MUSIQUE      CINEMA      ARTS VISUELS      LIVRES      POP LUCIDE      POST DIGITAL

15 février 2011

Tankart : Philippe Parreno à la Serpentine Gallery

Film Still: Philippe Parreno, June 8, 1968
Véritable oasis onirique au milieu de l’art marchand londonien, la première exposition individuelle sur sol anglais de Philippe Parreno envoute. Réunissant différentes vidéos de l’artiste, l’installation se présente comme une promenade magique brouillant la frontière qui sépare réalité et fiction. 

Après quelques jours passés à Londres, je commençais à désespérer de voir une bonne expo d’art contemporain. L’expo temporaire de la Tate Modern, Gabriel Orozco, était franchement faible et les différentes galeries ne m’avaient pas d’avantage convaincu, sans parler de l’ennui ressenti à Saatchi, genre ambiance friquée bien naze. Restait donc la Serpentine Gallery, petit pavillon au milieu de Hyde Park, où sévit depuis 2006 un certain Hans Ulrich Obrist. Et donc en ce moment, il y a une exposition de Philippe Parreno. Vous ne pourrez sûrement pas voir cette expo, du moins à la Serpentine Gallery, car elle se termine le 13 février. Et c’est bien dommage. Elle regroupe en fait différentes vidéos de l’artiste, réalisées entre 2003 et 2010, toutes aussi fascinantes. Boy from Mars, tournée en Asie, filme en différents plans fixes une structure architecturale au bord d’une étendue d’eau. Les seuls mouvements sont ceux du vent, de la lumière du soleil et d’autres points électriques mais surtout ceux de buffles actionnant une machine qui permet la production d’électricité nécessaire au film. 8 juin 1968 fait référence au transport de la dépouille de Bob Kennedy de New York à Washington DC, deux jours après son assassinat. Toujours en plans fixes, mais disposés sur un train, la vidéo donne à voir un parcours à travers la campagne peuplée de personnes immobiles dans leur recueillement. Invisible Boy, création la plus récente de Parreno, montre un enfant clandestin chinois dans un appartement que viennent peupler des monstres imaginaires, réalisés à l’aide de rayure sur la pellicule. Enfin dans une quatrième vidéo, ce sont des enfants en colère qui scandent « No More Reality ».


Plus que la qualité individuelle de ces vidéos, entre méditation et émerveillement, c’est le soin apporté par Philippe Parreno à construire l’exposition comme un tout qui ravit. On sort de la simple addition d’œuvres pour entrer dans une expérience plus proche de l’errance, de l’aventure ou du cheminement. Le visiteur est guidé de pièce en pièce, de vidéo en vidéo par le son. Au moment où une de celles-ci se termine, sa bande-son continue dans la pièce ou est remplacée par le son du parc environnant. Quand le silence finit par se faire dans la pièce, on entend un nouveau son qui naît dans une autre, passant du murmure pour finir par être de plus en plus fort. Tu te lèves donc à la recherche de cette suite. Cela fait bien sûr penser à la légende du joueur de flûte de Hamelin mais aussi aux charmeurs de serpents. C’est bien ici le charme de la musique qui est mis en œuvre, son aspect envoûtant et magique. Cette magie se retrouve partout dans ce parcours au sein de la Serpentine Gallery. Quand les stores se lèvent à la fin de la vidéo, il neige dans le parc et on ne sait plus si on préfère rester regarder tomber ces flocons factices ou continuer la ronde. Le parcours dure environ une demi-heure, mais s’enchaîne sans interruption, ce qui a pour effet de modifier le rapport du visiteur à l’exposition. Tout d’abord, il n’y a plus de fin ou de début déterminé. La temporalité est circulaire. Et il n’est pas possible de zapper entre les différentes vidéos. Une seule pièce étant « active » à la fois, on doit se fondre dans le rythme de l’exposition. Cette mise en rythme a un effet extrêmement positif sur la manière de visiter. En effet, elle met à mal le caractère individualiste de la visite d’exposition pour en faire une expérience collective, de partage esthétique. Pour en revenir au caractère magique du son dans cette exposition, là où Parreno fait fort, c’est lorsqu’il y mêle des sons enregistrés en direct dans le parc entourant la galerie. Ainsi, la frontière entre réalité et magie est remise en question. Il ne s’agit pas d’un pur émerveillement métaphysique ou abstrait mais d’un charme advenant au sein ou contre cette réalité. Ce brouillage entre fiction et réalité est bien la constante de cette exposition. Dans Invisible Boy, l’enfant chinois est filmé dans sa chambre sous une forme proche du réalisme social et des monstres viennent habiter cet espace. Le titre indique tant le propos politique de la vidéo – un enfant que la clandestinité force à l’invisibilité (Nobody Knows) – que la présence d’êtres invisibles, simples rayures sur pellicule. 8 juin 1968 fait référence à événement historique mais le rejoue pour en revivre l’émotion, la beauté de ces visages hors du temps regardant passer la dépouille. Le décor de Boy from Mars, comme son titre l’indique, mélange réalité naturelle – des bœufs, un lac, le soleil – et réalité créée – lumières d’ampoules et structure géométrique –, les deux étant reliés par le fait que seul le travail des bœufs permettent aux ampoules de briller et à la caméra de filmer. Enfin, si des enfants manifestent, c’est pour qu’il y ait « no more reality ». Mais ce brouillage entre réalité et fiction, entre magie et travail, entre poésie et critique mis en œuvre par Parreno signifie bien que ce qui est donné à voir n’est pas un simple refus de la réalité pour s’enfuir dans les limbes de l’abstraction pure. Ce qui est plutôt en jeu ici, c’est l’ébranlement de la réalité dans ce qu’elle a de plus froid, de plus concret, de plus institué. Ce qu’au fond Parreno combat à travers ces œuvres, c’est le principe de réalité, c’est-à-dire cette force castratrice et conservatrice qui vise à forcer l’homme à renoncer au plaisir et à la liberté pour se conformer à la réalité présente, en un mot un principe réactionnaire qui voile toute possibilité de changer le réel et donc l’histoire. Parreno, en instituant une narration circulaire mêlant fantaisie et documentaire, invite à ébranler le réel en l’enchantant et/ou en la critiquant. La réalité donnée n’est toujours qu’une contingence. A l’homme, la possibilité de la dépasser par l’imaginaire, par l’émerveillement, par la création, par la critique.