Photo: Julien Gremaud/Mouvement: vitfait |
Ancien des excellents Mondrians, Buvette confirme son virage à 180° sur son premier album, auto-produit, figurant dans la liste des essentiels de 2010. On tente d'expliquer pourquoi.
A l'heure où ces lignes sont publiées, Buvette n'est plus de ce continent. Les pieds au chaud, direction très loin, l'Inde. Ou la quête d'un père apparaissant ponctuellement dans la musique de ce jeune suisse romand, de descendance suisse allemande. Pour preuve, un témoignage poignant au micro du dinosaure de la RSR, Gérard Suter, qui en connaît pourtant un rayon en matière d'histoires personnelles. C'était une de ces interviews à la va-vite à défaut de faire mieux, dans le défilement incessants d'artistes présents au Montreux Jazz. Il a fallu le convaincre l'ami Buvette, si humble et intègre. "No interview" pourrait être sa devise. Alors il parla de son enfance, de ses proches, dans sa vision quasi exclusive de la musique qu'on croirait par moment embrouillée. Avec toujours cette obstination d'en dire le moins possible, l'usage des paraboles prenant là toute sa force. Tentons le lieu commun: ses compositions parlent d'elles-mêmes et surtout de ce dernier.
Cela dit, il a récemment fait une exception: on se souvient en effet de propos tranchants dans une pleine page lui étant consacrée dans le quotidien le Temps, orchestrée par Rocco Zacheo: «Je n’ai qu’une chose en tête, c’est partir d’ici, quitter ce pays (la Suisse ndlr.). Je m’imagine mal devenir un artiste local et me produire toute ma vie à Label Suisse, ce festival organisé par la Radio Suisse romande ». Celui qui a créé le label Rowboat en compagnie de Pat V ne rejette pas ses proches ainsi que les groupes qu'il promeut, surtout pas. Juste une histoire de clairvoyance ou d'humilité, encore elle. Certes, ce Leysenoud de sang et Veveysans de coeur ne fera pas dans le stadium rock. Cet anti-héros a toutefois gravi les échellons à une vitesse ahurissante pour quelqu'un refusant l'exposition facile. Ca doit en énerver bon nombre. Lui s'en fiche, surtout que c'est connu, Buvette n'a pas d'ennemi. Les guerres d'égo, très peu pour lui; les groupes étiquetés "1800 Vevey" - une saine émulation à tendance hippie - était sa famille toute trouvée, son terrain de création bien que Leysin fusse le lieu de naissance de son premier LP, HOUSES AND THE VOICES (enregistré avec un ami proche, Benjamin Bard).
Huit titres familiers pour les suiveurs attentifs de cet inconditionnel du FC Zürich et de Keith Moon, huit titres ayant mûri au fil de concerts mesurés et sobres, parfois imprévus, clandestins ou détonants. Il y a notamment le chimérique "Top Pub Songs", proche d'un Syd Barrett, le très dub "Forget The Mirrors" avec ses ultra basses, mais aussi le plus Panda Bear "Motril" ou encore le dilligent "Tiny Islands" à caser à côté de Dan Deacon et son "Build Voice". Certains regretteront la spontanéité de ces titres première version en arguant que Buvette a perdu sa face bricolage en propulsant ses titres sur une autre cylindrée; d'autres verront là une nouvelle étape, avec, en filigrane, le début de la reconnaissance et de nouvelles orientations. "Bottles", par exemple, laisse de côté un chant discret des débuts pour ouvrir sur une chorale allègre et éclatante, dépassant le cadre électro-pop dans lequel on serait tenté de loger Buvette. L'électro prend elle aussi une autre dimension sur l'un des nouveaux titres de l'album, "Tarot Cards", syncopée jubilatoire osant la grimpette gracile vers un épilogue qui aurait pu figurer sur la bande-son idéale des supporters sonnés de tout ce qui se faisait de bien au Nord de l'Angleterre avant que Cantona n'y débarque, entre New Order et Happy Mondays. Du baggy électro sans voyage dantesque aux Caraïbes.
Buvette est en Inde alors que son premier album (distribué par l'excellente boutique Namskeïo) s'échange sous le manteau, devenant imperceptiblement un sujet de discussion essentiel et affolant les meilleurs critiques nationaux. Le but, forcément, c'est d'aller plus loin, de sortir d'ici, non pas à défaut de clubs ou de bonne réception, mais parce qu'il est impératif que cette musique voyage, s'exporte, immigre vers d'autres réceptacles. Il n'est pas vain ni hautain de viser plus haut quand on a le talent et le vent qui nous porte. L'épopée est incertaine, le vouloir n'est pas le pouvoir, mais la prise est bonne. Savourons pour l'instant ce premier jet raisonnable et bien taillé. Les voiles sortiront sans qu'on s'en aperçoive. Super!