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19 juillet 2015

Speaches: Juin 2015

Illustration: Maulde Cuérel



Même par des temps caniculaires, l'équipe Think-Tankienne ne se laisse pas écraser et propose ses premières crèmes estivales ! Au programme gustatif : des critiques filmiques qui glacent ou rafraîchissent (voir la controverse au sujet du dernier Jurassic...), du musical, avec incartade vers le dernier White Puppy, de l'exposé, de l'exhibé, à Yverdon, Lausanne, Basel... Un détour, même, de l'autre côté de l'Atlantique chez le bon Oncle Sam, jamais à court de polémiques. C'est le moment d'enclencher les Beach Boys. À nos maillots et trois, deux, plongez.

LA CREME DU MOIS


Colin Pahlisch : Les robots (c')e(s)t nous
Yverdon a la cote, et ce n’est pas dû aux bains (où sont-ils, d’ailleurs ?). Plutôt à la Maison qui s’y est nichée, cet Ailleurs au cœur de la ville. Et sa dernière manifestation est incontournable. Moins, pourtant, par les pièces qui y sont exposées, que par l’angle choisi par Marc Atallah. Le titre en est significatif (et ambigu, c’est là sa force) : « portrait-robot ». De qui, pourtant, fait-on le portrait ? Les robots, c’est connu depuis Fritz Lang, depuis Villiers de L’Isle-Adam même, nous ressemblent. À travers eux, nous nous questionnons. C’est sous l’optique métaphysique de ce reflet que l’exposition s’organise. Du Terminator des années 80 illustrant la peur d’un futur nucléaire incertain aux masques de motards sans âmes dont s’affublent le groupe « Daft Punk » pour illustrer sans doute la collectivité indistincte à laquelle s’adresse leur musique et rappeler tout autant les rythmes électroniques qui la caractérisent... le robot est toujours le signe de quelque chose, le support d’un sens que l’on veut faire passer. Ultime pirouette pédagogique, au dernier étage un plasticien mécanique esquisse votre portrait au crayon. Façon caricature de presse, le visiteur apparaît, comme le dieu honoré par la machine, deus « ex machina ». Critique d'un narcissisme anthropocentré ? Oui, et c'est plutôt futé.

Pierre Raboud: NATURAL PHENOMENA de White Poppy
Pour l’été, rien de tel qu’un album psyché à guitare. Dans le genre, NATURAL PHENOMENA de White Poppy se rapproche de la perfection. Entre l’évidence mélodique du Brian Jonestown Massacre et l’expérimentation sonore de Sun Araw, ce disque parvient avec peu de choses à varier et obnubiler avec classe.

Maxime Morisod: Vice-Verca
Le dernier Pixar est une merveille. Le long-métrage suit les mésaventures de petits êtres habitant le cerveau d'une jeune fille de 11 ans. Les personnages représentent des émotions: la joie, la peur, la tristesse, etc. Le film réinvente dans un sens la trame narrative classique du dessin animé en racontant deux histoires parallèles qui s'emboîtent l'une dans l'autre. Si le dessin n'est pas vraiment novateur, l'histoire, les personnages et les ressorts comiques sont bel et bien au rendez-vous. La meilleure production Disney/Pixar depuis Toy Story 3 (2010) et Là-haut (2009).

Julien Gremaud: Martin Boyce au Museum für Gegenwartskunst de Bâle
Il y a des fois où l'on se dit qu'un artiste est omniprésent, bien souvent davantage dans les conversations qu'en expositions. Ce fut le cas de Boyce à Bâle. C'est par une série de reliques de feuilles mortes qu'on accédait à l'étage dédié au Prix Turner en 2011. Si le mobile ”Do Words Have Voices” en est la pièce centrale, on ne manquera pas de savourer les autres travaux de l'Ecossais qui sont des petits bijoux de détournements sculptural du langage visuel des icônes du design moderniste et du paysage urbain. Aussi à l'honneur à Unlimited via sa plage apocalyptique illuminée de ses palmiers-néons, Boyce se détache de la mêlée, alliant intelligence conceptuelle et séduction formelle, en toute sobriété.


LE PETIT LAIT DU MOIS

Colin Pahlisch: Jurassick World
Le jeu de mots est aussi lâche que le film. On m’avait prévenu pourtant. Navré, il fallait qu’on y aille. Voilà, même pas le courage de dire « je »... à la sortie, le mot qui vient est "pornographique" au sens le plus étymologique : la monstration cul et crue de l’attraction qui excite les foules. Pour un peu, on entendrait le ronronnement de la machine à fric. Le comble : le scenario lui-même nargue le spectateur, le cynisme filtre au travers des répliques des protagonistes. En deux mots, tout de même ? Isla Nublar est devenu un parc d’attraction, un vrai, drainant des milliers de badauds par jour. Un nouveau dinosaure a été mis au point. Plus féroce, plus violent, plus vicieux. Et il s’échappe. Plus besoin de voir le film. Un réconfort parce qu’il faut bien se justifier de cette heure et demie perdue ? Je l’ai vu sur le net. Ouf ? Non. Aïe, encore, pour le cerveau.

Pierre Raboud: Taylor Swift et Calvin Harris détrônent Beyonce et Jay Z
Rien que le titre de cet article du Matin m’a foutu les jetons. Le monde va mal.

Maxime Morisod: Love & Mercy
Alors que la majorité de la presse est plutôt positive à l'égard du long-métrage sur Brian Wilson et les Beach Boys, ce film s'inscrit tout droit dans ce type de biopic extravagant et sans saveur. Pourtant, les premières minutes promettent le meilleur : écran noir, mélanges de mélodies avec l'entrée surprenante de la batterie de I'm Waiting for the Day, et ce plan éloigné de Paul Dano au piano (figure réussie de Brian Wilson jeune) qui ouvre le long-métrage. Après un générique attrayant qui reprend les clichés célèbres de la première période "fun" des Beach Boys, on retombe dans les travers faciles et pénibles du biopic : moments de création filmés sans idées, figure du père dominateur ratée, flash-backs répétitifs, mauvaises utilisations du format digital HD/pellicule et surtout, une histoire du Brian Wilson tardif qui ne fait que ralentir le rythme du film. L'idée était pourtant bonne, mais les clichés beaucoup trop présent. Clou du spectacle, cette fin sur Wouldn't be so Nice tellement attendue. Un seul bon point, Paul Dano donc, et les autres Beach Boys qui ressemblent comme deux gouttes d'eau au personnage que chacun joue. Mais est-ce vraiment essentiel ?

Julien Gremaud: Kendrick Lamar contre Geraldo Rivera et Sean Hannity (et Fox News)
Au risque de me répéter, Kendrick Lamar est ce qui se fait de mieux depuis quelques temps dans le hip hop, et pas seulement qu'en des termes musicaux. La qualité de ses clips est des plus remarquables, tout comme l'est sa conscience sociale. Mais, à l'instar du dernier coup de génie, ”Alright”, tout le monde n'est pas d'accord avec le savoir(-faire) du Californien: une voiture portée par un escadron de police et vice-versa plus tard, l'une des flèches de la chaîne Fox, Riviera, se lâche avec un lapidaire et très éclairé « Kendrick Lamar fait plus de dégâts aux jeunes Afro-Américains que le racisme ». Peu avant, son frère d'armes Sean Hannity affirmait que « la musique de Prince et Beyoncé (était) aussi dangereuse que le symbolisme controversé du drapeau confédéré ». Peu impressionné, Lamar demandera simplement comment l'on peut prendre une chanson qui est sur l'espoir et la transformer en haine avant d'affirmer que si le hip hop n'est pas le problème « (notre) réalité est le problème de la situation».

LE PAIN SURPRISE DU MOIS


Colin Pahlisch: Coigny et ses belles
Tout en douceur, le musée historique de Lausanne, à la programmation d’habitude barbante, donne à voir le travail d’un photographe du coin, Christian Coigny. C’est très souple, fin, ça aussi : des femmes sublimes qui s’alanguissent au soleil de Vidy, de Saint-Saphorin, dans un atelier, adossées nues à des plaques de toiles ou de métal. C’est plaisant, mais d’un plaisir estival, délicat. Elles donnent envie d’aller se baigner, et souvent ça suffit. À voir donc, pour le repos de l’œil et la grâce des contours.

Pierre Raboud: Jurassic World
Peut-être est-ce parce que tout le monde m’a dit qu’il était à chier, mais j’ai trouvé Jurassic World pas si mal. Bon, les acteurs et les dialogues font que Jurassic World reste très très loin de Jurassic Park. Mais c’est conscient de cet objectif irréalisable que le film se construit en simple film d’action aux références méta. Face à la question de ce qu’il reste de l’émerveillement face à la découverte des dinosaures, plus de vingt ans plus tard, le film choisit d'en faire sa thématique principale. Jurassic Word oscille ainsi entre fétichisme du premier volet et émerveillent enfantin persistant d’un côté, et réflexion sur la désuétude de toute nouveauté de l’autre. Des dinosaures, on peut se lasser, on peut même les dresser.

Maxime Morisod: Wawrinka remporte Roland-Garros
Nous vivons un âge d'or du tennis suisse. Et même si le gain de la Coupe Davis l'an passé prouvait déjà la chose, le sacre de Wawrinka à la Porte d'Auteuil vient accentuer le phénomène Sur terre battue, le Vaudois a déstabilisé le meilleur joueur actuel : Novak Djokovic. Dans un match où les échanges flirtaient avec la perfection, Stan a su déstabiliser le Serbe d'une manière exaltante et que personne jusqu'ici n'avait osé chambouler. Puissance, efficacité et rage étaient réunis dans le bras du Suisse. Nous avions la grâce avec Federer, nous avons dorénavant la force avec Wawrinka. Et chez les femmes, une des plus belles histoires du tennis suisse est en train de s'écrire en parallèle avec Bacsinszky et Bencic. A confirmer début juillet avec Wimbledon.

Julien Gremaud: Kenneth Anger – ”Inauguration of the Pleasure Dome”
On en parlait récemment ici: l'exposition XXL d'Art Basel, Unlimited, semble années après années non plus dévolue aux sculptures gigantesques mais bien aux interventions pertinentes et historiques (de Martin Boyce à Ramon Ondak, en passant par Dan Flavin ou Victor Burgin). Les projections de films ne sont pas en reste. Tel ce montage en trois écrans d'un film de Kenneth Anger que l'on avait presque oublié, ”Inauguration of the Pleasure Dome”. En version courte mais tout aussi grandiloquente que son format originel datant de 1954, ce film accueillait les spectateurs d'Unlimited, mais sa BO composée du final d'”Eldorardo”, fantastique LP d'Electric Light Orchestra (1974) résonnait au point d'hanter tout le hall.