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23 mars 2016

Renaissance pop : Hamilton Leithauser

Illustration: Douglas Mandry
Tous les arts connaissent leur période creuse. Du point de vue de la musique indépendante, la pop traverse depuis plusieurs années (pour ne pas dire une décennie) une longue et terrible phase de stand-by galactique, une ère glacière au ralenti qui ne connaît même plus de sorties de secours ou de lumière au fond d’un tunnel. Nous parlons d’un nom qui marque, d’un album plein, d’idées éclairées. Malgré quelques réjouissances éphémères (Smith Westerns, UMO, Foxygen ou Avi Buffalo), il semble que le courant se bloque et s’interrompt. Comme une pierre qui ne roule plus.

Il y a une semaine, un ami vient vers moi et me parle de Hamilton Leithauser. Je lui rétorque « ah ouais, non je ne connais pas. C’est qui ? ». Surpris, voire énervé, je vois dans le regard de mon acolyte un feu qui s’embrase. « Mais… ! C’est le chanteur des Walkmen ! ». Ce détail n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Le soir même, je découvre Black Hours, comme à mon habitude avec une année de retard. Après une première écoute aidée par le rouge, je tombe dans une sorte de rêve édulcoré, fait de nostalgie et de parfums électriques me rappelant les beaux albums de ce groupe si merveilleux qu’étaient les Walkmen.

Ouverture
Black Hours s’ouvre par un simple « Listen, the summer’s coming », prononcé avec une voix caverneuse aux accents reconnaissables d’un vieil ami oublié. Ce n’est pas une chanson, c’est une ouverture. C’est un appel à la classe ultime, à la qualité d’une écriture profonde et retrouvée. Des questions, beaucoup de questions dans ce 5 AM, titre triste et éclairé, avant de promettre qu’il ne tombera jamais. Comme souvent chez Mr Leithauser, on glisse vers le tragique avec une pointe d’espoir palpable, ici personnifiée par une touche de piano ambiguë. Je me dis alors que l’album va continuer dans une forme extrêmement sérieuse et sombre… mais retentissent les premiers accords de The Silent Orchestra, immense performance pop entre le meilleur de Divine Comedy et le RAM de McCartney. On y sent tout ce que Hamilton savait faire dans A Hundred Miles Off des Walkmen, en 2006. Quelle envolée ! Quelle magie. Pris à contre-pied, je réagis comme un gosse qui découvre un album qui deviendra important dans sa vie (Morning Glory, Electro-Shock Blues) ; un « truc » que je n’avais pas ressenti depuis Arcade Fire.

Arcade Fire justement. Il y a un air, une ambiance qui s’en approche. De Neon Bible surtout (donc, peut-être, leur meilleur disque) sans évidemment tout le farfelu orchestral qui les entoure. Hamilton est un monsieur, il s’habille en costard sur scène et tel un homme d’une autre époque, il chante avec sa gueule de blond trop BG pour être dans une groupe de rock dépressif et pas assez charismatique pour être le nouveau Nick Cave. Mais il est là, et son écriture façonne une œuvre qui prend de plus en plus d’envergure dans le néant pop d’aujourd’hui. Comme le démontre sans peine la première face du disque, entre Alexandra qui confirme tout ce que je disais sur le titre précédent (le Walkmen de 2006) et ce 11 O’Clock Friday Night, titre aussi génial que cette présence fantomatique et improbable de xylophone.

Mais est-ce que Black Hours tient le coup sur la durée ? Après une première face A tout simplement extraordinaire, Self Pity poursuit à la manière des grands compositeurs au même niveau que les plages précédentes. L’album est long. Même si ce n’est pas une preuve de qualité, il démontre un autre élément délicat de la musique pop des années 2010s : soit on fait court et on assure, soit on allonge en prenant des risques. Je doute que Hamilton soit du genre à compter sur ces détails, il lui suffit de chanter, d’hurler une rage personnelle en s’offrant même des moments totalement blues (I Retired), purement nostalgique (I Don’t Need Anyone, le magnifique Bless your Heart), quasi tubesque (Alexandra, The Smallest Splinter) ou juste extrêmement fascinant (Self Pity).

Fort
Les Walkmen avaient ébranlé la deuxième partie des années 2000s avec leurs albums crépusculaires, tendus et réussis. En 2014, le guitariste Peter Matthew Bauer au son si particulier des Walkmen sortait son premier album solo, plutôt réussi, dans une ambiance très électrique. Avec Hamilton Leithauser, on retrouve l’univers des Walkmen sans que ce soit un retour en arrière ou une pâle copie de Heaven ou Lisbon (leurs derniers albums). Au contraire, c’est une suite, un suivi, comme la saison 2 d’une série convaincante. Une très belle continuité qui ne devrait pas empêcher le chanteur d’assumer sa pérennité et son futur de très grand songwriter.

Black Hours n’est pas un disque adulte, c’est un album de maître : ce n’est pas un devoir mais plutôt un diplôme ès Pop, bouillant et truffé de cachettes secrètes dans lesquelles il ne faut pas hésiter à s’y cacher. Une renaissance pop qui est sortie sans bruit il y a une année et demie mais qui déjà prend ses marques dans un paysage pop flétri et asséché. Hamilton avait construit un fort avec the Walkmen. Avec ce disque, il termine son donjon : pièce maitresse que l’on distingue à des kilomètres et qui renferme une princesse.

The Silent Orchestra de l'album BLACK HOURS en live à KEXP