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10 mars 2016

X-files, la vérité est dépassée

Illustration: Pierre Girardin
Alors que les productions mainstream jouent de plus en plus souvent avec la corde nostalgique, le retour de la série X-files semblait bien parti pour réussir avec son statut de fétiche télévisuel. C’était sans compter sur un Chris Carter qui écrit des scénarios comme Donald Trump écrit des discours. Difficile de rêvasser au passé quand le présent est si mal foutu.

Même si ce phénomène n’est pas nouveau, la nostalgie comme stratégie de production a actuellement le vent en poupe. C’est ainsi que Simon Reynolds a pu parler d’une « rétromania » pour caractériser le monde de la musique dans le livre du même nom. Sans partager les conclusions et généralisations du critique musical britannique, notamment parce qu’elles finissent par être elles-mêmes rétrogrades en dédaignant la création contemporaine et mythifiant l'aspect novateur des créations antérieures, il est vrai que l’on peut actuellement observer certains phénomènes qui utilisent cette logique rétro de façon péremptoire. Ainsi au cinéma et dans les séries, plusieurs blockbusters ont voulu capitaliser sur la nostalgie ressentie pour leurs propres franchises. On pense à Jurassic Park, Star Wars et donc X-files. Les deux premiers ont même poussé cette logique jusqu'à faire endosser la posture du spectateur nostalgique à un personnage. Dans Jurassic Park, un employé possède ainsi un t-shirt à l’effigie du premier parc et ne cesse de le présenter comme une période bénie dont il collectionne les goodies, tel un bon spectateur faisant son devoir d’acheteur de produits dérivés. Dans Star Wars, Rey connaît tout de la précédente trilogie et s’extasie devant l’arrivée de Han Solo « Le général ? Non, le contrebandier ! », optant donc pour le point de vue du fan de personnage de la trilogie et non pas celui de la connaisseuse de son statut officiel. Ces personnages nostalgiques n’ont aucune peine à s’intégrer à ces nouveaux opus, qui en grandes parties rejouent le même récit que leurs prédécesseurs. La logique nostalgique a ainsi souvent pour conséquences de servir aux fans ce qu’ils attendent.

Le retour de X-files joue évidemment sur le même registre. Les six épisodes de cette nouvelle saison ne pouvaient qu’exciter la nostalgie de ceux pour qui les enquêtes de Mulder et Scully constituent une époque télévisuelle culte, dans son canapé face à la trilogie du samedi soir, entre frisson et fascination, extra-terrestres, monstres et humour. X-files, pour son ambiance, ses mystères et ses personnages, c’est un peu un Twin Peaks grand public, les deux séries partageant d’ailleurs plusieurs acteurs. Mais une fois passé le plaisir de retrouver les protagonistes, y compris l’homme à la cigarette qui a évolué (on vous rassure tout de suite il ne vapote pas), les références à l'historique de la série sidèrent rapidement par leur vacuité, qu'il s'agisse d'un poster vite déchiré ou de clin d'oeil à une ancienne intrigue. Cela prend même des airs de ridicule quant des slogans de la série sont insérés au sein des dialogues. Sur seulement 6 épisodes, on n’ose pas compter le nombre de fois où un personnage dit « I want to believe » ou « The Truth is out there ». Cette faiblesse des dialogues éclaire la pauvreté scénaristiques globales de certains épisodes, avant tout ceux scénarisés par Chris Carter, le créateur de la série, le problème étant qu’il réalise trois épisodes sur six de cette dixième saison. Ses épisodes font du remplissage avec une musique omniprésente et deviennent surtout pénibles à suivre lors de passages de dialogues interminables, trop rapides et mal foutus. Chris Carter écrit des dialogues sur le complot avec la même plume qu'utilise Donald Trump pour ses discours. Le mystère de la série a fait place à des litanies mélangeant théories multiples, références incompréhensibles et affabulations absurdes, dans un ton qui sonne extrême-droite. La seule chose véritablement effrayante avec les épisodes de Chris Carter, c’est leur propension à cumuler les fautes de gout. Pour n’en donner qu’un échantillon: des intégristes musulmans qui se font exploser dans une galerie, Mulder qui prend des champignons et fait un trip, des dialogues nunuches sur le sens de la vie et même une relève incarnée dans un jeune couple composé d’un mec qui croit à tout et s’appeler Miller et une rousse scientifique plus rationnel qui s’appelle Einstein (je vous jure ils l’ont vraiment fait).

Alors cette saison est-elle à éviter à tout pris ? Peut-être pas totalement, parce qu’il existe encore trois autres épisodes, dont certains passages parviennent à faire revivre des ambiances de la série originale : un décor corporate, des employés qui discutent et soudain l’horreur qui survient. Surtout l’épisode 3 mérite d’être vu pour lui seul. Il renoue avec la fibre humoristique de la série. Signé lui aussi par un scénariste du cru originel, Darin Morgan, qui avait justement amené cette touche à la série, l’épisode bénéficie surtout d’un guest de choix en la personne de Rhys Darby, aka le manager du groupe Flight of the Conchords dans la série du même nom. Sans trop spoiler, on dira que cet épisode retourne les codes associés aux instincts monstrueux de façon hilarante. A part ce grand moment, le fan finira forcément un peu déçu. Mais la nostalgie ne conduit-elle pas forcément à la déception ? En effet, elle espère revivre un passé qu’elle a totalement idéalisé en déniant tous ses défauts. Ainsi à bien y réfléchir, on se rappelle que X-files a toujours été une série un peu nulle et que les épisodes de l’arc mythologique (construisant une intrigue sur le long terme) ont toujours été assez incompréhensibles. Ce qui était bien, c’était les loners, épisodes se suffisant à eux-mêmes et se résumant à l’enquête d’un phénomène paranormale chaque fois différent. Étant donné que cette dernière saison se compose majoritairement d’épisodes du premier type, il n’est pas finalement étonnant que le résultat ne soit pas génial. Mais Chris Carter aura néanmoins réussi à dégrader encore cette situation en cédant à un complotisme mal ficelé et nauséabond. La vérité, c'était mieux avant.