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03 janvier 2015

Speaches: décembre 2014

Illustration: Johanne Roten
Les verres sont rangés, les bulles évaporées et les idées remises en place. On a donc presque tourné la page 2014. Il ne reste plus qu'un petit recensement mensuel pour que notre petite rédaction y consente, mais il ne fallait pas trop la forcer; c'est que décembre fut à bien des égards un mois incontournable, que l'on parle de grands retours, d'un symposium attendu, mais aussi d'un écrivain majeur ou de nouveaux films bêtes et/ou nuls. Et même d'une publicité.

LA CREME DU MOIS

Pierre Raboud: Symposium Post Digital Cultures
Dans la très belle salle du palais de Rumine, le symposium sur les cultures post-digitales, organisé dans le cadre du festival des Urbaines, a offert des conférences de qualité, là où les symposiums affichent habituellement ennui et froideur. Sur deux jours denses, on a ainsi pu entendre des présentations sur des thématiques rarement traitées dans les sphères académiques ou sociales. Malgré quelques présentations un peu en dessous, le niveau des interventions fut au rendez-vous, qu’il s’agisse du corps féminin dans la création, des outils de cryptage, des bunkers pour cacher des bases de données et surtout la brillante présentation mixée de Thomas Burkhalter sur musique globale et ses différentes. Tout peut être revu sur le site du symposium. Seul petit regret, ces thématiques sont encore plus absentes dans la réflexion francophone, et on peut se demander si ce type de symposium ne pourrait pas également tenter de favoriser son développement à travers une place réservée à des présentations en français.

Maxime Morisod: Fuck Love
Ce nouveau fleuron du rock indie de la Riviera vient de sortir son premier EP, disponible librement sur bancamp. Avec un membre des Mondrians, des Awkwards, de Green Fairy et de Eight Days a Week, la formation fait mouche avec un 4-titres bien torché, qui résonne entre les premiers Blur et du Pavement moins déglingo. Une très belle surprise dans un paysage où les (nouveaux) petits groupes rock ont de la peine à sortir la tête de l’eau au sein d’une scène musicale qui ne sait pas vraiment où elle va.

Julien Gremaud: D'Angelo, Black Messiah
L'année de ses 40 ans, Michael Eugene Archer revient à point nommé alors qu'on croyait le chanteur abonné définitivement aux apparitions sur les albums des autres (de Lauryn Hill à Common) depuis la sortie de son dernier album en… 2000. Deux LPs et un hiatus qui ont presque faits de lui un mythe (on l'appelle le "R&B Jesus"). C'est dire que son retour surprendrait presque – d'ailleurs qui parle encore de Nu Soul aujourd'hui? "Black Messiah" est un chaos contrôlé et montre un D jouant sur tous les registres du genre. La grande grande classe.

Colin Pahlisch: Certeau le pourfendeur
Votre caissière est-elle LMR ? Votre épicier, marxiste ? Votre éboueur, foucaldien ? Peut-être, ou alors, comme des millions, ils développent en secret leurs petites stratégies de résistances, leurs tactiques, au Grand Capital. C’est à ces petites choses du quotidien qui en font proprement L’invention que Michel de Certeau a consacré un livre dans les années huitante intitulé sobrement : L’invention du quotidien. Son but : recenser les détournements minuscules, réappropriations et subversions, que font subir aux objets produits les consommateurs de l’ombre, la majorité marginale dont nous faisons tous partie. Grandiose.


LE PETIT LAIT DU MOIS

Pierre Raboud: The Hobbit
En hiver, on est pourtant propice à avaler toutes les sucreries et notre barème de tolérance au kitsch s’abaisse, Peter Jackson aura réussi plusieurs exploits. D’abord celui de presque nous dégouter d’un récit qu’on se réjouissait de retrouver entre potes en fin d’année. Ensuite celui de transformer un bref roman en trois films interminables. Et enfin de gâcher le bon début de ce dernier opus par une bataille sans fin truffée de dialogues et de scènes confondantes de nullités. Le réalisateur parvient avec la bataille des cinq armées a faire encore pire que lors du précédant film, repoussant les limites en terme d’effets spéciaux absurdes et de scènes ajoutées nullissimes.

Maxime Morisod: The Hobbit - fin d'un trilogie
Voilà, le troisième volet du Hobbit est sorti. S’il cartonne partout dans le monde en pole position du box office, le film confirme le peu d’inventivité et le manque de matière qu’on lui reproche depuis deux ans. Dommage, car le monde de Tolkien est si dense qu’on aurait beaucoup voulu retrouver d’autres personnages, comme Tom Bombadil, Beren ou l’histoire des Silmarils. Peut-être pour dans trois ans ?

Julien Gremaud: Road to Blue, Stress pour Volkswagen
Volkswagen s’est fixé pour but de devenir le constructeur automobile le plus écologique du monde. «Think Blue» est leur « réflexion active en faveur du développement durable ». Ce qui est plus qu'honorable (bien que comme souvent on soupçonne l'effet marketing). Oui mais pour ce faire, on convoque un Stress sur courant alternatif depuis des lustres; non pas que les bons sentiments fassent du mauvais rap, mais on constate avec effrois cette mise en scène tout de même assez ridicule. Stress montre aussi un changement de style aussi original qu'un VW Golf.

Colin Pahlisch: Le coup de gueule
Bon, pas très impartial, c’est vrai. Le petit lait de ce mois est plutôt un coup de gueule poussé contre l’administration française parisienne (une autre forme minuscule, mais tentaculaire, de prise de pouvoir). Sans aucun rapports, précisons, avec les événements récents. Moins la paperasse que les stratégies, moins les manières que les attitudes... une autre occasion de relire Foucault. Aller, ça va passer. Tous avec Charlie quand même.


LE PAIN SURPRISE DU MOIS

Pierre Raboud: Rich Gang, THA TOUR PART1 MIXTAPE
Pas vraiment une surprise, plutôt une reconnaissance. J’avais déjà rapidement mentionnée brièvement cette mixtape dans un précédant Speaches sans lui donner les honneurs. Or elle mérite bien ces derniers. Ecouter en boucle depuis trois mois sans jamais me lasser, Tha Tour Part1 constitue peut-être la meilleure mixtape de 2014. Normal avec Birdman, et surtout le duo Rich Homie Quan/Young Thug, soit deux des mecs les plus forts de cette année entre folie et puissance. Le Rich Gang délaisse les titres love pour dégainer 20 tubes dont les pépites "Givenchy", "Tell Em", et "War Ready".

Maxime Morisod: Dumb & Dumber To
Il fait plaisir et se retrouve même dans le top 2014. Des rires et de la bêtise mais aussi de belles retrouvailles avec cette suite du premier projet des frères Farrelly réalisé en 1994. Avec des rides mais toujours aussi loufoques, le duo Harry et Lloyd fonctionne encore et toujours !

Julien Gremaud: The War on Drugs, Lost in The Dream
A quoi servent les bilans annuels? Ils permettent souvent des tentatives de classements aussi suivis que chancelants. Pour le grand public, la tête dans le guidon mois après mois, à faire le point me direz-vous plutôt.  Et à ressortir des albums qui vous ont juste filé entre les doigts. ”Lost in The Dream” est de ceux-ci dans mon cas, et a occupé mes deux dernière semaines. A raison: si The War on Drugs a tout pour lasser l'amateur de musiques innovantes, la formation de Philadelphie s'impose comme l'un des piliers du rock indépendant et surprend avec un LP encore plus intense et habile que son prédécesseur ”Slave Ambient” (2011).  Étincelant.

Colin Pahlisch: Nightcrawlers
Un film, pour terminer, qu’on attendait peut-être pas aussi tranchant, ni aussi juste : Nightcrawlers, ou en français (?) Night Call. Curieuse, en passant, cette tendance à donner des titres anglais à des films en...traduction française (par exemple, The Hangover qui devient Very Bad Trip). Bref, on attendait une satire protestanto-larmoyante du monde des paparazzi, et on se retrouve avec une réflexion sociale mordante sur les médias et leur glaçante placidité face à la violence des rues. Haletant, qui plus est, comme un bon polar. À voir.