Illustration: Think Tank (collectif) |
La tête dans les nuages, la rédaction de Think Tank se réunit comme de coutume en fin d'année autour d'un ultime article collectif. Une occasion de partager souvenirs poignants, expériences marquantes, voyages surprenants et autres découvertes captivates. Une manière de revenir sans trop de pression sur les meilleurs moments culturels, en évitant les universels classements thématiques. Mais, promis, on ne cessera pas, en 2016, de prendre la pop au sérieux.
Photo: Raphaël Rodriguez |
Raphaël Rodriguez, curating musical
Mykki Blanco presents C-ORE à Berlin
Probablement l'un des concerts les plus frais vu récemment. Mykki Blanco tout seul, c'est cool. C-ORE, c'est une machine à baffes. Son plutôt neuf projet de label Dogfood a sorti, il y a quelques mois une compilation (quelques morceaux en écoute ici) qui regroupe les membres du collectif: Violence, Yves Tumor, Pyschoegyptian et Mykki lui-même. Et autant dire que ça se présentait déjà pas mal. Mais jamais je n'aurais suspecté la décharge cathartique du live. Trois mecs sur scène pour une apocalypse sonore, parfois drolesque et théâtrale, parfois brutale et sublime. Et ça te retourne vite fait, à coups de références métal, hardcore, indus, toujours référencé mais défonçant sans autres chichis les gimmicks hip-hop. Ou comment renouer avec le pogo.
Le retour en force de l'ambient
OK, c'est pas nouveau, l'ambient a une histoire solide et touffue. Mais pourtant, un regard rapide sur l'année écoulée ne laisse aucun doute sur ce qui se passe: les kicks disparaissent. La musique se liquéfie. Et il ne s'ait pas que de musique sérieuse, sound design pédant, mais d'un retour plus universel d'une musique qui, si parfois elle frôle le wallpaper, s'étend à nouveau plus largement. Et 2015 a été une cuvée généreuse en disques plus ou moins accessibles, plus ou moins ambiants, plus ou moins fun mais toujours révélateurs d'un état esprit qui renoue avec la patience et l'essence sonore. Pour un petit tour rapide, entre Fis, Helm, Kara-Lis Coverdale, Jefre Cantu-Ledesma, The Automatics Group et Ariel Kalma, il y a de quoi faire.
Norient - ”Seismographic Sounds - Visions of a new world”
Les gars de Norient, basés à Berne, sont dans le coup depuis un moment. A défendre une musique affranchie des notions géographiques mais avec un regard sociologique, anthropologique, au prisme d'une pop culture globalisée. Au-delà des multiples collaborations initiées, d'un disque, de plusieurs expositions, de performances en Suisse et à l'étranger, c'est un livre qui paraît cette année et fait intervenir des auteurs, musiciens, journalistes, artistes de plus de 40 pays sur des sujets aussi larges et sous-documentés que le punk en Bolivie et Indonésie, la musique électronique en Egypte, la pop underground en Afrique du Sud et au Nigéria, le rap au Pakistan, en Serbie, au Chili et au Ghana, le noise en Israel, le Seapunk et la Vaporwave aux Etats-Unis, la pop post-digitale en Angleterre etc. Une cartographie sans frontières des différentes scènes internationales et un reality check des défis de la musique underground autour du monde et des problématiques sociales et culturelles qu'elle colporte. Encore un coup porté au concept de world music.
La saison 2 de Fargo
Le risque est toujours grand lorsqu'une adaptation en série d'un film iconique apparaît. C'est vite réchauffé, c'est vite artificiel, et surtout: quelle est la pertinence de réanimer un objet spécifique en 2015? Pourtant, Fargo réussit le pari. J'ai peu d'arguments, peu d'objectivité mais: casting complètement dingo, montage, musique et image juste comme il faut, c'était le moment cruel et jouissif de l'année (encore plus que la session précédente), joyeusement déviant et complètement dans l'esprit Cohen.
Hotline Bling
Deux seconde, oublions le caractère vaguement (ou pas) sexiste de la vidéo et des textes. Parce que c'est la track pop de l'année, sans discussion. Le truc qui tient sur presque rien, un sample, une ligne de voix, des pas de danse maladroits d'un mec tout mal à l'aise. Parce que c'est pas forcé, pas didactique pour un sous, mais que tu la chantes sous la douche, dans le bus et au boulot. Bye bye, tough guy.
L'émission de Lukid pour NTS
Ce n'est de loin pas la première année de la session mensuelle de Lukid sur la (louée soit-elle) géniale radio NTS, mais l'occasion de rendre honneur à sa constante folie défricheuse. A chaque fois, c'est comme un cadeau de Noël que tu déballes, plein d'incertitudes. C'est tellement astucieux, ça saute du chat grégorien au gansta rap, avec une compréhension quasi-métaphysique (désolé, j'ai pas de meilleure explication) des sons et des atmosphères pour un effet transcendantal maximum. C'est surtout une réconciliation avec le concept de radio (mais ça c'est valable pour tout NTS). Et quand tu regardes la tracklist, tu réalises que toi qui pensais tout connaître, tu ne reconnais rien. Deux questions subsistent: où Lukid trouve-t-il toute cette musique? Lukid a-t-il une vie sociale?
Le Caire
Découvrir une ville vibrante, culturellement active malgré la menace (deux lieux essentiels viennent d'ailleurs d'être fermés), qui se balance entre désillusion politique et sociale, héritage historique immense et absence quasi-totale de tourisme depuis 2012. Aller aux pyramides et voir trois personnes, jouer à une soirée expérimentale/club pour les rich kids dans un country club à Gizeh, traverser dix siècles en quelques rues, te faire arnaquer, fumer la shishah au bord du Nil pendant une soirée publicitaire pour une marque de bière avec un mec qui ne boit pas d'alcool, grimper sur des minarets. Folie.
Rave party sur le Salève
Tu traverses la frontière, tu montes en télécabine, tu marches vers une forêt. Il y a des sound systems, des gens qui dansent, quelques tantes et de la bouffe japonaise et à boire. T'es content.
Maxime Morisod, rubrique cinéma
L’humour de What We do in the Shadows (Jemaine Clement, Taika Waititi, Nouvelle-Zélande)
Le film comique de l’année! L’énorme coup de force humoristique nous vient de Nouvelle-Zelande, par les créateurs de Flight of the Conchords, et nous présente dans un faux mode documentaire une maison habitée par des vampires qui tentent de survivre au monde contemporain. Répliques mythiques, scènes cultes, Taika Waititi et Jemaine Clement offre un cocktail parfaitement imaginé sur la difficulté d’être un vampire en 2015 prenant en compte l’évolution de la société, du monde de la nuit et des coutumes générationnelles.
Le second plan de It Follows (David Robert Mitchell, USA)
Une jeune blonde se retrouve attachée à une chaise. En face, son petit-ami lui explique les règles du jeu : ce dernier est poursuivi par une créature pouvant prendre n’importe quelle apparence humaine et qui, si elle l’attrape, le tue. Pour briser la malédiction, il doit coucher avec quelqu’un et le « It » suivra alors cette personne. Basée sur une histoire un peu abracadabrante, It Follows est l’une des références absolues du film d’horreur en 2015 : le spectateur est en effet plus concentré sur ce qui passe en arrière-plan afin de trouver avant les protagonistes d'où peut jaillir le tueur. Ingénieux et doté d’une mise en scène tout à fait excitante, It Follows crée l'horreur par la vision concrète du "monstre".
La narration double de Right Now, Wrong Then (Hong Sang-soo, Corée du Sud)
Dans son nouveau film, Hong Sang-soo immerge ses comédiens dans un double-film. A la manière de ce qu’avait fait Woody Allen avec Melinda Melinda, mais en moins grossier et en plus fin, écartant la dualité comique/drame pour tenter une nouvelle approche de l’histoire selon un cadre légèrement modifié, un dialogue rallongé, des séquences raccourcies. Une nouvelle pierre à ranger dans l'édifice de l’œuvre du cinéaste coréen, allant résolument dans la direction d’un cinéma nouveau et éclairé.
La légèreté profonde de Vice-Versa (Pete Docter, Ronnie del Carmen, USA)
Avec ce film au graphisme aussi inintéressant que les animations de Fifa 2015, Pixar nous invite à découvrir ce qu’il se passe dans le cerveau d’une petite fille de 13 ans et de voir comment réagissent ses émotions à la suite d’un déménagement familial. Entre moments comiques denses et scénario très bien ficelé, Vice-Versa rassemble deux particularités pas facile à fusionner : l’apprentissage de l’enfant sur un mode plutôt sombre et profond et comment gérer la déprime pré-adolescente sur un aspect ludique et inventif.
Le retour du mythe dans Star Wars : Le Réveil de la Force (J. J. Abrams, USA)
Le premier Star Wars de qualité au point de vue de la mise en scène, du jeu d’acteur et des dialogues. La formule « JJ Abrams » fait mouche à plusieurs niveaux. Il réussit surtout le pari de mélanger le lourd héritage largué par George Lucas avec le renouveau d’une nouvelle saga comprenant des personnages inédits. Cet épisode 7 comporte tout de même son lot de faiblesses avec son scénario copié-collé, ses nouveaux personnage sans âme et son héritage très, très difficile à quitter… Mais même avec ça, Le Réveil de la Force est une dose pleine de bonheur galactique où le retour de Han Solo et la poursuite de vaisseaux dans un Destroyer impérial sont déjà mythiques.
La musique et la photographie de Inherent Vice (Paul Thomas Anderon, USA)
PTA en mode Pynchon : vide interminable ou conte loufoque ? Inherent Vice est un film plus ou moins inattendu du cinéaste. Entre séquences psychédélique et dialogue incompréhensible, la prouesse de ce film réside dans son ambiance west coast sous pellicule enjolivée par une bande-son orchestrant les protagonistes du film : Chuck Jackson, Kyu Sakamoto, The Marketts ou le Wonderful World de Sam Cooke nous font redécouvrir l’ambiance d’une époque révolue.
La parano de Birdman or (The Unexpected Virtue of Ignorance) (Alejandro G. Iñárritu, USA)
Au-delà des prouesses techniques, il y a dans Birdman un véritable plaisir de 1) revoir le premier comédien de Batman dans une histoire où son personnage préfère le théâtre intello au grand spectacle du grand écran et 2) une immersion parfaite du spectateur dans un broadway étouffé dans lequel les comédiens semblent jaillir à tout bout de champ, devant, derrière et à travers la caméra de Emmanuel Lubezki.
Le récit dans Happy Hour (Ryusuke Hamaguchi, Japon)
Epreuve temporelle, Happy Hour dure 5h20. Si on pourrait croire à une prouesse cinéphilique uniquement basée sur la temporalité, le réalisateur nippon Ryusuke Hamaguchi nous présente une dimension nouvelle du cinéma dans laquelle on apprend à connaître les quatre (superbes) personnages sur la durée et où l’histoire simple et bien construite suffit à nous plonger dans ce roman visuel qui prend son temps sans qu’on le remarque.
La perfection classique de Bridge of Spies (Steven Spielberg, USA)
Colmaté dans une forme classique du grand Hollywood, Spielberg ne sera jamais, à l’image des Iñárritu, Nolan ou Fincher, celui qui sortira des sentiers battus, de la norme. A l’inverse, ces auteurs n’arriveront jamais à s’élever à un rang aussi parfait de maîtrise cinématographique pure. Dans Bridge of Spies, Spielberg touche à un point essentiel rarement aperçu dans son cinéma: le point de vue neutre. Si l’on excepte les dix dernières minutes (qu’est-ce que le film aurait été plus fort s'il s’était arrêté juste après « l’échange »), la situation dans laquelle nous sommes plongés est saisissante de qualité artistique virevoltant entre un casting sans faute et un scénario parsemé à juste dose d’un humour discret. L’ouverture du film dans son mutisme provoqué, l’élévation assumée du personnage de l’avocat américain moyen, l’arrivée dans un Berlin enneigé nous plongent dans un cinéma d’une autre époque, déjouant les séquences passe-partout et avenantes du classicisme. Du très grand Spielberg.
La pureté de Mommy (Xavier Dolan, Canada)
Sorti en Suisse en 2014, mais vu en 2015, la dernière réalisation du surdoué et insupportable Xavier Dolan mérite le respect. C’est peut-être en restant le plus possible derrière la caméra que Dolan peaufine au mieux son sujet, ses déambulations, son objectif, sa lumière, sa musique, ses actrices, son acteur et cette émotion parfaitement orchestrée.
Pierre Raboud, rubrique musicale et thématiques
Young Thug et Drake
Peu de doute pour l’attribution du titre du prince et du roi de la musique en 2015. Leur point commun : une production pharaonique de titres de qualité sur une seule année. Drake a commencé l’année par sortir un album rempli de tubes super et fini avec un clip qui a donné naissance à une armée de mèmes. De Vine aux clubs en passant par les sonos de voiture, Drake incarne par son omniprésence la figure actuelle pop la plus aboutie, parvenant à toucher intensément un public large et diversifié (lire à ce sujet le très bon interview publié par The Fader). De son côté, Young Thug ne touche peut-être pas encore autant de gens et ses albums/mixtapes manquent encore de cohérence, mais son année reste hallucinante : deux mixtapes, un album et combien de titres géniaux : "Check", "Hallftime", "Best Friend", …
Sense 8
Après la confrontation des faux et vrai mondes puis la roue du combat du bien contre le mal, les frère et sœur Wachowsky reviennent avec une idée philosopho-mystique mais cette fois en série. Il s’agit ce coup-ci de l’interconnexion entre différents êtres sur la planète. Si on n'est pas sûr que ce concept parviendra à survivre sur plusieurs saisons, les douze premiers épisodes explorent les différentes manifestations de cette connexion avec brio. En flirtant constamment avec le kitsch et les clichés, la série ne tombe pourtant jamais dedans et réussit des scènes bouleversantes où l’amour et la beauté se rejoignent dans la musique et la sensualité.
Pop festival : Inga Copeland et Fenster
Dans une année 2015 où j’ai vu pas mal de concerts, s’il fallait en retenir qui se détachent, ce serait les concerts du festival Pop-kultur à Berlin. Ce dernier se déroule au Berghain et mixe conférences, créations originales et concerts. Parmi ces derniers, deux grandes réussites : Fenster, son psychédélisme parvenant à réussir l’exercice périlleux de la formule live+projection de film ; et Inga Copeland, un live hyper ambitieux et tout autant délicieux oscillant entre transe, pop électronique et finissant sur un sample de piano.
Mariage en Inde
Sans aucun doute, 2015 restera pour moi comme une année où j’ai vécu une expérience incroyable, un mariage en Inde et même une lune de miel collective dans le Rajasthan : palais, amour, panir, singes, cérémonies, marié sur un cheval, danser du hip hop avec un sikh,…
Les paradis, rapport annuel
Dans le cadre du festival des rencontres photographiques de Arles, Paolo Woods et Gabriele Gambert sont revenus sur les paradis fiscaux, un des scandales de notre époque que les dernières catastrophes ont parfois tendance à nous faire oublier. Cette série de photographies nous donne à voir le visage de ce vol organisé via des bureaux feutrés ou des îles fiscalement intéressantes, avec souvent un suisse quelque part sur la photo.
Les Fleurs du Capital
Pas facile de finir beaucoup de livres dans une année dense, mais les cent premières pages des Fleurs du Capital furent déjà captivantes. Prenant le sujet des bordels de Pattaya, Jean-Noël Orengo multiplie les styles et les points de vue pour plonger dans le psychédélisme d’une ville enivrée de sexe, entre sordide et merveilleux, fascination et addiction.
Show Me a Hero
Malgré la forte attente impliquée par le retour du scénariste de The Wire, David Simon, les 6 épisodes de Show Me a Hero sont presque sortis dans la discrétion. Pourtant, à nouveau, cette mini-série se situe un cran en dessus dans la capacité à mettre en scène des questions sociales dans leur complexité et leur intensité. La panoplie de personnages présente les différentes facettes de thèmes comme le racisme, la collectivité, la politique urbaine tout en donnant la profondeur intime à ces questions, grâce notamment à un excellent Oscar Isaac et à Bruce Springsteen en bande originale.
Bajrangi Bhaijaan
Film bollywoodien à tirer les larmes narrant l'histoire d’une petite fille pakistanaise qui ne sait pas parler et se retrouve perdue en Inde, Bajrangi Bhaijaan reste agréable à regarder malgré son côté mélo et tout en gardant le caractère protéiforme du cinéma indien : des chansons qui parlent de selfie, une autre qui mêle poulet et yoddle, une histoire d’amour, des blagues sur les différentes religions, sur la gentillesse, des changements de registre, des méchants bureaucrates, des papas sévères et des proxénètes. Au-delà de ces amusements, ce qui fait la qualité de ce film, c’est à la fois son caractère humaniste, au point de donner une vision presque positive du Pakistan, et un récit très bien mené avec notamment l’idée d’un film dans le film qui en suit la même action pour en sauver le dénouement.
Le Lausanne Sport, mouture 2015-2016
Je préfère presque le football quand il est joué dans des petites ligues, loin du business, de la préparation optimale et de la pression qui paralyse le jeu. Le retour en Challenge League du Lausanne Sport il y a un an m’a presque fait plaisir et l’équipe me donne raison cette année, avec un jeu offensif et des remontées improbables. Dans ce type de football, le génie prend un autre sens. Parfois maladroit, le jeu devient affaire d’un peu de chance, d’une envie inextinguible, d’un collectif ouvert, et dont la beauté réside dans le caractère imprévisible et improbable.
A Most Violent Year
Un film d'une classe absolue portée par un couple d'acteurs magnifique: Jessica Chastain et Oscar Isaac (aussi dans Show Me a Hero avant de devenir le meilleur pilote de la Résistance). J.-C. Chandor prend le décor du film de gangster des années 1980 pour se centrer sur un personnage principal dont la révolte consiste à refuser les règles de ce milieu. La violence se concentre dans le décor pour mieux laisser resplendir un personnage subversif par sa moralité et le fleuve aux abords d'une ville de New York qui sort tout juste de la crise.
Colin Pahlisch, correspondant littéraire
Foucault
Les puristes argueront qu’il y a toujours des coquilles, que paradoxalement, se faire immortel c’est mourir vraiment… Ou alors qu’Artaud, lui, n’est pas dans la Pléiade ! Les critiques sont honorables. N’empêche, la sortie en cette fin d’année du plus génial des historiens en format compilé et missel a de quoi réjouir, au point de trouver une bonne place dans ce classement. Assorti d’un appareil critique réalisé au scalpel, notamment d’une préface de Martin Rueff himself à L’Archéologie du savoir (1969), un seul mot s’impose (même si on sait, depuis 1970, qu’en fait c’est tout le discours qui s’impose, qui ordonne même) : (Re)lire !
Un revenant (celui d’Inarritu)
On l’attendait au tournant, après Birdman, le voilà qui échoue…à décevoir. Qui nous projette même, aux côté d’un Di Caprio en morceaux et en lanières (de peaux, la sienne, surtout) dans le grand Nord magistral. The Revenant, c’est un contre-western, une quête sans fin et sans pitié pour la survie, un spectacle hallucinant, des cadrages et des plans magistraux et mystiques. Merci, pour ça, 2015 (tout juste !)
Simondon
Un philosophe tout juste redécouvert, et déjà culte. La parution des œuvres tadives, des œuvres connues, des cours, de Gilbert Simondon (1924-1989) représente sans conteste une des grandes prouesses de cette année. Penseur des techniques et du social, ontologue de l’outil et apologue de la processualité, Simondon se présente comme une mine d’or pour les adeptes de théorie collectives et autres technophiles. Ce n’est pas fini, les tiroirs, on le sait, ont plusieurs fonds : alors creusez, messieurs les éditeurs !
Un pavillon amérindien
Autre escale dans le classement, plus poétique cette fois mais non sans liens avec la question technique, une éloge nécessaire du pavillon uruguayen présenté à la Biennale 2015 de la ville-caneaux. En apprence, c’était vide, et de plus près, l’œil capte des trames infimes, comme découpées dans de la soie, qui déployait sur les murs un réseau évanescent aux allures de ville futuriste. Trésor caché qu’on est content d’avoir trouvé, parce que somme toute, le reste…
Le génie d’un lieu
Morges, c’est la porte à côté. On y va, pour un remplacement. Et on se sent chez soi. Ça fait sourire encore en y repensant. C’est un coup de cœur, un truc perso, bon. Mais sa place ici, au sein de ce déroulé panégyrique de l’année, n’est pas volée. Merci l’équipe.
Tassini
Une petite exposition, toute discrète, à la CAB (entendons : l’art brut à Lausanne), celle de Pascal Tassini. Le belge timide montrait, en mars dernier, ses sculptures confectionnées avec des cordons, des rubans, du tissus. Tours nouées et multicolores, pièces en équilibre comme pour trouver un sens. Juste ça, de l’humilité. On pense à Deleuze : l’art, c’est ce qui tient debout.
Maylis
Réparer les vivants est un roman de Maylis de Kerangal, qui raconte l’histoire d’un cœur qu’on transplante. Sous des airs cliniques, c’est une épopée. Un glissement, une ode, quelque chose d’indicible. Mais de lisible. Une découverte littéraire, et c’est le monde qu’on réenchante.
Maylis
Réparer les vivants est un roman de Maylis de Kerangal, qui raconte l’histoire d’un cœur qu’on transplante. Sous des airs cliniques, c’est une épopée. Un glissement, une ode, quelque chose d’indicible. Mais de lisible. Une découverte littéraire, et c’est le monde qu’on réenchante.
Portrait-robot à la Maison d’Ailleurs
L’Ailleurs, cet endroit du bizarre, a été ouvert en 1976, comme l’Art Brut. Etrange ? Coïncidence plutôt. D'ailleurs, les altérités se rejoignent. La Maison d’Ailleurs a curaté récemment, et jusqu’en janvier encore, une proposition alléchante autour du robot. On y propose d’envisager celui-ci comme reflet de nous-mêmes, sous toutes les coutures : métaphoriques, thématiques et philosophiques. Un tour de force didactique. À voir…pour 2016!
Oxford
Découverte marquante, patente, neigeuse et tout juste de 2015 ! Celle de la ville d’Oxford aux tours pierreuses et rouges, aux rues enfilées, et aux pubs acueillants. Un souvenir de séjour façon Hobbit, assez inspirant. Good time dans le good time : la vision, au matin du départ, de la Radcliffe Library, où Tolkien composa son Seigneur… la peine, oui, s’en est value !
La fin des Mouettes
Le café des Mouettes de Vevey, où le collectif RATS a accueilli nombre d’expos, a tiré sa révérence cette année aussi. L’occasion de dire au revoir, et d’honorer le travail qui a été fait, d’y repenser, de se relancer sur d’autres fronts. Un tournant, transmis aux mains d’autres compétents. Un rebond, aussi.
Julien Gremaud, éditeur de TT
Kendrick Lamar
Sorti en mars, ”To Pimp a Butterfly” est le troisième album du rappeur Californien. Signe de son importance, il n'a cessé de hanter cette année trouble et de générer l'hystérie de part et d'autres. Signe de son empreinte, son magnifique clip ”Alright” suscita le débat aux USA – «Kendrick Lamar fait plus de dégâts aux jeunes Afro-Américains que le racisme», selon Geraldo Rivera, l'une des flèches de la chaîne Fox. Signe de sa cohérence, ce disque garde toute sa force à l'heure des comptes de fin d'année, les titres et les featurings s'enchaînent comme des perles. Un gros gros good time 2015.
”The Epic” de Kamasi Washington
Va-t-il finir par exténuer ou, du moins, lasser les plus courageux? Le titre du LP l'annonce clairement: Kamasi Washington vise haut, très haut, le temps de trois (!) disques, à la vitesse grand V. Sous l’égide de Brainfeeder, label de Flying Lotus, ce saxophoniste Californien d'à peine 34 ans convoque les grandes figures de la musique jazz et expérimentale dans un disque frénétique et quasi interminable aux allures de réponse idéale à Kendrick Lamar (qu'il produit d'ailleurs). ”The Epic” peut aussi se voir comme l'ultime preuve que le curseur nord-américain n'a rarement autant pointé du côté Ouest.
Martin Boyce au Museum für Gegenwartskunst de Bâle
Le Turner Prize rate rarement le coche malgré les critiques. Primé en 2011, le sculpteur écossais Martin Boyce n'est ni le plus visible ni le plus bankable (les deux allant souvent de pair) mais son travail de réinvention moderniste des parcs et espaces publics est un petit bijou de détournement artistique. Alliant intelligence conceptuelle et séduction formelle, le Glaswegian ne cesse de fasciner.
Sufjan Stevens au Théâtre du Léman
Tout un programme, ce concert de Stevens à Genève… Sans trop s'y préparer, c'est avec la ferme conviction d'assister à une prestation intimiste qu'on s'y rend, encore assommé par une énième journée caniculaire en septembre dernier. Pourtant, à mesure que les titres du dernier (et triomphal) album ”Carrie & Lowell” s'enchaînent, le backing band se dévoile et les effets s'enrichissent. Pouvant laisser perplexe sur les titres récents, tout ce barnum prend les contours d'un trip – même si bien trop rodé – lorsque Stevens arpente les montagnes russes du LP ”The Age of Adz”. En rappel, c'est ”Concerning the UFO Sighting Near Highland, Illinois” du disque ”Illinois” (qui vient de fêter ses 10 ans) qui achèvera de convaincre qu'il n'en fallait pas tant pour prouver qu'on a devant nos yeux un petit génie. Less is more quoi…
Le récital de Peter Sagan
Peter Sagan est l'avenir du cyclisme sur route mais il est aussi en passe de devenir la figure d'une conscience sociale renouvelée, sans emphase ni niaiserie, dans un monde trop souvent nombriliste. Le Slovaque n'oublia pas la promesse qu'il s'était faite un de ces jours d'été 2015 marqué par un flux ininterrompu de migration: « J'étais choqué d'assister à ça alors que, moi, je ne pensais qu'à un truc futile, faire du vélo. Avec mon amie (…), on s'est dit qu'il fallait que je gagne à Richmond (aux Championnats du monde) pour pouvoir dire ce que je pense sur ce sujet ». Le titre dans la poche, remporté après un numéro dont il en a le secret, affolante mixture de force et d'équilibrisme, Sagan donna à son interview d'après-course des airs de tribune politique. Ses rivaux l'applaudissent, les télévisions moins.
Le 8, Rue Saint-Bon
Cette fin d'année, l'exposition de l'artiste polonaise Paulina Olowska restera comme le dernier chapitre de ce micro-centre d'art, « vitrine sur la rue parisienne qui fut successivement librairie éphémère, boutique caméléonesque, laboratoire in situ, improbable site de performances et repaire d'archives ». 30 mètres carrés consacrés à l'imprimé (de part son rôle de prolongement des activités des éditeurs et producteurs Anna Sanders Films, bdv, Les presses du réel et JRP|Ringier), mais aussi à des projets pluridisciplinaires et surprenants tel que ”Cocktail Games”, ludothèque éphémère croisant les expérimentations ludiques Fluxus et le processus de gamification de notre monde. En 4 ans d'activité, le 8, Rue Saint-Bon fut une bouffée d'oxygène et permettait ce pas de côté bienvenu à l'heure du tout-communication dans l'art. Inspirant.
La Java au TU
En septembre, le TU (anciennement connu sous le nom de Théâtre de l'Usine) lançait sa nouvelle saison sous la punchline ”La fête comme culture”. En titrant notre article-entretien ”Décalages, contre-coups et matins lucides: la Java au TU”, nous ne pensions pas si bien dire: quelques mois plus tard, sa maison-mère, un des plus grands centres culturels autogérés d’Europe qui héberge une association regroupant 18 collectifs et associations, devenait non seulement le symbole mais également la cible malheureuse et idéale de la (nouvelle) majorité au Conseil municipal de la Ville de Genève. Une lutte féroce s'est engagée depuis avec les différents milieux culturels indépendants. Au centre de l'action, le TU: comme un symbole, Laurence Wagner, programmatrice, et sa collègue Hélène Mateev recevaient le 10 décembre la bourse 2015 de la Ville de Genève pour la médiation culturelle en art contemporain. Full support.
Pierre Vadi au Centre culturel suisse
Peu avant de fêter ses 30 ans, le CCS de Paris laissait libre cours aux interventions du fascinant artiste Pierre Vadi. Dans un espace transfiguré, on passait de l'émotion à la désorientation, sans trop savoir ce qui est dedans et dehors, ce qui est blanc ou ce qui est fluo. Comme un défi au réel, les vitres ferment des pièces alors que les murs accueillent des plantes. Nous voilà pris à notre propre piège.
Nos partenaires (d'un soir)
A la veille de fêter son cinquième anniversaire, Think Tank n'oublie pas de remercier ses fidèles lecteurs, suiveurs et… clubbers. C'est qu'après quelques années à avoir passé des disques aux quatre coins de la Suisse et notamment au Bourg, nous avons eu la chance de lancer une série de soirées artistiques au Romandie en 2013. Cette année, deux éditions d'Entourage pour dérouler le tapis aux points de convergences entre musique et image, en mai tout d'abord par l'entremise de Low Jack et Black Zone Myth Chant sur fond de films historiques d'Ubu Web, puis en septembre Cut Hands en guise de festin pour une soirée co-organisée avec le LUFF.
Nos illustrateurs et nos contributeurs (de toujours)
Structure aussi légère qu'autonome, Think Tank n'en reste pas moins dépendante de ses nombreux collaborateurs visuels; la liste est longue et les amitiés sincères. En cinq ans, si les traits et les propositions ont évolué, les illustrations sont devenues une des marque de fabrique de notre petite entité éditoriale. Aux réguliers comme aux occasionnels, un grand merci pour votre engagement!
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