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11 juin 2015

Speaches: mai 2015

Illustration: Maulde Cuérel


Mensuellement, nous revenons aussi inspirés que possible sur le mois écoulé. Une démarche qui se veut aussi libre qu'enthousiaste, même si elle peut paraître anachronique sur le www. Qu'importe, un Speaches, c'est un petit rendez-vous qui témoigne autant du temps qui passe que de la profusion culturelle dans laquelle nous (vous) nous trouvons. Un tourbillon qui a vu, en mai, la sortie des incroyables nouveaux albums de Unknown Mortal Orchestra et de Kehlani, mais aussi la confirmation que le Lausanne-Sport n'est plus que l'ombre de lui-même, sans parler des Strokes. Et, en attendant une suite de Twin Peaks, on se réconforte avec Black Mirror.

LA CREME DU MOIS


Maxime Morisod: MULTI-LOVE de Unknown Mortal Orchestra
Bon, bon bon... que dire ? Une claque, un monstre, une tuerie, une petite bombe thermo-pop qui sent les vagues salées et la transpiration qui dégouline sur un torse trop bronzé ou comme la vision d'une glace vanille qui coule dans le dos d'une femme en bikini. Le nouveau disque et troisième album des américains de Unknown Mortal Orchestra ne sonne pas, il illumine. Par sa structure de composition particulière et novatrice, dans ses couplets qui se répètent sans jamais lasser et ses refrains implacables. Le groupe réussit à sonner comme une chanson d'été sur toute la longueur des plages (des chansons donc). Cet album détrône son monde par sa qualité surprenante d'écriture, où tout fonctionne dans une sorte de faux bric-à-brac jouissif et précis. Entre tubes au sujet contemporain (Stage or Screen ou avec Can't Keep Checking My Phone où le groupe reprend même un semblant de beat de Michael Jackson sur son refrain) et hymnes intemporels (Extreme Health and Casual Cruelty, Multi-Love), absolument rien est à jeter dans ce magnifique disque. Immense bravo !

Pierre Raboud: Kehlani, YOU SHOULD BE HERE
Le voilà déjà le grand album R’n’B de 2015, à écouter en boucle cet été, voir dès maintenant, peut-être pour toujours. Alors que la plupart des albums de R’n’B féminin récent jouait dans un registre sombre, YOU SHOULD BE HERE est un disque lumineux, resplendissant de chaleur et d’intelligence. Une seule ballade au piano ("The Letter") pour une quinzaine de titres brillamment pop. Le son de Kelhani se nourrit à l’indépendance sans jamais tomber dans une posture de séduction lascive trop facile. Chaque titre est écrit avec une ferveur qui embarque l’auditeur jusqu’à l’identification. "You should be here", "Wanted" au firmament de 2015.

Raphaël Rodriguez: Robert Aiki Aubrey Lowe & Ariel Kalma, WE KNOW EACH OTHER SOMEHOW
Ariel Kalma, prolifique mais discret artiste français établi de longe date en Australie de musique minimaliste, a gagné ces derniers temps une attention nouvelle. Grâce à la réedition sur RVNG Intl. de certains de ces morceaux des années 70 sous le nom d' AN EVOLUTIONARY MUSIC, Kalma a pu revenir sur le devant de la scène. Son approche, basée principalement sur l'utilisation de synthétiseurs modulaires, de field recordings et d'instruments à vent et grandement influencée par un séjour prolongé en Inde , est sublime de pertinence en 2015. Mais l'histoire ne s'arrête pas là: l'affuté label new-yorkais RVNG Intl., qui est à l'origine de la série FRKWYS (Freakways), une initiative de collaborations entre artistes d'aujourd'hui et précurseurs d'alors, le réunit avec Robert Aiki Aubrey Lowe aka Lichens pour un disque ultra chill et renversant (Si, c'est possible). D'où WE KNOW EACH OTHER SOMEHOW, le truc qu'il te faut écouter cet été. S'il y a un truc que tu prends à la plage c'est ça si ça te gêne pas d'y verser une larme de temps à autres. Sax, ambient, new age et vibe méditative sans un gramme de chiant. La répétition ne fait que sublimer l'évolution des morceaux vers le trip total.

Colin Pahlisch: La SF pour penser le social. 
Petite série découverte au coin d’un écran, Black Mirror est à conseiller absolument. Constituée de trois épisodes par saison (la troisième est à venir), les intrigues auxquelles elle nous invite donnent à voir une Angleterre futuriste, qu’on imagine être celle des décennies à venir. Ce miroir noir, c’est celui de nos écrans d’ordinateurs, le vide lisse de nos tablettes, le poli de ces nouveaux outils d’interaction au monde que nous procure la technologie numérique et virtuelle contemporaine. C’est cette technologie, justement, qui sculpte les histoires. Que se passerait-il si nous pouvions implanter une « graine » dans notre tête, enregistrer chacun des moments de notre vie et nous les repasser, à l’envie ? Ou encore, si nous pouvions combler l’absence d’un cher disparu par l’achat d’un clone plus vrai que nature, gavé et façonné par les informations laissées par le défunt sur la Toile ? Autant de perles scénaristiques qui font de Black Mirror une immanquable.


LE PETIT LAIT DU MOIS


Maxime Morisod: The Strokes au Primavera 2015
Je n'y étais pas, mais j'ai pu voir la bande de Casablancas à l'oeuvre en streaming video, et c'était pas beau à voir. Ok, Julian n'en a plus rien à secouer des Strokes mais alors pourquoi continuer à faire des concerts dans cet état d'esprit ? Rock'n'roll peut-être ? Non non non, c'est juste pitoyable. Leurs derniers disques sont extrêmement moyens et on pouvait alors espérer voir surgir en live un concert de qualité, comme ils en étaient capables au début des années 2000. Leur concert était pathétique, Julian bourré et les autres n'en avaient absolument rien à cirer et semblaient gênés à côté de leur frontman. Bon les gars, c'est le moment d'arrêter là non ?

Pierre Raboud: La saison 2014-2015 du Lausanne-Sports
Alors que je me réjouissais que le LS soit descendu en Challenge League, m’attendant à voir mon équipe de cœur se royaumer contre de plus petits clubs, que ce fut décevant! Aucune jouerie, peu de buts et des matchs au bout de l’ennui. Bon au moins les finances sont en règle vu que le club n’achète aucun joueur au dessus de ses moyens. Allez je vous aime toujours aussi fort et je suis certain que 2015-2016 sera une saison magique comme seul le LS sait en donner. C’est bien parti avec l’engagement d’un attaquant uruguyaen de 39 ans qui n'a plus joué depuis un an et qui est connu pour avoir énormément transpiré lors d’une interview.

Raphaël Rodriguez: Golden Teacher en live au Kilbi
Je sais même pas pas où commencer. Non pas que je sois arrivé avec des attentes énormes, je me méfie toujours un peu de ces trucs, mais Golden Teacher avait l'air d'un de ces groupes un peu frais, un peu fun, pas mémorables mais pour un festival: nickel. Sauf que non. On est d'accord sur les influences no-wave, les trucs un peu funk, un peu soul, le modulaire par là-dessus pourquoi pas. Tout n'est pas à jeter, et non, je ne hais pas à la pop. Et pis j'adore ESG. Sept personnes sur scène (genre!), dont deux qui chantent (un peu) et gesticulent une chorégraphie (genre-je-suis-fou-mais-c'est-tout-prévu), c'est populiste à mort. J'ai l'impression d'être pris par un con par un groupe de stade en train de répéter, et je tiens pas longtemps. Bien essayé, ceci dit, mais on se regarde jouer, danser, chanter et c'est pas un tantinet sauvage. Je mets pas le lien, t'iras voir. Sinon, l'indie rock est mort, au cas où c'est nécessaire de le préciser.

Colin Pahlisch: Le départ du Grand Blues
Mai, c’était aussi le décès d’un tout grand du jazz, B.B, le dernier King. Mon « petit lait » pourrait être un hommage, aussi, et une incitation à chercher aujourd’hui l’équivalent, les derniers survivants. En restent-t-ils, des immortels zicos si investis qu’ils rendent encore palpable par leur art la transcendance du « it », la force du « that » ? Peut-être, il faut creuser. Lui, en tout cas, doit bien se marrer à nous regarder faire. Le carré s’amenuise, les géants se cougnent sur les nuages. C’est sûr, quand Cohen passera de l’autre côté je chialerai.


LE PAIN SURPRISE DU MOIS


Maxime Morisod: Vincent Gallo à l'Ecal
Ha, vous y avez cru ? Non, Vincent Gallo n'était pas à l'Ecal. Mais le ciné-club de l'Ecole d'Art de Lausanne passait en mai le premier long-métrage réalisé par l'acteur américain, Buffalo '66. Après une brève présentation d'un étudiant, les 5 ou 6 spectateurs ont pu se délecter devant cet ovni en pellicule. Prises de risques, cadre osé, flash-backs encastrés, la première réalisation de Gallo est une merveille sur le plans de la mise en scène, du montage et, évidemment, des deux comédiens : Christina Ricci et lui-même. Et quand Ben Gazzara se transforme en chanteur des fifties, on tombe des nues et on prend conscience du travail et du génie de Gallo : non-seulement il est (dans ce film) un étonnant acteur, mais la réalisation scénique et musicale comptent aussi puisqu'il est crédité pour presque toutes les créations artistiques du film (il écrit ses propres chansons de film). Putain de génie.

Pierre Raboud: La galaxie Twin Peaks s’emballe déjà
Après l’annonce d’une nouvelle saison de Twin Peaks, 25 ans après, cela commence déjà à grouiller. Pendant que les fans de plus en plus nombreux retiennent leur souffle (de peur d’être déçu par une nouvelle saison que personne n’espérait), David Lynch annonce son retrait puis son retour pendant qu'Angelo Badalamenti, l’excellent compositeur de la musique de la série, confirme lui sa participation. En attendant de voir si les historiques tiennent toujours la route, un projet parallèle nous emballe déjà : NORTHWEST PASSAGE. Un documentaire sur Travis Blue, un jeune adolescent gay qui habite dans la ville où est tournée Twin Peaks. Rejeté, il développe une fascination dévorante pour le personnage de Laura Palmer au point de se prostituer comme elle. Le financement via kickstarter vient d’être atteint, on attend donc le film pour 2016.

Raphaël Rodriguez: Eugene Ward, PAINT EN POINTE
Un gros mois de retard là-dessus, mais fallait que j'en parle. Eugene Ward, 22 ans, australien, doué et dessin et en musique... A déjà eu le temps, avec ses deux alias (Tuff Sherm et Dro Carey), de sortir sur plusieurs labels qui en jettent: Trilogy Tapes, Merok, Opal Tapes, Berceuse Heroïque, etc. C'est un peu la loterie, des fois c'est hyper bien, des fois c'est un poil médiocre, le souci habituel avec les artistes ultra prolifiques. Sauf que là, il a sorti en mars sur Where To Now? un album de musique créé pour une performance de danse, sous son nom civil. Et que c'est ce qu'il a fait de mieux à l'heure actuelle. C'est sublime avec la danse, mais ça le fait aussi sans. C'est tribal, syncopé, grime sur les bords, et c'est juste une beauté de A à Z.

Colin Pahlisch: L'impro intime 
En général, les gros étouffent les petits. Les lois darwiniennes de la nature pourraient s’appliquer au théâtre. Mais il arrive que les décors s’écroulent, qu’on retrouve, alors que tout s’oppose, la magie de l’intime au sein des grosses manifs’. C’est ce qui a eu lieu lors du festival d’improvisation mondial de Vevey, qui s’est tenu à Del Castillo. Le Canada défiait la France qui affrontait la Suisse, et à nouveau, les Helvètes surchauffés menés par un maître de jeu inventif (Alain Ghiringhelli) et des joueurs grimés façon White Stripes (Paul Berrocal et Odile Cantero) ont déboulonné, décalqué dans la joie, l’espace carré de la patoche.  C’était du plaisir de gosse dans une salle bondée. Du rigolard à la mode professionnelle. C’était bien.