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23 juillet 2015

Poplucide : la culture du festival

Photo: Mehdi Benkler

La culture est-elle devenue un énorme festival permanent ? L'été et ses énormes festivals constitue la parfaite occasion pour se poser différentes questions: qu’est-ce qu’un festival après tout ? Que vient-on y chercher ? Et ce poids des festivals a-t-il un impact sur notre rapport général à la culture ?

La Suisse fait figure d’un des pays ayant la plus forte concentration de festivals. Mais cette omniprésence des festivals se vérifie aujourd'hui presque partout. L'Europe de l’Est est ainsi passée maître en termes de festivals de toute taille, dans des lieux plus ou moins improbables. A la base créés comme une fête estivale, les festivals se déroulent désormais en toute saison et se déclinent en de multiples formes : petits, grands, sur un jour, sur un mois, urbains, lacustres, forestiers, pointus, généralistes, déguisés,… Les concerts constituant le dernier élément rentable dans le marché de la musique, ce développement n’a rien d’étonnant. Mais si notre rapport à la musique live est désormais peuplé et rythmé par les festivals, que cela signifie-t-il? 

Un festival représente avant tout un lieu où à la musique s’ajoute un décor. Participer à un festival est une action décidée peut-être en fonction des groupes. Néanmoins, la musique n’en constitue souvent qu’un supplément. On y vit un concert plutôt qu'on l'écoute. A l’inverse de la salle, le groupe prend moins de place face à l’ensemble de stands de nourriture, de boissons. Le festival représente ainsi un lieu où l'on se rend pour profiter d’une expérience collective, se balader entre les scènes, se perdre, se retrouver, se poser, s’enivrer, … Dans la mémoire collective et selon les goûts, le Paléo, c’est ainsi des baguettes ; le Montreux Jazz des sushi ; le Kilbi des fly fallafel ; les Eurockéennes l’apéro. Cette importance reflète une évolution générale du rapport social à la culture. Comme le montrent par exemple les récentes recherches de Will Straw, alors que dans les années 50-70, les personnes se réunissaient pour pouvoir accéder aux nouvelles formes artistiques apparues avec l’avènement de la contre-culture, aujourd’hui les gens se réunissent avant tout pour être ensemble. Ceci s’explique par les manques situés historiquement. Dans l’après-Seconde Guerre mondiale et dans des sociétés occidentales encore très conservatrices, les nouvelles générations ressentaient le besoin de nouvelles formes d’expression plus libres et critiques. Dans nos sociétés contemporaines atomisées et digitalisées, ce qu’il manque avant tout, c’est du lien social. La culture sert alors de prétexte à la socialisation, à la vie festive en groupe. On peut alors parler de festivalisation de la culture et de bistrotisation en dehors des périodes des festivals. En effet, qu’est aujourd’hui une scène culturelle sinon un bistrot, devenu le centre névralgique des activités culturelles? C'est désormais l'ensemble de la culture qui se déploie sous forme de fêtes, accompagnées de catering. Des collectifs se montent souvent pour assurer des ambiances et non plus pour proposer un type de culture spécifique. Les identités culturelles et les styles musicaux ont perdu de leur importance au profit des façons d'être ensemble.

Précisons que cet article ne suggère en rien qu’il faille condamner les festivals. Ils constituent au contraire des lieux de fêtes collectives où des expérience de la culture peuvent être jouissives, où chacun peut vivre des concerts géniaux en appréciant la musique. La culture est devenue un des lieux fort du vivre ensemble. Il s’agit ici de montrer quel rapport à la musique les festivals supposent. Ce rapport n’est en rien différent entre un grand festival ou un plus petit, les mêmes phénomènes s’y observant. La seule exception pourrait être le cas des festivals à l’identité strictement définie, comme les Hell Fest, où le public y vient écouter un genre en particulier. La musique y jouerait alors un rôle central. Néanmoins on pourrait rétorquer que, dans ces festivals également, l’atmosphère occupe le premier plan. Elle le fait dans un autre mode que les festivals généralistes, le divertissement étant remplacé par l’expérience de l’identité commune.