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31 mars 2012

Que vont voir les Suisses romands au cinéma ?

Photo: Julien Gremaud

Une prise de considération est nécessaire. À la vue du box-office de la dernière semaine de mars en 2012, synonyme de clôture du premier trimestre de l’année, le classement des films les plus vus par les Suisses romands est le suivant : 1er Cloclo, 2e Les Infidèles, 3e Projet X, 4e John Carter et en 5e position La Dame en noir. Jouons à l’analyse sociologique et sans prétention du goût des spectateurs helvètes.

Précisons tout d’abord quelques chiffres : parmi le top 5 actuel, Les Infidèles et John Carter sont les plus vieux du classement, avec pour le premier quatre semaines d’ancienneté et trois pour John Carter. Les trois autres sont arrivés en même temps en salles, à la mi-mars et entament donc leur deuxième semaine. Le nombre de spectateurs cumulés pour Les Infidèles est de 34'000 contre 12'000 pour John Carter. Le film le plus vu reste Intouchables avec un demi-million d’entrées pour sa vingtième semaine (ce qui est énorme) mais ne dépasse désormais plus les 1700 entrées hebdomadaire. Dans ce top 5, nous trouvons 2 films français, 2 « blockbusters » américains et un film british. Ce constat confirme l’année 2011 en France qui a vu un record d’audience dans les salles pour les films du pays. Annoncé comme le « film événement », Cloclo passe sa première semaine au sommet du top suisse et s’assure donc un départ en or. Le film à sketchs avec l’artiste Dujardin marche à souhaits et sonne un double avertissement : pour la gent féminine qui doit sérieusement commencer à se méfier de leur petit ami ou mari (!), et pour le cerveau, pour la demi-merde qu’on lui propose. Car le souci est bien là, au niveau qualité, ce top 5 fait peur.


En panne de talents
Projet X, produit par le mec des deux Hangover, est basé sur cette idée que faire la fête c’est génial mais qu’au bout d’un moment il ne faut pas aller trop loin car on risque de s’en ramasser plein la gueule, au sens propre et figuré. Un film d’ado qui a tous les clichés du long-métrage foiré et ridicule. John Carter, production onéreuse et déjà pressenti comme l’un des plus gros flops des studios Disney, ne vole pas bien haut non plus. Mise à part les scènes où nous nous trouvons avec les martiens verts à quatre bras et ces sympathiques vaisseaux à plumes, le pourtant acclamé Andrew Stanton (Wall-E, Le Monde de Nemo – rien que ça !) nous livre une adaptation de l’œuvre d’Edgar Rice Burroughs faiblarde et kitsch, sans idée scénaristique audacieuse. L’Amérique nous avait habitué à mieux. Toujours en english, le premier film de la difficile ère post-Harry Potter de Daniel Radcliff n’est pas plus transcendant. Film d’épouvante type "maison hantée" avec une femme morte qui revient se venger des âmes des mortels, La Dame en noir a le bénéfice de sa catégorisation "film d'horreur" : notre corps réagit, on frémit, on a un peu peur, on sursaute, et on sort de la salle en rigolant haut et fort que "c’était vraiment pas terrible". Et les beaux plans des plaines brumeuses d’Angleterre ne viendront pas sauver un film dont la fin nous fait presque frémir… de honte d’avoir acheté sa place 16.- prix étudiant.

Il reste les deux premiers films du top, avec en 2e le film à sketchs qui met en scène Dujardin et son acolyte Gilles Lellouche, qui est entre autres réalisé par Hazanavicius mais dont le cinéaste se serait bien privé, boudant la promo de ce film qui démarre sur une idée intéressante (le film à sketchs comique et débrayé comme le faisaient bien les Italiens dans les années 60) mais qui ne compte aucune bonne manœuvre, sauf peut-être le sketch numéro 2 où Dujardin passe le week-end en séminaire d’entreprise où il essaie de tromper sa femme mais n’y arrive finalement pas. Au-delà, Les Infidèles est une suite de clichés pedants, d’humour grinçant jamais hilarant, d’histoires cent fois imaginées par tous, le tout mal filmé et pataugeant dans le misérable frenchy. La fin se termine sur une morale affligeante et homophobe. Ah pardon, c’était une blague ? Finalement, Cloclo, le biopic sur Claude François, arrive presque comme un dessert à la fraise dans cette bouillabaisse indigeste.


Le problème du biopic
Biopic modèle, classique, qui part de la petite enfance en Egypte jusqu’à l’électrochoc dans la salle de bain de l’appartement parisien, Cloclo connaît des hauts (peu) et des bas (beaucoup) dans un film un brin trop long mais sans jamais être vraiment pénible. La séquence où Claude se rend à l’Olympia pour voir Johnny est parfaitement maîtrisée et nous nous croyons véritablement à ce concert de 1962, en compagnie de groupies hurleuses et de jolis garçons débrayés ; le son a une profondeur rare et réussit à nous faire goûter à une expérience unique, dorée, et pourtant datée. Les dialogues sont souvent mauvais, les pistes narratives esquissées et les ellipses de temps trop hasardeuses, comme lorsqu’on voit Claude heureux avec sa nouvelle femme – anti-thèse de sa vie de star, la seule personne qui réussit à le rendre calme – et qui, d’un plan à l’autre, batifole avec des groupies sans que cela soit un problème pour sa femme (l'ombre des Infidèles plane...). Les séquences du "moment de création" sont complètement ridicules comme celle de la composition de son chef d'oeuvre Comme d'habitude au bord du bassin, serviette à la hanche et lunettes rétro dans les cheveux. Le réalisateur passe trop vite sur des thèmes intéressants (Claude qui cache un de ses enfants, sa volonté à toujours vouloir être le numéro 1, sa jalousie) sans rentrer forcément dans le sujet, ce qui démontre tout le problème du film. Du coup, on passe de la crise financière de la boîte d’édition de Claude à un nouveau tube enregistré au bord de sa piscine au réveillon de Noël en famille. Tout va trop vite sans jouer intelligemment de cette rapidité qui pourrait être lumineuse à exploiter (David Fincher le fait très bien dans Social Network par exemple). Du coup, on se demande si des sujets comme celui de la vie de Claude François ne devrait pas plutôt être traité à la télévision, sur plusieurs épisodes, où l’on prendrait le temps d’expliquer certains moments de sa vie qui donnent à être exploités en profondeur, avec du temps et la manière. Ou alors, l’autre solution, est de détourner le biopic, et donc rejouer une vie sur un mode différent, comme l’avait plutôt bien fait Joann Sfar pour le film sur Gainsbourg.


Ce top 5 du box-office en Suisse romande permet de constater qu’aucun genre n’est majoritaire puisqu’on recèle cinq long-métrages au style complètement différent : un biopic, un film à sketchs, un s-f, une comédie et un film d’épouvante. Une première conclusion se dessine : le public a le choix. Mais un choix limité au niveau qualitatif, puisque aucun de ces films nous semblent bons et que nous trouvons même la plupart plutôt en dessous de la moyenne et ce n’est pas La Colère des Titans qui viendra relever le niveau cette semaine. Il ne nous reste plus qu’à vous donner quelques conseils pour ne pas croire à un début d’année catastrophique : Un cuento chino (comédie espagnole), 38 témoins (que la critique française applaudit justement) et Elena (film russe) semblent valoir le déplacement.