Illustration: burn |
Le membre d’Animal Collective fait sa quatrième sortie en solo. On attend beaucoup de celui qui transforme tout ce qu’il touche en or et une fois de plus ce sont les sommets qui sont atteints. Un album éthéré à la lumière d’aube qui prouve une fois de plus que Panda Bear est au dessus du lot pour ce qui est de la création de mélodies faussement répétitives.
Difficile de ne pas voir en Noah Lennox un génie musical des années 2000. En avance sur tout le monde avec Animal Collective, chacune de ses collaborations avec d’autres formations n’est pas loin d’être à chaque fois la meilleure chanson de l’album, alors même que celui-ci est en l’occurrence loin d’être mauvais. J’en veux pour preuve "Stick To My Side" chez Pantha du Prince et "Walkabout" avec Atlas Sound. Les albums de son projet solo, Panda Bear, sont tout aussi bons, voire meilleurs. Un premier album éponyme sort déjà en 1998 et reste confidentiel, même si on y retrouve l’expérimentation propre aux premiers Animal Collective. Le deuxième, YOUNG PRAYER, composé alors que le père de Noah Lennox est en train de mourir d’un cancer du cerveau, reste un album difficile d’accès, presque acoustique, tressaillant de mélodies fulgurantes et de cris de tristesse. C’est en 2007 que sort sûrement un des chefs d’œuvre des années 2000: PERSON PITCH. Cet album pousse la maitrise du sample au niveau de l’orfèvrerie et le rythme du train sur les rails est à jamais changé pour nous. Deux chansons de plus de douze minutes, "Bros" et "Good Girls/ Carrots" restent parmi ce qui nous a été donné d’entendre de plus beau et de plus grandiose. Quatre ans après, maintenant qu’Animal Collective sont de plus en plus connus, ont sorti un album presque mainstream et s’apprêtent à déverser leurs bonnes paroles à Kilbi, où on est Panda Bear ?
La pochette de l’album et ses dessins de femme en pleur, du fils de Noah Lennox sur ses épaules, sentent l’intimité blanche de mélancolie de Lisbonne. A vrai dire, il n’est pas aisé de parler d’un album qu’on aime beaucoup, tant ce sentiment tient à ce presque-rien indéfinissable, ce surplus qui fait que l’émotion est instantanée et évidemment irraisonnée. TOMBOY est moins complexe que son prédécesseur et atteint peut-être des sommets de composition moins élevés mais le paysage vallonné n’en est pas moins beau. Le beat respire, l’esprit se saccade dans une lente transe d’embruns. Avec des samples, cette fois aidés de guitares, Panda Bear réussit de nouveau à construire des chansons belles à pleurer, avec son talent inné pour le rythme et les mélodies. Il faut dire aussi quelque chose d’un élément qu’on oublie souvent et qui pourtant est une des valeurs indéniables des albums de Panda Bear et d’Animal Collective : le chant de Noah Lennox. Il y a dans ce chant une profondeur et un battement qu’on a parfois qualifié de chamanique ou de tribal. Hors de ces qualifications occidentales, aux relents de colonialisme, il faut reconnaître qu’il y a dans son chant quelque chose d’immédiatement enivrant qui fait se fermer les yeux et se secouer la nuque, qui fait que Panda Bear peut bien chanter à l’infini les mêmes paroles, on ne ressent jamais une répétition froide mais bien plutôt un tourbillon rythmique où n’existe plus ni le haut ni le bas. Le tout est produit par Sonic Boom de feu Spacemen 3, qui signe donc un deuxième album au top de la composition baroque après CONGRATULATIONS de MGMT. Comme quoi prendre des drogues pour faire de la musique pour prendre des drogues dessus ne conduit pas forcément au stade de purée de légumes une fois la trentaine passée.
Pour décrire ce que l’on ressent dans certaines chansons de TOMBOY, il faudrait écrire un poème, faire une illustration, une vidéo, ou ne sais-je. Chacune a une densité émotionnelle, qui tel un travelling explore le temps et l’espace entre densité fixée et ouverture infinie. Par rapport à PERSON PITCH, il y a bien un retour à un son plus simple, avec des chansons s’aventurant rarement au delà des quatre minutes, mais la qualité mélodique des compositions de Panda Bear n’en ressort pas moins puissamment. Avec des chansons toutes aussi belles, tout ce qu’on peut faire, c’est souligner celles qui nous ont le plus touché. Un des singles "Last Night At The Jetty" transforme en musique ce que son titre laissait présager : un battement qui jette dans une soirée mélancolique pleine d’au revoir. C’est peut-être le dernier moment mais aussi sûrement le plus poignant: « Didn’t I have a good time/ I know I had a real time ». "Slow Motion » transperce le cerveau d’une ritournelle lancinante et obsédante. Sur "Alsatian Darn", Panda Bear explore une fin des chansons où les clapotements finissent en apothéose sur un chant stupéfiant de beauté, que "Afterbunner" atteindra une fois de plus, avec une apparence de facilité déconcertante. TOMBOY se finit par "Benfica", psaume qui se fera s’agenouiller même les âmes les plus désabusées. Une fois de plus, Panda Bear aura réussi à nous faire sentir l’existence tangible du beau.