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18 février 2016

The Revenant : brutalité et espaces de visions

Illustration: Myriam Ziehli
Attendu comme le messie à la fin du mois à Los Angeles pour la prochaine cérémonie des Oscars, The Revenant a déjà tout raflé aux Baftas (les « Césars » anglais) avec les récompenses pour le meilleur film, meilleur acteur et meilleure photographie.  Dans cette tentative extérieure et sauvage de Birdman, le réalisateur mexicain Alejandro G. Iñárritu s’efforce de mutiler les corps dans des paysages maculés par le froid et la neige, paradoxe énigmatique entre la douceur de la nature et la brutalité de l’Homme.

Lorsque Alejandro G. Iñárritu raconte l’histoire du film et de son tournage, il revient principalement sur ce qui l’a conduit à travailler sur le conflit américo-indien et les guerres de territoire dans le Dakota lors de la première partie du XIXe siècle. Désireux de mettre en avant cette narration retraçant l’histoire ambiguë de la nation, le réalisateur semble désirer renforcer un scénario qui manque cruellement de rebondissements. The Revenant n’est en effet pas exemplaire pour son écriture et l’importance qu’on donne au jeu de DiCaprio n’est non plus pas l'atout fort du film. Au-delà des efforts physiques – qu’ils soient cinématographique, photogénique ou de direction d’acteur – la construction du métrage en question se base sur trois séquences majeures et éblouissantes de mise en scène qui apportent chacune un élément décisif et nécessaire à la narration filmique et à la problématique inconsciente du cinéma.

Montrer et regarder
Si ces séquences bénéficient évidemment d’une étonnante implication artistique et technique de la part des différents ouvriers du film, elles sont pour le moins nouvelles dans ce qu’elles montrent et ne montrent pas. Dès l’ouverture du long-métrage, on nous présente la nuance spécifique que le cinéaste s’est fixée : après quelques plans de pure introduction hollywoodienne qui font lourdement pêcher cet incipit visuelle, nous voilà face à un plan d’eau, en légère plongée, au-dessus d’une rivière. La caméra s’avance, le titre apparaît en surimpression, disparaît, et le mouvement vers l’avant continue. Nous ne savons alors pas très bien ce que la caméra reflète et si il s’agit d’une focalisation interne, d’une vision subjective. Nous découvrons des chasseurs, le fusil à la main puis un appel : « Hawk ». La caméra emprunte un mouvement vers la droite pour découvrir un troisième personnage (Hugh Glass, le père de Hawk, dont la mère est indienne). Il semble alors que la caméra ne sera pas un personnage, mais plus une intrusion dans un monde qui regarde au lieu de nous montrer.

A la suite de cette séquence d’introduction des personnages, nous quittons sur un coup de feu cette troupe pour retrouver un groupe de trappeurs en attente de leurs éclaireurs partis à la chasse (une chasse pour récupérer principalement des peaux des bêtes et les revendre). La suite de la séquence nous montre une véritable bataille cruelle entre Indiens cachés dans les arbres et chasseurs en fuite. Nous parlions de regard au lieu de la monstration pure, ici la décision revient évidemment à ce que le réalisateur veut nous montrer, mais à l’opposé des mises en scène traditionnelles, nous nous retrouvons alors dans une sorte de monde où la caméra flotte comme si nous étions un personnage perdu dans cette jungle fictionnelle. Lors de la bataille en question, nous voyons un homme à moitié nu s’approchant d’un cheval et lui tirer dessus, image extrêmement violente posant les bases du film de Iñárritu : voir la brutalité de l’homme face à la douceur et la naïveté de la nature. Le cheval, jusqu’ici paisible et un peu effrayé par les courses des hommes autour de lui, se fait abattre sans raison. L’homme rentre ensuite dans une cabane cachant le soleil qui nous fait face, comme une ombre face à la lumière.

La bête et l'homme : vengeance de la nature
Plus tard, l'animal attaquera l'homme. Sauf que le combat est annoncé et qu’il est quasiment "officialisé" et mis en valeur dans une férocité directe et approuvée. Est-ce une vengeance qui fait écho à la scène du cheval ? En tout cas, l’action est pour le moins démonstrative : un ours se jette de dos sur Hugh Glass qui avait alors pris en proie des petits oursons au milieu de la forêt. C’est une séquence de 4’30’’ non-coupées qui s’ensuit où l’homme tente tant bien que mal de se défendre face à la bête. Etrangement, c’est l’animal qui sort perdant de ce combat. Glass (DiCaprio vous l'aurez compris) réussit à sortir son couteau et lancer à plusieurs reprises des coups violents à la gorge de l’ours. Après avoir dégringolés d’une pente rocheuse, les deux êtres se retrouvent au sol, l’un mort, l’autre à demi-vivant. Le titre du film semble avoir un début d’indication.

Rattrapés par ses hommes, Hugh Glass sera soigné et mis sur un brancard. Malheureusement, cette victime est un cas trop lourd à ramener et elle sera laissée pour compte sur les ordres de John Fitzgerald (Tom Hardy). Seul au milieu des bois, dans le froid et le vent, Hugh Glass va ressusciter grâce tout d’abord à sa volonté indestructible puis l’aide d’un Pawnee qui l’aidera à retrouver presque toutes ses forces. L’homme revient vers sa tribu pour cette fois s’attaquer à celui qui a tué son fils et qui l’a enterré vivant.

Brutalité humaine
La troisième séquence est celle de l’affrontement entre Fitzgerald et Glass. Comme un combat final dans une jeu vidéo, celui-ci prend place dans la nature, au bord d’une rivière (rappelant celle du début du film) et éloigné de toutes marques concrètes de l’humanité. A la merci du froid, les deux hommes laissent tomber revolvers et fusils pour se confronter à l’arme blanche avec de simples couteaux. C’est la bestialité à l’état brut, où l’arme devient un prolongement du combattant, une excroissance sauvage de l’homme, comme celle d’une griffe chez l’animal. On pénètre dans la brutalité à l’état brut. Vainqueur de son ennemi, Glass laisse chavirer le corps encore vivant de Fitzgerald dans la rivière glacée. Celui-ci sera récupéré quelques mètres plus loin par une troupe d’Indiens.

Avec ce geste, The Revenant confirme qu'il est bien un film de revanche extrêmement cadré : on tue un animal, l’animal se venge. On tue un fils, le père se venge. On torture la nature, elle crie : comme ce moment de tension où un bruit sourd retentit derrière Glass. La caméra le contourne et nous apercevons alors une avalanche descendre d’une montagne. Ces instants, ces regards, ces moments de suspension, ces mouvements de caméra où l’on regarde des sapins, de la neige, l’eau ou le soleil, appellent à la contemplation sans vraiment en être : il semble qu’avec ce système visuel, Iñárritu serait plus dans le domaine du jeu vidéo que celui du film, où l’œil hagard de la caméra – et donc du spectateur – surveille la nature qui peut à tout moment passer à l’action.