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27 mars 2012

Musikunterstadl: Buvette & Shazam Bell

Photo: Julien Gremaud
C'était il n'y pas si longtemps: dans "Losing my Edge", name-dropping à l'électroclash élémentaire, James Murphy se prend des baffes et accuse, un peu pour rire: « I hear that you and your band have sold your guitars and bought turntables ». Le titre date de 2002, l'énoncé devrait parler des kids des années 1980. Juste derrière: « I hear that you and your band have sold your turntables and bought guitars ». Nous sommes en 2002, The Libertines éclatent, The Strokes ont livré le saint album, la suite, on connait: royale pour ainsi mieux finir la tête dans le mur. Pendant ce temps-là, la musique électronique vis des heures sombres mais ô combien créatives. Le cerveau de LCD Soundsystem le sait lui, et il ne lâche pas l'affaire. En 2012, tout le monde est retourné aux platines (et autres objets synthétiques) depuis quelques temps. Après les demoiselles Soap&Skin et Kate Wax, voilà deux jeunes hommes d'époque pour ce nouveau Musikunterstadl: Buvette et Shazam Bell.

On ne cesse de le répéter, que cela soit sur nos Speaches mensuels ou lors des recensions de fins d'années: des formes musicales jusqu'alors élitistes envahissent les radios, le hip hop a su tirer des machines une nouvelle inspiration et de bien meilleures prétentions que dix ans auparavant, la pop jouit de métissage dément. Au milieu des débats, l'électronique semble n'avoir jamais été aussi en forme, alors que son meilleur ennemi le rock est à la ramasse. On schématise, on pourrait dire que la musique qui passe au D! Club est toujours aussi mauvaise et que les concerts du Romandie sont de bon niveau (Chad Vangaalen récemment). Certes, mais tout le monde le sait, le réel intérêt dans les musiques défricheuses est à chercher dans celles digitales. Actuellement. Peut-être que demain ça ne sera plus le cas, alors qu'on s'aprête à boucler le revival 80's pour mieux embrasser celui des dix années suivantes, assez laides cela dit (le grunge et puis le mirage britpop). Soyons sérieux et arrêtons de se projeter: dans cette édition des musiques helvétiques, nous tenons deux exemples marquants, jeunes et exigeants. Shazam Bell n'avait ô grand jamais passé dans nos flux internet et pourtant on connait d'où il vient, son pedigree et son activité musical. Enfin, on croyait savoir. Josef of the Fountain sort 1101 LIGHTHOUSE en 2009, EP aussi froid que marquant, perce un peu, promet. Et puis plus rien ou presque. Dommage. On attend toujours des nouvelles de ces gens de la Côte. Buvette est lui un régulier de nos colonnes, avec une aventure solo commencée en 2010 – HOUSES AND THE VOICES, des dates de plus en plus loin de la maison, des résidences outre Atlantiques et une attention plus que respectable de la presse. Ce premier LP, c'était relativement peu de temps après son départ des Mondrians. Encore en plein apprentissage de leur nouveau modus operandi, Buvette et Shazam Bell expriment judicieusement cette évolution substantielle de la musique contemporaine, polymorphe et surtout toujours plus synthétique. En outre, ils prouvent aisément qu'on peut voir plus loin que l'horizon d'un rock relativement peu ouvert.


On ne connaît pas toute l'histoire autour du projet Shazam Bell mais on se laisse imaginer: un séquenceur, un laptop, un synthé et pas mal de temps perdu dans un nouveau monde qui s'ouvre à soi, seul devant des pistes artificielle et de simples plaisirs. "Say What" des Round Table Knights est remixé proprement l'an passé, sans folie mais avec déjà une idée derrière la tête: le décors sera lumineux et dansant. House, la mixtape postée sur son Soundcloud l'est aussi. "Mi Mujer" de Nicolas Jaar lance les 40 minutes de mix. C'est gonflé. Où comment passer, allez, de "Disorder" de Joy Division au jeune premier d'une IDM bouillante. Récemment, SHAZAM BELL est publié sur internet, consistant en un 3-titre inaugural. Peut-on parler encore de demo à l'heure où Apple permet des choses absolument folles avec peu de moyens dans ce style de musique? Le concours national Demotape Clinic y répond d'un grand oui et sacre le Lausannois dans la catégorie électronique. Autant dire que personne n'a dû s'y attendre pour un concours ayant alors sacré des acteurs de la scène musicale déjà bien établis. Là aussi c'est assez gonflé, mais on doit reconnaître que le jury formé par le festival m4music aurait pu faire pire. Alors que Buvette tisse une electronica chétive et en garde sous le pied, Shazam Bell rentre nettement plus ses diagrammes dans les rythmiques purement électroniques. A ce titre, "Masaia" risque de tourner allégrement dans les open airs cet été, de fort bon goût, séduisant la légère et bouleversant l'exigeant. "You Carina" creuse d'autres sillons, plus en ruptures mais gardant la souplesse de "Masaia", des contours hantés longent ses bords, le rythme perd 15BPM, on est proche de la séduction lascive ici. Si les deux premiers titres relèvent autant de belles figures comme Four Tet, Zomby ou Walls, "A priori, I love you" termine le EP dans un registre plus ambient et post noise, entre John Maus et Robot Koch. Trois titres et pas mal de promesses pour le futur. Comme quoi le rock vous amène à tout.


Buvette ne nous contredirait d'ailleurs nullement tout en amenant d'autres sources sur la table: avec son premier LP, le co-fondateur du label Rowboat concrétisait ce fameux virage à 180° exprimé ci-dessus, quittant une formation rock - The Mondrians - bricolait des sons, livrait des chorales en miniature, des infrabasses en cachette et ravissait pas mal de monde. A l'époque, on appelait cela de l'électro-pop naïf, ou de la folktronica. "The Wheel" tournait aisément comme single, alors que les suiveurs lui préférait "Motril" et surtout l'hymnique "Bottles", mini-tube entre le Madchester et la confession de foi. Fin 2010, nous déclarions: « Le but, forcément, c'est d'aller plus loin (…) Les voiles sortiront sans qu'on s'en aperçoive ». Shazam Bell n'est qu'à la première étape, celle où l'on a encore rien à perdre. Cédric Streuli doit désormais assumer des responsabilités grandissantes alors que sort son second album - même s'il reste stupide de parler du "toujours difficile deuxième album", comme si les suivants allaient de soi. Conçu au Mexique, nouvelle terre d'accueil du svelte musicien, PALAPA LUPITA précise le propos: si "Directions" garde la bonhomie du premier LP, en crescendo instrumental, effilé pour laisser la place à une intensité impérieuse, dans un refrain (aux côtés de Kurz Welle) placé alors que les basses se profilent. Peu avant, "Faith in Tigers" s'inscrit comme le grand morceau d'ouverture, délimité par une rythmique minimale mais sans plafond: on a rarement vu un Buvette aussi sensuel, la ritournelle prenant son effet sur ce morceau linéaire et chanté avec un lyrisme nouveau pour lui.


La rythmique générale de l'album est drastiquement descendue au-dessous des 110BPM et affiche un Buvette aérant ses compositions pour mieux les produire, plus matures mais peut-être moins folles que celles de HOUSES AND THE VOICES. L'évolution est plus que sensible, même si le son reste typique de Streuli (accords majeurs, électro freak, dub et pop, chant ultra présent). "Palapa Lupita" et "Anequndi-Sanapur" sont deux instrumentaux montrant ici une autre facette de l'ancien batteur des Mondrians, influencé autant par Can que Giorgio Moroder et partageant avec ses proches d'Übeerrel un goût immodéré pour le dub instrumental. Parmi les autres nouveautés, "Heavy Juana" inclu le sample, outil jusqu'alors jamais utilisé par Buvette, mais ici introduit avec fort bon goût (un saxophone kurde), rappelant légitimement tant les productions de Nicolas Jaar qu'un Beach House cramé. La grande réussite de l'album, aussi accessible qu'imparable. La fin de  PALAPA LUPITA déconcertera avec un "Inside Life" rappelant les productions 80's et leur trip des synthés et des sons asiatiques; ""Salty Tong (Part.2)" boucle ce 9-titres sans équivoque en déplaçant le propos dans les rails des britanniques, Nathan Fake en tête, ou, plus récemment, Com Truise. Si HOUSES AND THE VOICES se finissait sur une chorale ébouriffante, PALAPA LUPITA lui gère sa fin à l'aise sur la piste de danse des fins connaisseurs de l'électro minimale, avec là aussi quelques synthés 80's. Ca ne veut pas dire que Buvette livrera un troisième album aux confins de Border Community ou de scape, cela ne veut pas dire non plus qu'il faudra attendre de sa part qu'il revienne sur ses premières compositions, la tête toujours plus dans l'électronique, les pieds bien fixés sur terre. En voilà deux jolies évolutions stylistiques personnelles.





Directions by BUVETTE