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10 juillet 2016

L’Euro, côté produits dérivés

Illustration: Xénia Laffely

Le bilan sportif de ce premier Euro à 24 équipes constitue un sujet de débat qui n’est pas près de s’épuiser. Mais une compétition internationale de football, c’est aussi un certain nombre de produits dérivés : une mascotte, une chanson et des publicités. Think Tank s’intéresse à ces dérivés, restés plutôt discrets lors de cette compétition.

Super Victor
Commençons par la mascotte. La France avait fait fort en 1998 avec le coq Footix, tellement ridicule qu’il en est venu à symboliser, dans le langage courant, un boloss du football, une personne se passionnant pour la compétition en cours mais ne connaissant rien au jeu. Conscients de ce précédent, les organisateurs ont décidé de se la jouer discret, en limitant les apparitions et l’affichage de Super Victor. A quoi ressemble ce dernier pour ceux qui justement ne l’auraient pas aperçu : il s’agit d’un petit garçon à la mèche relevée portant le maillot de l’équipe de France, auquel s’ajoute une cape. En sortant du registre fruitier et animalier, qui concerne plus de la moitié des précédentes mascottes, Super Victor prend bien sûr le risque de l’identité. Mais faire ici un reproche serait peut-être trop exigeant et passe à côté du rôle actuel des mascottes. Il ne s’agit plus de proposer une image à laquelle un peuple de supporters puisse s’identifier mais bien de décliner un visuel destiné aux produits dérivés. Le public cible étant ici les enfants (Super Victor constitue la quatrième mascotte à la morphologie enfantine pour un Euro de suite), Super Victor remplit plutôt bien son rôle en surfant sur les visuels des films d’animation actuels avec ces airs de super héro candide. De quoi orner facilement les sacs d’école ou les fournitures scolaires. Mais de quoi aussi faire regretter les deux registres magnifiques de la mascotte, à savoir l’expérimentation graphique (Italie 90) ou le ridicule génial (Footix encore sans oublier le lion cul nu d’Allemagne 2006).


David Guetta
Côté chanson officielle, autre exercice désormais obligatoire de toute compétition internationale de football, le genre en général souffre de l’accident "Waka Waka". En 2010, Shakira et un groupe sud-africain, dont tout le monde a oublié le nom, signaient ce que tous les spécialistes avaient estimés impossible : à savoir réussir à écrire un vrai tube pour une commande d’une compétition. "Waka Waka" continue à faire danser dans les mariages aujourd'hui et parvient à développer une ambiance sonore vraiment foot. Même sans le clip, on visualise des actions et des supporters. Du coup, depuis ce succès, on se rend d’autant plus compte que les chansons officielles ultérieures sont toutes pourries. On imagine les organisateurs se réunir pour décider à quel artiste, suffisamment connus, ils allaient donner trop d’argent pour pondre une daube. Ces réflexions en France ont, finalement assez logiquement, débouchés sur le choix de David Guetta. Celui-ci s’entiche de Zara Larsson pour servir une soupe bien tiède, pour un titre qui n’a de vaguement foot que le slogan "This one's for you", qu’au passage personne ne prononce au football. Plutôt que de prendre des risques avec votre santé mentale en décrivant les refrains fadasses et les passages électro pisseux, arrêtons nous sur le clip qui fait tout aussi fort. Les mecs qui l’ont dirigé sont-ils au courant que l’Euro concerne les équipes européennes (ou plus précisément les équipes nationales membres de l’UEFA) ? En tout cas, le clip n’hésite pas à montrer un décor évoquant d’avantage l’Afrique, l’Asie, l’Inde ou l’Amérique Latine que l’Europe. A côté de l’aspect hors sujet, le clip semble ainsi affirmer avec arrogance que le monde entier se passionne pour l’Euro, et ce alors que  la Copa America se déroulait en même temps. L’aspect commercial du clip s’affiche en se présentant lui-même comme un récit meta-diégétique (c'est-à-dire un récit à l'intérieur d'un autre récit, comme lorsqu'un clip raconte une histoire qui s’avère à la fin n’être qu’un rêve). Mais dans le cas de "This one’s for you", le clip ne constitue pas un rêve mais une publicité diffusée dans un avion Turkish Airlines. Classe.


Publicité Nike 
La dernière publicité Nike, sortie dans le cadre de l’actuel championnat européen de football, s’intitule Switch. Très bien réalisée, elle propose un scénario efficace et intéressant, qui la rendent bien plus intéressantes que les deux exemples précédents. Au cours d’un match, Cristiano Ronaldo rentre dans un jeune ramasseur de balle britannique. Dans le choc, les deux individus échangent leur corps. Le jeune ramasseur de balle se retrouve dans la peau de la star portugaise, ébahi par le luxe, le clip jouant ici avec le cliché des grosses cylindrées, des maisons épurées et des femmes magnifiques. Cristiano Ronaldo se réveille quant à lui dans une bicoque familiale simple, presque ouvrière, d’une banlieue anglaise. Chacun devra alors redoubler d’effort : le jeune ramasseur de balle va devoir enchainer les entrainements pour atteindre le niveau de celui qu'il est censé être et éviter de se ridiculiser devant ses coéquipiers. Cristiano Ronaldo va devoir utiliser ses acquis et ses méthodes d’entrainements pour remonter la pente, en s’imposant d’abord dans son club de jeunes jusqu’à atteindre les sommets de la Premier League. Leur quête à tout deux connaitra son achèvement dans un match de l’Euro qui les voit s’affronter avant de rechanger à nouveau leur personnalité pour revenir à la normale. Nike propose ici le message suivant : star ou simple fan, chacun peut devenir célèbre ou génial s’il fait les efforts nécessaires et possède la passion suffisante. Pour séduisant que puisse être ce discours inclusif, il faut avoir conscience qu’il reproduit largement l’idéologie néolibérale. Il le fait d’abord en survalorisant la question de l’effort individuel, censé être capable de tout. Si on échoue au football comme en société, c’est qu’on n’a pas assez travaillé, nous dit ce discours. Cette publicité reprend également le mythe d’une prétendue égalité des chances dans la société actuelle, qui pour le coup existe sûrement plus dans le cas du foot que pour la société en général. Le cadre néolibéral de cet aspect est d’autant plus prégnant que la publicité oppose les deux individus en termes de classe (la question de l’origine raciale intervenant de façon moins centrale) : le luxe démesuré de Cristiano Ronado, dont le premier souci est de savoir où parquer son yacht, face à la vie sobre et sale comme une vielle voiture blanche d’un jeune désigné au début de la publicité comme "poor boy". Même si "pauvre" n'est pas utilisé dans son sens économique, le terme résonne avec l’idéologie du clip et finalement l’Euro. Une institution éhontément riche qui cherche à vendre tout et n’importe quoi aux riches comme aux pauvres.