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05 février 2016

Sensuelle Séduction : besoin d’amour

Illustration: Jean-Vincent Simonet

Les nombreux aspects déprimants de 2015 ont parfois plongé la situation politique mondiale et nous même dans un spleen certain. Face à ce dernier ont retenti de nombreux appels à l’amour, faisant parfois même de ce sentiment un geste de résistance. Sans peut-être aller jusque-là (d’autres luttes sont nécessaires), voici une sélection de trois élans musicaux à même de répondre à ce besoin d’amour et aux différents visages qu’il peut prendre. 

Besoin de sensualité: Jeremih 
La pop est-elle autre chose que l’expression du désir en un mode sonore ? Le musicien incarnant alors celui qui vient susurrer des mots doux ou salés à l’oreille. Dans cette optique, Jeremih pousse la maitrise jusqu’à lécher et mordiller allégrement le lobe. Deux ans après la déjà torride mixtape LATE NIGHTS WITH JEREMIH et son "Fuck U All the Time", Jeremih revient avec un album dans la même lignée, toujours aussi ardent. Prouvant qu’il est bien plus qu’une voix parfaite pour refrain en featuring, LATE NIGHTS dépasse les prouesses sexy mais brouillonnes de la mixtape pour proposer 15 titres écrits avec délicatesse. A ce titre, le single "Don’t Tell Em" sonne comme un intrus, avec sa production "rentre-dedans" de DJ Mustard. Le reste parle évidemment de séduction et de cul mais avec classe, dans une ambiance soirée de rêve. Chronologiquement, cette musique se situe dans la sensualité de la nuit déjà loin du club et pas encore dans le chambre. La production reste sucrée, faite de claquement de doigts, de synthé euro dance mais tout est ralenti et simplifié par rapport au RnB habituel. Cette simplicité des productions laisse toute l’intensité à ce qui fait la force de Jeremih : sa voix, douce, rythmée, sensuelle au possible. Malgré cette touche identifiable, les différents titres échappent à la redondance grâce à la capacité de Jeremih de faire sonner les différentes cordes de l’art de la sensualité : de la déclaration enflammée de "Planez" à l’excitation contenue de "Drank" aux secousses lascives de "Pass Dat". Au rayon featuring, Jeremih a su également s’accompagner des meilleurs whig men and women. Qu’il s’agisse des autres spécialistes de la séduction comme Future ou Ty Dolla Sign, ou de rappeur plus rugueux s’adoucissant pour l’occasion avec Migos et Big Sean, sans oublier la touche Jhené Aiko. 


Besoin de séduction : Cassie 
L’amour c’est aussi passer à l’action, déhancher son corps, prendre le dessus, se laisser aller. Si le RnB possède ses reines actuelles du genre (Kelhani, Tinashe), 2015 a aussi été l’occasion de la réédition en vinyle d’un indispensable : CASSIE de Cassie sorti en 2006. Cet album pop a connu un fort succès à sa sortie, et a très bien vieilli. Sa production, signée par Ryan Leslie, transpire l’intelligence. Plus que le souvenir d’un crush adolescent, CASSIE garde toute sa fraicheur et sonne comme un amour renouvelé et empli de séductions toujours aussi fortes. Il y a bien sûr les deux tubes imparables "Long way 2 go" et "Me & U". Le premier incarne le parangon du titre de la drague en dansant : le sample scintille, la voix défie en même temps qu’elle se rapproche. La seconde apparaît presque plus moderne avec son sample plus haché mais aussi plus intime. La battle de danse collective a été remplacée par le duo collé serré. Le reste de l’album baisse un peu d’intensité mais maintient la flamme ou s’en souvient à travers des comptines amoureuses ("Ditto") et des ballades plus classiques ("Kiss me"). 


Besoin de transensualité : SOPHIE 
Mais l’amour ou le désir s’entend-il dans des musiques actuelles plus marquées par la digitalisation du son? La scène électro londonienne autour du label PC Music a voulu répondre par l’affirmative en produisant une musique à la fois évidemment informatisée et sincèrement sensuelle, s’exprimant sur le registre d’amours naïfs d’adolescents pianotant leur béguin sur leurs ordinateurs. L’amour ou le désir se font ainsi candide tout en sur-assumant leurs atours forcément digitaux et lyophilisés. SOPHIE représente sûrement le projet musical le plus abouti de cette philosophie. Il utilise uniquement une voix dont le pitch est modifié pour qu’elle sonne à la fois féminine et robotique. Comme Lorenzo Senni, musicalement il reprend la transe et l’euro-dance, la découpe en morceaux pour la recoller en un bricolage. Mais à l’inverse du musicien italien, SOPHIE n’en retient pas les passages low-key pour au contraire ne garder que les picks d’excitation. "Just like we never say goodbye" est l’exemple parfait des processus décrits ci-dessus. Les paroles enamourées ("We were young and out of control" ; "It makes me feel like just like we never say goodbye") jouent sur les clichés mais retrouvent paradoxalement leur sincérité grâce aux sons robotiques, froids et lisses. Même dans cette digitalisation extrême, la déclaration sentimentale et sensuelle reste non seulement possible, elle se renforce du fait de la bizarrerie de leur production, jouant sur les codes digitaux et commerciaux, qui sont justement ceux que prend l’amour adolescent aujourd’hui.

PRODUCT, par son titre, rappelle cet aspect d’une musique construite digitalement et non par crée par des une âme est assumé. Mais si tout tend à se réduire à un produit, un cliché ou une marchandise dans notre société contemporaine, alors c’est dans les produits que doivent résonner les sentiments et la sensualité. C’est donc ici en permanence qu’alternent éructions digitales et éruptions sentimentales. "BIPP" laisse ainsi croire à un zozotement avant de partir sur une trance stridente mais étouffée accompagnant une voix revêche. "Lemonade" secoue la boisson et les références RnB pour se construire musicalement sur le rythme d’une bulle tournoyant dans la bouteille avant de sortir dans l’extase du rafraîchissement. "Hard" commence comme un machine qui s’emballe, sortant des sons aux hasards, avant de se transformer en flux cristallin. "VYZEE" et "L.O.V.E" représente les deux extrêmes des courants contraires qui traversent tout cet album entre son club et bruits digitaux de ce produit sorti d’un distributeur sentimental.