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11 mai 2011

TANKART: Douglas Gordon à Paris

Photo: Robert McKeever, "Blind Star Series: Mirror Blind Greta", Douglas Gordon, 2002
Toujours dans notre série "artistes vidéos" (Philippe Parreno, Pierre Huygues ou encore Tony Oursler),  Douglas Gordon expose pour la sixième fois à la galerie Yvon Lambert. "Phantom", visible jusqu'au 3 juin, présente de nouvelles œuvres de l'Ecossais, dont un néon, et deux installations. On y a vite fait un saut.

De la temporalité, ou la décélération: né peu avant la reconnaissance de la pratique vidéo comme véritable art – via notamment l'exposition en 1969 "TV as a Creative Medium" à la galerie new–yorkaise Howard Wise – Douglas Gordon fait ainsi partie de la seconde génération d'artistes vidéo. Si, dans les médias de masse, on réfère régulièrement son patronyme à son long–métrage co–réalisé avec le français Philippe Parreno, "Zidane, un portrait du XXIème Siècle", son empreinte dépasse le cadre de cet exercice de style, aussi honorable fut–il. De Glasgow, lieu de naissance, Gordon en retire son foisonnement culturel, son contre–poids au centrisme londonien, ainsi que son large héritage cinématographique. Et pourtant: il est de ces jeunes préférant s'enfermer dans sa chambre, fuir la grisaille glaswegian pour ainsi trouver ses modèles, via notamment la chaîne Channel 4, proposant alors les classiques du film noir. "La plupart des films que j'ai vus, les ai vus au lit plutôt qu'au cinéma… C'est donc moins le contexte social du regard que son contexte physique, qui a tissé la trame de toutes mes expériences". Gordon déploiera sa pratique télévisuelle dans une oeuvre largement reconnue, avec des thèmes récurrents: la latence de la mémoire et ses incohérences, une sémiologie émotionnelle de même qu'une interrogation des normes et des formes propres au cinéma. Ces champs d'explorations sont isolés voire corrigés; ainsi, dans "Twenty Four Hour Psycho" (1993), l'artiste britannique reprend intégralement l'histoire du film d'Alfred Hitchcock "Psycho" (1960) et sa succession de plans iconiques pour la déployer en très longue durée, sous forme de projection sur écran de 24 heures. Le langage cinématographique se voit remanié sinon transcendé, Gordon introduisant de fait les notions de passé, de présent et d'avenir dans cette expérience amplifiée du temps permise par notre familiarité au film, tout autant que celles d'authenticité et de paternité d'une oeuvre. On y lit aussi cette reproduction d'un espace–temps presque absent, d'une éternité bienheureuse, cloîtré dans sa chambre entouré de ses héros.


"Je suis le nombril du monde": un néon fait de typographie blanche, déglingué, ("Unfinished") sert d'accueil. On n'est assurément pas à une expo de Jeff Koons. La pièce de cette sixième présence parisienne de Gordon étant par ailleurs l'éponyme "Phantom", sous les voûtes, dans le noir, un piano à queue et des yeux géants projetés. Ces yeux sont ceux de Rufus Wainwright qu'on connait bien, chantre d'une folk baroque, néo–classique et vernie. C'est assez imposant, la galerie parle elle d'"expérience mentale et physique presque mystique", les miroirs disposés au fond de l'espace y jouant sans doute pour quelque chose. Ce que nous avons préféré fut toutefois "I am also Hyde", gros trip d'accrochage, réunissant 400 photographies de formats divers, des illustrations et des objets personnels façon salon style, à en donner le tournis à Wolfgang Tillmans, pourtant pimpant en terme d'accrochage. Dans cette thématique omniprésente des fonctionnements et dysfonctionnements de la mémoire à travers l’image et le langage, Gordon fait pourtant une exception cette fois–ci: où, pour la première fois, le britannique ne s’approprie pas des éléments de la culture populaire, mais livre sa propre histoire, via un journal intime géant. A tellement s'exposer, on retrouve moins une introspection qu'une certaine pudeur, totalement envahit par le poids des images jusqu'à ne plus savoir que faire d'elles. Lost but found: à l'instar du nom de son site internet, un foisonnement, un patchwork de cent milles choses, associées, calquées et fusionnées, Douglas Gordon est un de ces artistes qu'on voit comme l'enfant parfait des post–modernistes, passant outre le concept de plagiat pour travailler les références au corps, comme une sorte d'union joviale et foutraque. Ci–dessous, un petit documentaire home made sur l'Ecossais.