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06 avril 2012

TT Speaches / Mars 2012

Illustration: vitfait


Les premiers barbecues et apéros sur pelouse s’organisent. Des premières sueurs qui ont tendance à nous pousser à ne plus écouter que de l’Italo disco ou du hip hop. Le Speaches de mars s’en fait l’écho avec Chromatics, Rusko, ASAP. Mais c'est aussi un mois où pas grand chose semble se passer au niveau de l'innovation (ce Speaches est placé sous le signe du revival), peu de sorties marquantes et un désert au niveau des concerts: on ne perd pas espoir à Think Tank, le printemps finira par être beau.

Julien: Débutons avec un objet très bizarre: le troisième LP de Rusko, SONGS, est une somme d'euro-dubstep, de ragga-trance, de Scooter skwee, signée chez le label Mad Decent. De Los Angeles, cette institution menée par Diplo abrite dans son catalogue autant Azealia Banks, récemment connue pour avoir rappé sur l'électro minimale de Lone, les italiens Crookers ou encore les portugais de Buraka Som Sistema. Si vous aviez détesté la trance-hip hop de AraabMuzik ultra sensuelle, vous mourrez avec SONGS. Actif depuis 2006 dans le milieu de la dubstep, Christopher Mercer a autant fait évoluer ce style qu'il semble s'en détourner maintenant (ce que l'on peut comprendre…). De fait, si l'on retrouve une base de subs et de beats heurtés, SONGS ouvre le propos aux ondes FM avec pour débuter "Somebody to Love", tube massif, jungle lyriques enchâssée dans des basses sans équivoques. A l'instar du clip, montrant Rusko dans un registre désormais classique pour des acteurs d'une dubstep maximale à l'instar de Skrillex, les kids vont kiffer. Même si Rusko aligne des associations quasi-douteuses de ragga et de trance, il sait aussi garder cette fameuse fluidité de l'électronique britannique, aussi dansante et légère qu'élaborée ("Pressure", splendide). Reste qu'avec 14 titres dans des registres aussi séparés pour les non-initiés, SONGS est difficilement écoutable en une traite. Outre-Manche, le disque devrait faire cependant un carton, là où l'on sait mieux que quiconque mixer tout et n'importe quoi.





Julien: Ce mois de mars a vu une grande quantité de productions électroniques. Toujours dans le registre britannique, Scuba a lui créé son propre label, Hotflush Recordings, héberge des noms très actuels d'un post-dubstep assez bien fait (Mount Kimbie, Sepalcure) sous oublier de faire avancer son projet plus que suivi. TRIANGULATIONS (2011) avait fourni son lot de tubes pour dancefloors ("You Got Me", "Before", notamment) alors que SUB:STANCE avait assis Paul Rose au siège des décideurs d'un style parfois trop caricatural. De fait, on ne pourra pas reprocher à Scuba son attitude sur son nouveau LP, PERSONALITY, ouvrant le spectre à d'autres références: "Ignition Key" et "July" tirent à fond dans les 80's à la limite du trop, "The Hope" et "Ne1butu" rappellent eux 808 State (et donc les 80's aussi), Cognitive Dissonance regarde lui vers Roni Size alors que d'autres ("Gekko") raffermissent le propos en boucles techno. Il y a sans doute un peu de nostalgie à plusieurs niveaux sur cet album d'un goût assez douteux: la période love de l'Haçienda, la techno première monture et des tentatives d'eurodance. Je ne sais trop quoi dire, si ce n'est qu'après notre séjour Musique hantée à Londres en compagnie de Scuba et de son label Hotflush, je n'eusse pas espérer un tel disque iconoclaste.


Julien: Les rythmes électroniques ne tirent toutefois pas la tronche sur toutes les sorties mensuelles. Pour autant qu'on puisse la classer dans cette catégorie-ci, Julia Holter a donc signé l'album imparable de ce début d'année, nivelant ce Speaches vers le très très haut. Pour faire simple, la Californienne a tout: les arrangements, les structures incroyablement élaborées, la voix (ou ses reliques) et l'aspect inatteignable. On n'avait que très peu écouté le premier volet de sa discographie, TRAGEDY, mais ce EKSTASIS est inoubliable, d'une beauté indescriptible, aux résonances lumineuses mais pas candides, en phases multiples. "Marienbad" évoque d'entrée ce que nous décrivions avec le second album de Buvette, PALA LUPITA: où la voix s'impose comme un instrument à part entière, où d'autres jouent de lyrisme et de postures douteuses, le morceau brisant cette idée-même de pop classique aux refrains incontournables, empruntant aux Beach Boys et ses plus fidèles descendants Animal Collective cette force de caser 10 chansons en une. Ici, Julia Holter semble même faire rentrer le séquenceur et le sound-system dans "Marienbad" avant de terminer son périple sur une ritournelle stupéfiante.  Les titres de l'album développent ces axes stratégiques de la musique de Julia Holter: la pop héroïque et la folk cubiste, plus contemporaine elle (de "Our Sorrows" à "Für Felix" ). L'ambiant psychédélique ("Boy In The Room", on dirait du Brian Eno!) se chevauche à l'avant-gardisme synthétique de "Four Gardens" ou de "Goddess Eyes". EKSTASIS ne faiblit aucunement dans sa deuxième moitié; s'affranchissant donc des structures usuelles, Julia Holter semble pouvoir tout se permettre, entre les accessibles "Moni Mon Amie" - classique-, "Godess Eyes I" - délaissant -, avant de porter son second LP dans les bons offices avec le sommet "This Is Ekstasis", où il n'est pas simplement question de sonner comme les quêtes sonores planantes de Juliana Barwick ou d'une Grimes sous Xanax: après plus d'un mois d'écoute, ce titre valide les premières thèses et impressions, celles de se retrouver devant quelque chose de spécial, sans réelle étiquette ni destinée. Quand arrive la batterie sur ce morceau d'épilogue, on se prend à rêver d'une réunion intemporelle entre jazz et romance doucereuse. Mais quel album (du mois, forcément pour moi, de l'année, on verra)! Quel choc, au point de n'avoir plus grand chose à dire…






Pierre : Très attendu, notamment suite aux différents titres qui avaient déjà été lancés sur l’internet en 2011, le nouveau Chromatics, KILL FOR LOVE, sort enfin en ce mois de mars. Leur précédent album, NIGHT DRIVE sorti il y a cinq ans, reste une merveille, un album encore trop méconnu, parfait du début à la fin, construisant une ambiance pleine de mélancolie nocturne au volant, en forme de prophétie du Drive de Refn. Face à tant d’attentes, la vérité est que l’on ne peut qu’être un peu déçu à la première écoute. Ce ne sera pas un second bijou à chérir d’années en années. Mais il serait injuste de reprocher à un groupe de ne pas réussir un chef d’œuvre à chaque fois. KILL FOR LOVE tente de laisser derrière lui ce passé en dégainant un disque extrêmement dense : 17 titres dont plusieurs dépassent les cinq minutes. Cela commence très timidement avec une reprise de "Hey Hey My My" de Neil Young, plutôt fidèle, pas très intéressante mais quand même dix fois mieux que ce qu’avait fait Oasis. Mais tout de suite après, vient la chanson éponyme rassurant tout le monde : Chromatics n’a pas oublié ses fondamentaux : refrain épique, productions italo-disco (normal c’est du Italians Do It Better avec Johny Jewel à la baguette) et voix sensuelles. "Kill for love" bouleverse d’emblée avec des guitares qui pleurent, tout en étant beaucoup plus accrocheur que tout ce qu’a pu sortir le groupe jusqu’à présent. Tout l’album parcourra, avec toujours beaucoup de qualités, ce son fait de plages sensuellement étouffées et de refrains à faire se fermer les yeux. De "Lady" à "Back from the Grave" délivre une musique, dont le caractère exquis en a fait la signature d’un groupe et d’un label souvent irréprochable.


Pierre : Un des titres de KILL FOR LOVE dont il a été fait mention plus tôt, le magnifique "The River" se trouve également sur un autre projet signé Italians Do It Better : Symmetry, THEMES FOR AN IMAGINARY FILM, avec toujours Johny Jewel en chef de chantier. Cet assemblage de musique sur près de deux heures a parfois été faussement pris pour un projet de bande originale refusé pour Drive. Il n’en est apparemment rien, même si évidemment les ressemblances existent avec le travail de Cliff Martinez et que la fourre du vinyle montre un volant d’une voiture se dirigeant vers un horizon rosâtre. Sur ces deux heures, presque aucune voix, seule cette clôture avec le titre des Chromatics. Ce genre de projet, s’il surprendra peu les habitués des recettes Italians Do It Better, pousse à l’admiration sur la maitrise d’une telle identité sonore, permettant d’en explorer les diverses facettes de manière brute sans provoquer ni ennui ni répétition. Ce disque prouve que derrière ces albums disco existe bien un producteur surdoué, retriturant les influences italo disco avec talent et intelligence.



Pierre : Au rayon rock plus tradi, mars ne change pas grand chose, à nouveau des déceptions. On commence avec Alabama Shakes et son BOYS AND GIRLS. C’est bien l’inverse du tube déjanté de Blur. Je n’ai pas franchement envie de trainer sur un énième disque franchement réactionnaire : à nouveau, de la bonne vieille musique plan-plan qui ne redécouvre le bayou américain que pour le laver plus propre que propre. Les Kings Of Leon avaient montré la voie dès leur troisième album. Ma foi, il se trouve que plein de groupes ont eu le mauvais goût de les suivre. Je détesterai encore plus ce groupe si le chanteur était un petit blanc qui se la joue soul. S’il se trouve que dans Alabama Shakes il s’agit d’une chanteuse afro-américaine, cela ne va pas changer pour autant mon avis sur cette musique insipide, rétrograde et proprette.



Julien: Bon, hum, c'est que tu connais bien le sujet semble-t-il. Pour le coup, nous devrions inviter Maxime Morisod, très au fait des premières passes d'armes des Kings of Leon. Il est vrai qu'Alabama Shakes tire les bonnes ficelles, signant de plus chez les britanniques Rough Trades, permettant ainsi une très grande diffusion - on parie qu'on les voit dans tous les festivals cet été? Il est aussi vrai qu'Alabama Shakes sait comment sonner US et attirer les masses. "Rise to the Sun" mêle autant un revival soul qu'on a quasi rongé jusqu'à l'os que ce rock sudiste. Sinon? " You Ain’t Alone" devrait plaire à ma mère qui est resté scotché sur Redding et les Supremes (elle a adoré le dernier Tindersticks tout de même), "On Your Way" la joue épique et sacrément chaleureux dans ce blues stéréotypé. Toutefois, tout ceci est un peu trop cul-terreux et sent effectivement le renfermé. Putain, on est en 2012! Ce revival perpétuel qu'on observe dans presque chaque style


Pierre : Autre déception plus émotive, le nouveau Spiritualized, SWEET HEART SWEET LIGHT. Pour les néophytes, rappelons que Sipiritualized, c’est un des deux projets issus du split des géniaux Spacemen 3. Si j’ai toujours préféré l’axe Sonic Boom, impossible de nier la beauté de disques comme LADIES & GENTLEMEN WE ARE FLOATING IN SPACE ou LET IT COME DOWN. Le problème avec SWEET HEART SWEET LIGHT ne tient pas tellement à une perte de beauté, la plupart des titres restent très jolis. Ce qui est plus dommage, c’est que le groupe a petit à petit perdu tous les reflets de shoegaze et de psychédélisme qu’il gardait cachés sous les mélopées de ses mélodies. Ici, les chansons continuent à durer plus de huit minutes mais par routine et par un collage forcé. De leurs côtés, les refrains finissent par être quand même beaucoup trop mielleux. Si SWEET HEART SWEET LIGHT reste en soi un bon album, très bien écrit et exécuté, les plus belles années sont passées pour Spiritualized.






Julien: On passe d'un revival à un autre. Michael Kiwanuka a sûrement signé l'un des dix meilleurs titres FM de l'année avec "Tell Me a Tale", soul bien foutue, cuivres et cordes parfaites, structure super maîtrisée, batterie sèche et en retrait. Et puis cette voix. Oui, c'est du Otis Redding (encore lui), c'est de la "soul sepia" comme on peut lire un peu partout dans les journaux. Sinon? J'ai pas mal de tendresse pour ce titre toutefois, aussi nostalgique que fatalement actuel, soul produite par des ingés sons hautement qualifiés dans l'hybridation ancien-nouveau, calibré pour marcher. Cet album annonçant splendidement un premier album - HOME AGAIN en passe de triompher pour l'été. Si si, "I'm Getting Ready" prendra la succession du titre sus-nommé, et "Home Again" fera pleurer pas mal de gens (les violons sont mignons, il faut le relever). C'est toujours mieux ça que d'écouter un énième album de Ben Harper. Ou de Ben l'Oncle Soul tiens. Alors qu'on cherche souvent midi à quatorze heures dans nos colonnes musicales sur Think Tank, ce HOME AGAIN calme par son humilité et son évidence; il suffit de le voir chanter le titre du même nom à la Cigale pour se trouver désarmé de toute forme de critique que ce soit (hormis cette présence incontournable du vieux dans le neuf). Kiwanuka aime son truc, le fait bien et humblement (les prétentions, c'est pour demain). A voir aussi un peu partout cet été, sans doute…Passons à plus rugueux maintenant.



Pierre : En attendant un article spécifique sur la crème du hip hop de ces derniers mois, revenons en quelques mots sur la nouvelle mixtape du crew ASAP. En fait, rien de nouveau, c’est juste la version live de LOLIVEASAP. La qualité des quelques freestyle ne justifie pas à donner beaucoup d’intérêt à cette nouvelle version, écouter du live ou freestyle sur album restant souvent une activité absurde. Les blablas interminables des rappeurs en début de chansons n'en sont que plus pénibles. Pour du bien plus intéressants, il faut se tourner vers les derniers featuring de ASAP Rocky. On avait pas encore parlé de celui avec ScHoolBoy Q : "Hands on the Wheel". Véritable tuerie où ASAP Rocky écrase son hôte dans une chanson qui lui doit tout. Grosse dose. Par contre, quand on a appris qu’ASAP Rocky collaborait avec Lana Del Rey, on a cru à un poisson d’avril. Il semblerait que ce ne soit pas le cas et difficile de ne pas être un peu titillé par cette association inattendue qui voit Lana Del Rey entonner un flow pas si naze que ça et ASAP Rocky se faire soudain si tendre.


Julien: Oui, nous avions parlé il y a quelque temps de la mixtape de SCHoolBoy Q, SETBACKS. Sinon je crois que nous attendons tous ton point de vue sur le nouveau EP de 1995 - LA SUITE–, toi qui était aux premiers rangs quand le phénomène a explosé (et mis Think Tank au centre des débats des kids hip hop de France) et qui s'est désolé des prestations scéniques de la jeune troupe. De plus, il me semble que La Gale, digne représentante d'un hip hop helvétique en mal de têtes d'affiches, vient de sortir son album inaugural et se retrouvera dans une super chronique à paraître chez nous. On reprend l'avion direction la Grande Bretagne avec Wiley qui avait sorti fin février son album EVOLVE OR BE EXTINCT, avec le tube "Boom Blast", reprenant le grime disco là où Dizzee Rascal l'avait laissé. L'ancien pillier de l'UK Garage joue toutefois plus sérieusement son jeu à succès et pique sur "Scar" ou le vif "Highs and Lows", rappe sur les gros subs de "Link Up" (on sent les soirées dans les caves londoniennes) et baisse la garde sur d'autres titres plus légers ("Only Human" ou "Life At Sea"). 70 minutes de EVOLVE OR BE EXTINCT, pas une de moins: Wiley ne fait pas les choses à moitié mais garde ce rythme cadencé sur la longueur.






Julien: Je poursuis dans le registre hip hop avec le grand disque du genre du mois de mars: THEESatisfaction annonce le ton: "turn off the swag!". "Queens" est un pure tube, rappelant ici le featuring de Azealia Banks sur un titre de Lone. Le sample est house, les voix sensuelles, le rap est tapissé dans l'ombre du parasol. Le titre sensuel de ce printemps, assurément. AWE NATURALE (écrit awE naturalE) est non plus pas mal fichu, dans un rap malin étant au genre ce que semble avoir fait récemment Prinzhorn Dance School avec le rock: le démanteler, n'en garder que quelques sonorités pour servir des mini morceaux à la candeur presque frustrante. "Je sais faire de la musique, mais je ne t'en donnerai que quelques bouts" semble être le mot d'ordre du duo. "Earthseed" est aussi imparable, sonnant comme un titre de blaxploitation moderne et granuleux. A Seattle, Stasia Irons et Catherine Harris-White semble comme déconnectées du monde réel du hip hop - même si "God" est un pur morceau du genre - en livrant un album chaud ("Existinct", magnifique), intelligent, bien documenté (il y a même du funk! - "Sweet"-, malin) et bien produit. Pour finir en rigolant, écoutez aussi le titre "Sandra Bollocks Black Baby" pour comprendre que THEEsatisfaction n'est pas un duo sans crocs. Mon album du mois numéro deux en somme…



Pierre : Aujourd’hui pour trouver un bon disque à guitare, on a deux choix : soit c’est le premier album d’un groupe, soit c’est son dixième album. Et entre deux, on s’ennuie. TOPS ont de la chance, ils sortent justement leur premier album avec toutes les qualités rêvées : insouciance, candeur et limpidité. Ce premier essai, TENDER OPPOSITES, sorti chez les orfèvres d’Atelier Ciseaux, jouit d’une très belle présentation en cassette comme en vinyle. Sur huit titres délicieux, l’innocence de TOPS leur permet de tout réussir, même les refrains funky naïfs. Alliant la mélancolie de synthé très italo disco à l’enjouement de guitares et à la suavité de la voix de la chanteuse, TOPS ne bouleversent pas mais délivrent huit titres tendres et séduisant, c’est déjà beaucoup. Un exemple avec le single "Rings of Saturn" au joli clip rétro.



Julien: Peut-être que ton hypothèse marche aussi avec Breton, plus que hype en ce début des beaux jours (je les attends encore en Allemagne). Après quelques EPs, les londoniens livrent leur premier LP pas si altruiste que ça en a l'air - OTHER'S PEOPLE PROBLEM, assez proche de Hard Fi mais sans l’héroïsme chancelant, chipant ici et là des boucles de la rue ("Pacemaker") pour sonner comme un Klaxons du matin (ou non-alcoolisé). Autant dire fissa qu'on s'embête la moindre. "Edward the Confessor" justifie les craintes, où l'on peut désormais localiser la provenances des beats, non loin de ceux de RJD2 (on reste de fait assez proche de Hard Fi). En poursuivant l'équation Breton (non mais le nom…), on sent la bonne affaire sur le bien foutu "2 Years" et ses violons samplés. En faut-il plus? "Wood and Plastic" prouve que les violons sont très chics en ce début de décennie, "Governing Correctly" est plus mauvais que les derniers Bloc Party, sans la moindre idée, "Interference" réussit d'être presque inécoutable, où les violons jouent des coudes avec des beats, des chœurs, des cordes et des mauvaises voix. Ah oui, il y a le morceau hanté du morceau, avec "Ghost Note". Mais qui sont-ils? Où vont-ils?


Julien: Plus rassurant, Lotus Plaza replace le bon goût au centre des débats en cette fin de Speaches. Les premières notes de SPOOKY ACTION AT A DISTANCE donne l'origine du projet: de Deerhunter, son guitariste (Lockett Pundt) pour signer son second album solo. Le mec sait donc comment sonner shoegaze élégamment mais ne s'en contente pas, en mettant plus d'aplomb dans son album que dans les derniers de Deerhunter, assez vaporeux ou pop suivant lesquels. Des titres comme "Monoliths" démontrent que son groupe principal n'est pas uniquement piloté par Bradford Cox, comme la plupart des suiveurs semblent le penser, se fixant dans le sillage d'une britpop royale. D'autres comme "Jet Out of the Tundra" ou "Remember Our Days" sont des lumineux titres taillés pour la route; Lotus Plaza est certes dans la digne lignée de Deerhunter, mais ce pedigree n'est pas une tare. Lockett Pundt signe un disque classe sans les prétentions et desseins revanchards des guitaristes oubliés de formations à succès ("Black Buzz", quelle fin!). Ceci prouvant que Deerhunter n'est pas un gros groupe, mais un très grand groupe. Le mois prochain, on dissertera aussi sur un autre guitariste, Graham Coxon, et son huitième album hors Blur.








Pierre : Trevor Jackson a sorti en ce début d’année la compilation METAL DANCE, mélangeant célébrités et raretés de musique Indu, Post-punk et Electronic Body Music, bref de la new wave bruitiste mais un peu dansante quand même. L’exercice de la compilation est toujours délicat. L’intérêt réside souvent dans les moments où elle permet de découvrir ces fameux trésors méconnus, avec le risque inverse de déterrer des groupes qui n’ont pas été oubliés pour rien. Chacun trouvera sûrement un peu de ces deux phénomènes dans METAL DANCE. Laissons chaque auditeur se faire son point de vue, le travail de découverte de styles indispensables (si vous ne connaissez pas la musique Indu et EBM, achetez vite ce disque) étant déjà passablement mâché par cette compilation de 23 titres. Avouons seulement la déception personnelle que cette compilation ne soit pas si dansante que ça, que le remix de Gabi de "Brothers" de D.A.F. est tellement moins bien que l’originale et finissons avec un coup de cœur : l'edit de "Wheels Over Indian Rails" de Stanton Miranda.


Julien: Après avoir débuté avec la dubstep très douteuse de Rusko, finissons ce Speaches hétéroclyte avec deux grand monsieur de la folk contemporaine de l'Illinois, Andrew Bird et Sufjan Stevens. Le premier relève d'un certaine idée d'une folk classique, lyrique, et aux racines évidentes ("Danse Carribe"). Depuis 1997, le Chicagoan tient la cadence d'un album par année, ou presque. Il va sans dire que BREAK IT YOURSELF n'agit pas dans un autre registre, ni ne réinvente le folk. Il y a toutefois de belles pièces ("Give it Away"), de bien belles allures ("Lazy Projector", "Lusitania"), du proto irlandais ("Orpheo Looks Back"). Sans s'en rendre forcément compte, on tient là un album de folk bien plus moderne qu'il n'en a l'air ("Sifters"), où Bird froisse des arrangements entre deux morceaux classiques. Sufjan Stevens lui est depuis longtemps dans d'autres sphères sonores: partis pour faire un album par états des USA chaque année, Stevens a viré et s'est acheté un gros séquenceur (et un auto-tune) par là même. Puisant en l'art de Royal Robertson un influence stupéfiante, THE AGE OF ADZ est le dernier fait d'arme de Stevens, entre le déglingo et le flamboyant. Les gardiens du folk auront aussitôt tracé le nom de Sufjan Stevens de leur guest list, c'est certain. Aux côtés de Serengeti et de Son Lux, il a créé l'étrange union s / s / s pour le sophistiqué BEAK AND CLAW, où l'on sent sa patte sur "Museum Day" sans pour autant tout monopoliser. "If This is Real" emmène l'étonnant trio dans un registre R&B assez dément, dense et foutraque. Stevens redevient plus présent sur "Octomon" avec ce genre de structures rythmiques déjà développées dans THE AGE OF ADZ. Démontrant bien qu'il ne fait rien comme les autres, Sufjan Stevens monte un supergroupe mais sonne complètement indé et barré, dans un plan qui semble totalement commercialement foireux. Musicalement, on n'est pas dans l'avant-gardisme, sonnant tout de même très contemporain dans ce hip hop toujours plus maqué avec la pop. L'occasion aussi de d'entendre sur "Beyond any Time" que Stevens pourrait faire un grand chanteur de R&B actuel – l'idée doit d'ailleurs le tarauder. De quoi brillamment boucler ce Speaches aux multiples genres musicaux, pas forcément assurés ni totalement convaincant par moment; reste qu'avec des disques comme ceux de Julia Holter, Buvette, THEESatisfaction ou encore Chromatics, nous tenons des disques de grande allure (faut de temps, nous parlerons des nouveaux The Shines, WhoMadeWho, VCMG, Odd Future… Xiu Xiu le mois prochain).


Disque du mois
Pierre:  Buvette, PALAPA LUPITA
Julien: Julia Holter, EKSTASIS

Singles du mois
Pierre: Danny Brown, "Grown Up"
           Xander Harris, "The Driver" 
 Julien: THEESatisfaction, "Queens"


Clip du mois