon, des univers glauques qui suintent d’intrigues vachardes. À lire, de préférence, quand il neige dehors, et surtout « Enlèvement avec rançon ». De quoi commencer 2015 en douceur ce 1er janvier.





Raphaël Rodriguez, curating musical de Think Tank 

6 – Le (mega) coffret Muslimgauze
C'est vraiment trop cher (remarque, il y a dix disques) et court le risque d'être un objet dirigé uniquement vers les fans hardcore, mais le coffret "Chasing the Shadow of Bryn Jones" offre une occasion inespérée de se plonger dans la sublime discographie de Muslimgauze, un artiste électronique fascinant, mythique mais aussi violemment méconnu. L'un des premiers placer le Moyen-Orient au centre de sa création, il est à l'origine d'une pléthore de disques absolument fondateurs.

5 – Palmistry (bis)
Autre pas vers ma réconciliation avec la pop, Palmistry a, comme Pierre l'a mentionné, fait preuve d'une constance assez bluffante cette année. Alors que l'explosion de Future Brown (entre autres) surfe également sur la culture latino, Palmistry a, en toute discrétion, mis à disposition son album "Ascensión". Autant dire qu'il joue dans une ligue différente, tant la sensibilité r'n'b du producteur anglais sonne plus juste, toujours touchante de maladresse et douceur.

4 – Les soirées Curry Dreamz à l'espace autogéré
Diverses structures sont apparues cette année, offrant un petit bol d'air frais à nos sorties. Deux fois cette année, l'espace autogéré de Lausanne a été investi par Curry Dreamz, des soirées troublantes tant elles ont recréé cette sensation de véritable clubbing rare en Suisse romande. Que des locaux, mais une atmosphère toute particulière et sauvage à souhait.

3 – Dean Blunt
La séparation de Hype Williams = bad times 2013. Découvert un peu sur le tard pour mon compte, le duo de Dean Blunt et Inga Copeland fait partie de ces disques assez intemporels que je chéris. Ma relation amour-haine avec eux a pris son ampleur aux Urbaines 2012, où ils avaient (mal) joué une pièce de théâtre devant un public venu principalement pour la musique. Puis la séparation. Mais en vrai, ils sont beaucoup plus prolifiques séparés. Enfin, surtout Dean Blunt, qui a sorti cette année un album appelé "Black Metal", qui m'a réconcilié avec la pop, les crooners et les guitares. Puissant.

2 Zweikommasieben 
Depuis sa création en 2011, Zweikommasieben a comblé un vide important dans la presse écrite suisse. Un objet hétéroclite, au format changeant constamment, "dévoué à la documentation de la culture club contemporaine", désormais bilingue allemand-anglais, chez nous? Oui, et c'est la classe. La dixième édition, fraîchement parue et distribuée par Motto est peut-être la plus ambitieuse: interviews de Vessel, Powell (et plus...), une nouvelle écrite par Torn Hawk, etc. Jamais complètement nerdy, ZKS prend les libertés éditoriales nécessaires pour sortir du cadre musical et vient interroger les fonctions mêmes de la musique contemporaine, ses implications sociales et culturelles. C'est touffu et excitant.

1 – Curbit Festival
Si notre offre festivalière est plutôt faible  - du moins en termes de petits festivals, de musique électronique et de trucs pointus -, mon été a été marqué par le discret Curbit. Cette année, sis dans la campagne vaudoise et principalement focalisé sur la musique, Curbit a offert une programmation ultra classe avec les moyens du bord, invitant notamment M.E.S.H et Primitive Art dans un cadre forestier assez parfait. Conférences, performances, bouffe vegan, petits ponts en bois DIY, mini scène et gros soundsystem, soit l'équilibre parfait entre rave familiale et gathering spirituel.






Julien Gremaud, éditeur de Think Tank 

10 – La dernière de René Burri
L’esthète photoreporter suisse a non seulement fait aimer le genre à plus d’un, mais a fait preuve d’une exigence et d’une cohérence rare. Disparu en octobre de cette année, le natif de Zurich avait eu le temps de terminer sa dernière grande entreprise: léguer aux Musée de l’Elysée une archive monumentale sans pareille mesure dans notre pays. L’occasion sans doute pour l’institution lausannoise de prouver en 2015 qu’il y a une vie (et de la couleur) après le Che.

9 – Celles aussi de Philipp Seymour Hoffman et Robin Williams
Des adieux sur deux registres: celui d'abord en février de Philipp Seymour Hoffman qui restera célèbre pour ses rôles dans Truman Capote (pour la plupart), The Master et The Big Lebowski (pour les exigeants). PSH avait déjà acquis de son vivant un statut d'icône (et doit rester hagard devant l’appropriation de sa physionomie faite par l’artiste Cécile B. Evans, qui contredit vaguement le geste), Robin Williams bénéficie quant à lui d’une réévaluation, après sa disparition en août. Une aubaine pour l’industrie, l’opportunité malgré tout au tonitruant Good Morning, Vietnam de refaire légitimement surface.

8 – Le bis (post-mortem) de Vivian Maier
Ne me croyez pas abonné aux avis mortuaires. Vivian Maier s’est éteinte en 2009, avec comme certitude que son trésor photographique serait à tout jamais… caché. C’est bien l’une des parties de cache-cache les plus passionnantes pour un siècle qui ne manquait déjà pas de grands noms. La Nord-Américaine, nounou dans des familles à New-York puis à Chicago, développe dans sa salle de bain ses photos puis voyage et cesse de prendre soin de ses négatifs. Sa « vie dans des cartons », nomade, finit dans un garde-meuble qui ne sera plus payé. Une vente aux enchères fera un heureux acquéreur et l’une des histoires les plus incroyable qui soient, à voir dans le passionnant A la recherche de Vivian Maier sorti en juillet 2014.

7 – Le bis (de Think Tank) pour la revue Audimat 
La presse papier se meurt? Faites dans la qualité! Apparu presque en même temps que le magazine suisse allemand Zweikommasieben, la revue Audimat est éditée par les Siestes Electroniques, festival défricheur à la fois toulousain (12 éditions déjà) et parisien depuis 2011. Né en 2012, Audimat est géré en équipe réduite et fut successivement désigné par le duo suisse Maximage puis par Pierre Vani. Vendue au prix –accessible– de 10 euros, la publication regroupe des textes anglo-saxons traduits (et bien choisis) pour l’occasion mais aussi des contributions exclusives, pas franchement portées sur les sorties musicales du moment. Décélérer pour mieux traiter de la pop culture semble être le nouveau mot d’ordre des projets éditoriaux critiques et c’est tant mieux. A suivre aussi leur série de conversations vidéo

6 – La rétrospective Richard Tuttle à Londres
Influent Tuttle! Et pourtant presque inconnu alors que l’on retrouve de cet américain né en 1941 dans bon nombre de travaux de jeunes artistes. Heureusement, 2014 fut son année, avec une exposition au Bowdoin College Museum of Art de Brunswick (Maine) assortie d’une splendide publication aux éditions JRP|Ringier autour de son travail d’estampe. Plus près de chez nous, Tuttle bénéficiait d’une double exposition londonienne, répartie entre un installation textile XXL dans la « halle aux turbines » de la Tate Modern et, surtout, à la Whitechapel Gallery,  une « survey exhibition » de tous ses registres artistiques, audacieux, subtils et définitivement d’époque. 

5 – La confirmation Call Super
On s’en souvient comme si c’était hier: fruit d’une passionnante collaboration débutée en 2013 entre le magazine Zweikommasieben et Think Tank, la soirée Entourage 2 au Romandie de Lausanne mettait à l’honneur l’artiste Call Super pour un dj set impeccable, sous les lumières bleues et autres interventions de Nastassia Cougoulat-Montel et d’Arthur Fouray. En interview, réalisée à l’occasion pour le 9ème numéro du magazine basé à Lucerne, Joe Seaton s’était avéré aussi sincère qu’hautement pertinent. SUZI ECTO, son premier LP sorti en septembre, ne déçoit pas, même s’il met de côté les basses pour poursuivre des champs d’expérimentations étourdissants.

4 – Technikart seul contre tous
La presse papier se meurt? On croyait Technikart, magazine franchouillard (revendiqué) et (souvent) divertissant, insubmersible, même si fauché, sur le fil (voir leurs soirées corporates notamment). On avait même fini par ne jamais… s’abonner, conscient des problèmes de distribution tout en étant navré pour les fidèles et les nombreux pigistes impayés - pour ne garder que les bons côtés du canard. Un «numéro collector très grandes interviews» louche plus tard, en attendant la suite, des articles alarmistes citant le plus souvent des… abonnés vénères, le départ du fondateur et rédacteur en chef Raphaël Turcat, épuisé, on se dit que ça semble être un joli gâchis. Et puis réapparait en décembre un numéro entre-deux, avec le anti-héro Carrey en Une (c’est toujours mieux que Koudlam), avant la suite donc. Ca peut le faire, mais c’est pas gagné comme dirait Canal +.

3 – Tous pour The Interview
L’intrigue socio-politico-business 2.0 du moment. Randall Park, acteur moyen à la filmographie au top de la qualité, prend du bide et un undercut pour jouer ce qui restera comme le rôle de sa vie, Kim Jong-un. « Ce film va permettre aux gens de comprendre ce qui se passe là-bas parce que peu de gens le savent », affirme-t-il au LA Times sûr de son coup. Il ne pensait pas si bien dire en décembre: au même moment, Sony Pictures Entertainment, la société qui produit et distribue le film, se déclare avoir été piratée par la Corée du Nord, annule la sortie du film avant de se raviser et d’opter pour le presque tout-VOD. En plus d'un énorme coup de pub, de quoi faire un joli carton sur les ”ventes” online et prouver que la distribution, le pressage, l’exploitation en salle, le physique quoi, hé ben c’est carrément dead

2 – Tous contre Carron
Jadis, Paris était le centre du monde de l’art, ce que la nouvelle génération semble parfois avoir oublié. Dans une Foire d’art contemporain toujours plus suivie, au stand 0.B13, une sculpture sur socle au nom de "The Dawn”, directement inspirée de la sculpture du même nom (traduit) de Francesco Marino di Teana. La galerie est Eva Presenhuber, l’artiste est Valentin Carron. Les modernes accusent les contemporains; les proches de l’italien crient au plagiat, ceux de Carron parlent d’appropriation dans un jeu de dupe, entre snobisme, arrogance et méfiance des deux côtés. Dans cette guerre des tranchées, humblement, Christian Bernard, directeur du Musée d'art moderne et contemporain de Genève (Mamco), éclaire avec une intervention pertinente doublée d’un cours express d’art au micro de la RTS. Depuis, Jeff Koons a eu lui le temps de se prendre deux plaintes

1 – Comme 1 contre 7
Que le football soit considéré comme d’importance culturelle majeure ne fait plus de doute, et ce tout au long de l’année; voir par exemple les fameux matchs de Premier League durant les Fêtes de Noël. Que tout devienne médiatique, que les intérêts se diversifient et que les stars, même ici, soient toujours plus interchangeables, rien n’y fait. En juillet, le 8, on se souviendra avoir dénombré ce même chiffre mais en buts, où le pays hôte en prit pas moins de 7. L’Allemagne en mode rouleau compresseur, mais pas tant que ça. La défaite est historique, l’impact lui aussi. 






Maxime Morisod, rubrique cinéma de Think Tank

10 – Mourir de rire : Dumb & Dumber To
Plus bête tu meurs, plus con tu oublies. Mais pourtant, il y a de l’amour dans ce deuxième volet des aventures de Harry et Lloyd. Alors que les Farrelly promettent qu’il ont décidé de tourner la suite "uniquement parce qu’une histoire vraiment drôle avait émergé", je ne peux que les croire. Parmi la centaine de gags et d’allusions enjouées au premier opus, Carrey et cie réussissent une suite qui fait mouche, le duo réussissant chacune de ses mimiques où (presque) toutes les blagues sont drôles (voire hilarantes) et rendent leur quête pour trouver un rein à déguster tout sourire en s’envoyant des cacahuètes dans le slip.

9 – Merci Wes : The Grand Budapest Hotel
Sans qu’on s’en rende compte, ça faisait depuis 2007 que Wes Anderson n’avait rien fait de bien au cinéma – sans que ce soit de l’animation. En 2007 sort le Darjeeling Limited, bon film mais de loin pas son meilleur. Puis il enchaine avec un très bon film d’animation (Fantastic Mr. Fox, 2010) pour retomber bien bas avec le pénible Moonrise Kingdom. C’était à se demander si finalement, le cher Wes n’avait pas fait naufrage sans que personne ne s’en rende véritablement compte. Que nenni ! The Grand Budapest Hotel contient tous les éléments fédérateurs et géniaux de ces premiers films, garni de ce charme si typique qui parcourait The Royal Tenenbaums ou encore les supercheries naïves de Bottle Rocket. Plus fort encore, Anderson s’empare des artifices de l’animation qu’il avait si bien maitrisé dans Fantastic Mr. Fox pour saupoudrer de cette magie enfantine son nouveau conte qui recèle d’histoires dans les histoires. 

8 – Sauvage et honnête : Buzzard de Joel Potrykus
Avec le Croneneberg, Potrykus est la belle surprise de cette année ! Déjà bien lancé avec Ape, le réalisateur avait conquis le Festival del Locarno en 2012. Deux ans plus tard, il confirme tout le bien qu’on avait pensé de lui, avec cet ovni cinématographique où nous suivons un morceau de vie d’un jeune homme qui recherche une way of life plus amusante que celle qu’on lui a mise devant ses yeux. A l’opposé de ces concurrents mainstream US, Buzzard est sans nul doute le film indie de 2014, plus sauvage et plus honnête que bons nombres de ces contemporains.

7 – Du rire à l'horreur : Creep de Patrick Brice
Petite surprise, petit film, petite chose, sans budget et avec deux acteurs : l'un est le réal, l'autre l'acteur et le cerveau d'où l'idée a germé. Vu à Locarno cet été, Creep est dans la lignée des premiers Paranormal Activity et Projet Blair Witch. Un protagoniste qui recherche du taf avec sa caméra répond à une annonce pour "être filmé durant une journée". Le job est très bien payé et le jeune homme n'hésite pas. Arrivé à une maison au fond des bois, il se rend compte petit à petit que l'homme qui mis l'annonce, n'est pas celui qu'il dit être. Filmé caméra à l'épaule, de manière très intelligente et où la peur s'installe progressivement sans qu'on s'en rende véritablement compte, Patrick Brice réussit la formule du "film fait avec deux bouts de ficelles" avec grande classe et humour morbide.

6 – Léviathan de Andrey Zviaguintsev
Désespéré de protéger son terrain sur lequel il a construit sa maison, Kolia se bat contre une demande d’expropriation posée par le maire du village. Dans ce film russe d’une grande froideur, Andrey Zviaguintsev use de ses personnages pour démontrer la puissance sans cœur et sans pitié de l’Etat. Sa description du monde joue entre le proche et le loin, comme le montre l’ouverture et la clôture de ce brillant long métrage telles de grandes parenthèses renfermant une lourde pensée.

5 – Quand la téloche dépasse la grande toile : Fargo… et True Detective
Difficile de faire un choix entre ces deux séries. D’un côté, le bayou mystique de True Detective est une réussite complète, du casting à sa réalisation, jusque dans ce déjà-légendaire plan-séquence de l’épisode 4 qui fait paraître Scorsese pour un jeune adolescent prépubère. Parfaite jusqu’à son dernier épisode qui détruit tristement à lui seul toute la série qui avait alors réussi à créer une matière angoissante et magique autour d’un meurtre étrange.  Fargo, qui pourtant présente le même type d’histoire, réussit à briller dans ses derniers épisodes jusqu’à tenir le spectateur en haleine lors d’un climax d’une intense force. Les grands moments de cette série (qui dépasse à mon avis d’un cran True Detective) sont le magnifique flash-forward dans la voiture du policier (le saut de une année en un simple panoramique enneigé), la réutilisation minutieuse et sans clin d’œil barbant de l’œuvre des Coen et enfin l’un des meilleurs méchants vu sur écran depuis No Country for Old Men

4 – Le Vent se lève de Hayao Miyazaki
Pour son (peut-être) dernier film, Miyazaki livre son film le plus personnel, celui de son histoire où l’aviation l’a toujours fascinée sans qu’il ne puisse devenir pilote. Ce n’est pas le métier d’ingénieur qu’il choisit, mais celui de réalisateur. Alors évidemment, tout peut se lire comme un dédoublement du cinéaste dans Le Vent se lève. Mais au lieu d’y voir une autobiographie, il est plus heureux d’entrevoir la patte magistrale que Miyazaki laisse dans ce film, sur l’histoire moderne du Japon et son amour pour les airs et pour les femmes.

3 – Cronenberg is back : Maps to the Stars
Comme Wes Anderson, on craignait que Cronenberg soit bel et bien à la dérive, rejoignant les âmes perdues des réalisateurs américains qui ont fini par tout connaître (le bon et le mauvais). Etonnamment, c’est justement dans ce sujet qu’il se ressuscite. La voici la surprise de 2014, le long métrage le plus inattendu de Cannes et peut-être le plus beau de l’année. Etrangement, cela ressemble à du Lynch ; au Lynch de Mulholland Drive mais sans se perdre dans ces histoires hollywoodiennes infinies pourtant revues maintes et maintes fois. Non, Cronenberg réussit au contraire à se faufiler dans la longue lignée des maîtres qui ont employé ce sujet délicat et extrêmement commun du Hollywood contemporain (Billy Wilder avec Sunset Boulevard ou Robert Altman avec The Player ou Short Cuts).

2 – Le Chine vue par Jia Zhang-ke : A Touch of Sin
Primé à Cannes en 2013, le film a vu une courte distribution suisse en début d’année, heureusement lancée par le Festival Black Movie. Dans son nouveau long métrage, Jia Zhang-ke nous fait suivre quatre historiettes successives qui résonnent entre elles dans les paysages désolés et suicidaires de la Chine contemporaine. Un portrait monstrueux et brutal d’un pays en changement mais surtout une leçon artistique de mise en scène virtuose.

1 – P’tit Quinquin de Bruno Dumont
P’tit Quinquin résume parfaitement cette année 2014, dans le fond et la forme. Son format n’étant pas clair puisqu’il s’agit autant d’une série et d’un long métrage (le film est sorti dans certains cinémas en France et en Suisse), il n’est paradoxalement aucun des deux, mais plutôt une œuvre unique et phénoménale dans son discours et sa narration. Relayé par Arte en quatre épisodes sur deux soirs, cette histoire de meurtre dans le nord de la France réutilise les codes du thriller dans un langage comique et universel, où chacun y trouvera une résonnance personnelle. Dumont prouve ainsi qu’il est possible de réussir dans le comique sans bâcler sa mise en scène.



Photographe du Good Times 2014: Bruno Aeberli
L'illustrateur de cette édition annuelle, Bruno Aeberli est diplômé de l'écal en 2013. Il avait présenté l'étourdissant travail "Sans Titre 8", collection absurde et subtile de vraies fausses photographies qui retracent l’existence fictive d’une œuvre d’art majeure.  

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"Sans Titre 8"