Illustration: Estelle Bourdet |
Doublement à l'honneur dans notre Good Times 2014 récemment paru, la revue Audimat a retenu l'attention de Think Tank dès son premier numéro. Editée par Les Siestes Electroniques, festival défricheur français, elle regroupe des réflexions sur la pop et la culture actuelle mais aussi des textes anglo-saxons traduits (et bien choisis) pour l’occasion. Conversation à l'interne autour de ce projet éditorial critique et singulier.
Julien: 2014 fut une année très intense pour la presse papier, que ce soit au niveau des réorganisations en profondeur de rédactions (le cas Libération ou, dans une moindre mesure, celui de Technikart), des fermetures de presses privées (celles de la Neue Zürcher Zeitung ou de la Liberté), des cessations d'activités ou des profondes remises en questions de la pérennité de titres majeurs tels que, une fois encore, la NZZ. Sur le web, le journalisme n'est pas complètement sûr de son indépendance (Rue 89 parmi tant d'autres grandes marques) ni de sa viabilité financière (la majeure partie des titres online indépendants). Les blogs s'ouvrent et se ferment, ou, plutôt, se meurent faute d'activité; ceux des grands titres journalistiques sont tenus souvent pour le prestige, rarement pour en vivre. Sur fond de crise, des petits acteurs tirent leur épingle du jeu, et ce souvent - c'est là la réelle nouveauté - en format papier, en ne négligeant pas une activité online. C'est le cas du magazine Zweikommasieben dont nous vous avons abondamment parlé ces deux dernières années. Ce titre lucernois traite de la culture électronique, en partant du local (ce qui est tout de même audacieux, Lucerne n'ayant pas la même offre ni la même réputation de villes telles que Zurich ou Genève) pour ouvrir les discussions et les observations sur les artistes qui font le genre aujourd'hui. C'est surtout excellemment bien fait au niveau graphique et dans les amorces des articles. Un bel objet, à chaque fois différent (on fête le 10ème numéro en décembre 2014), maintenant propulsé par sa nouvelle collaboration avec le distributeur berlinois Motto qui co-édite le titre, finançant l'entreprise notamment dans des fins de traduction: passant d'un titre 100% germanophone à une publication bilingue (allemand-anglais) tout en maintenant des hauts standards de productio et en s'alliant donc à un distributeur spécialisé, Zweikommasieben s'ouvrait grandes les portes d'une reconnaissance internationale. Sur le web, la rédaction est au taquet aussi (sa page Facebook hyperactive)
Apparu presque en même temps, la revue française Audimat comporte bien des similarités avec son confrère suisse-allemand: publications espacées dans le temps (une par année contre deux pour Zweikommasieben), détachement d'avec le concept du "tout actualité", attention constante maintenue par une activité originale sur les réseaux sociaux (on parlera plus bas de leur série de conversations vidéo), une grande rigueur rédactionnelle et graphique et, là aussi, une relative accessibilité dans le prix (10 Euros maximum). C'est d'ailleurs par des prises de vues de la couverture du premier numéro que j'ai connu le titre. Designé par le duo suisse Maximage (David Keshavjee et Julien Tavelli), le premier numéro d'Audimat débarquait comme un OVNI. Avec ce premier numéro, Maximage « (proposait) une maquette calme et carrée dont la couverture fait remonter des souvenirs du début du XXe siècle, chez les avant-gardes ou chez Deberny et Peignot » dixit le blog de Large, agence conceptrice de l'identité des Siestes Electroniques. Car, à l'instar de Zweikommasieben, le cadre des débuts est équivalent: partir du local (le Südpol et les soirées organisées entre amis pour les uns, les Siestes Electroniques pour les autres). Festival défricheur à la fois toulousain (12 éditions déjà) et parisien depuis 2011, les Siestes éditent en effet Audimat, gérée elle aussi en équipe réduite. Mais à la différence du magazine lucernois qui ne livre que des contributions exclusives et presque entièrement ciblés sur la musique électronique, Audimat regroupe tant des contributions exclusives que des textes anglo-saxons traduits (et bien choisis) pour l’occasion. C'est d'ailleurs l'un de ceux-ci portant sur la World Music qui avait retenu ton attention au départ Pierre, n'est-ce pas?
Pierre: Je ne souviens plus par quel article j'ai découvert Audimat mais je ne suis pas sûr que cela ait de l'importance tant nous étions en quelques sortes faits pour nous rencontrer. Tout simplement parce que le monde francophone se révèle presque vierge de tout texte sur la pop, qui se veuille réflexif sans pour autant tomber dans le style académique. Face à ce quasi-désert, Audimat représente pour moi un objet de lecture vraiment jouissif. Que ce soit sur la critique de la notion de World Music, les réflexions historiques sur la musique ou la notion d'undergroud, toutes ces pistes mènent à Audimat. Si cette revue est également intéressante, c'est également par son choix du français. Si évidemment plein de choses passionnantes sont écrites en Anglais et que nous sommes presque tous capables de les lire, heureusement, l'utilisation permanent de l'anglais dans les revues et les conférences est le signe peut-être d'une forme de standardisation et assurément de paresse de la pensée. Face à cette absence de réflexion sur des objets aussi centraux dans notre rapport au monde que la pop dans le monde francophone, il est urgent de rendre disponible des textes et de diffuser des réflexions produites en français pour s'approprier ou construire des réflexions propres sur ce sujet. C'est ce que fait très bien Audimat. Par rapport à l'aspect graphique, je ressentais aussi cela. Une simplicité qui mettait le texte en avant sans pour autant le sanctifier dans des traits trop épurés. A cet égard, la forme rentre en harmonie avec le fond: à savoir l'importance du texte et la mise en avant de sujet réputé non sérieux avec l'envie de les prendre justement… au sérieux.
Ce qui me plait dans Audimat, c'est que l'on sent que ce qui réunit les différents articles, c'est avant tout la passion pour la pop et la musique plus largement avec l'envie de décrypter des phénomènes, que ces derniers soient massifs ou anecdotiques. Il n'y a pas de méthodologie imposée, d'approches prédéfinies ou de styles musicaux considérées comme plus légitimes. Cet aspect multi-pistes n'implique pour autant pas de cacophonie. Grâce à une sélection minutieuse et pertinente, que ce soit dans les articles traduits ou les productions originales, on retrouve dans les différents articles, que ce soit pour parler de Drake ou de la House, la même envie de dépasser les approches naïves ou éculées de produits ou artistes musicaux pour en donner des lectures originales. On peut être d'accord avec ces analyses ou pas du tout, et c'est peut-être là l'intérêt de la revue que faire naitre des débats. Montrer qu'il ne s'agit pas de simples marchandises jetables mais de biens adorés ou détestés dont on peut dire des choses intéressantes, voir carrément débattre. Comme exemple, et ce pour donner l'eau à la bouche de ceux qui ne connaitraient pas encore Audimat, citons certains titres d'articles: "Le spleen de l'argent chez Drake", "Petite histoire de la caisse claire dans la musique pop", "La world n'est plus de ce monde" ou encore "Yuppies versus Hipsters: l'underground d'hier et d'aujourd'hui".
Le site d'Audimat et sa boutique
Ce qui me plait dans Audimat, c'est que l'on sent que ce qui réunit les différents articles, c'est avant tout la passion pour la pop et la musique plus largement avec l'envie de décrypter des phénomènes, que ces derniers soient massifs ou anecdotiques. Il n'y a pas de méthodologie imposée, d'approches prédéfinies ou de styles musicaux considérées comme plus légitimes. Cet aspect multi-pistes n'implique pour autant pas de cacophonie. Grâce à une sélection minutieuse et pertinente, que ce soit dans les articles traduits ou les productions originales, on retrouve dans les différents articles, que ce soit pour parler de Drake ou de la House, la même envie de dépasser les approches naïves ou éculées de produits ou artistes musicaux pour en donner des lectures originales. On peut être d'accord avec ces analyses ou pas du tout, et c'est peut-être là l'intérêt de la revue que faire naitre des débats. Montrer qu'il ne s'agit pas de simples marchandises jetables mais de biens adorés ou détestés dont on peut dire des choses intéressantes, voir carrément débattre. Comme exemple, et ce pour donner l'eau à la bouche de ceux qui ne connaitraient pas encore Audimat, citons certains titres d'articles: "Le spleen de l'argent chez Drake", "Petite histoire de la caisse claire dans la musique pop", "La world n'est plus de ce monde" ou encore "Yuppies versus Hipsters: l'underground d'hier et d'aujourd'hui".
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