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28 avril 2015

TT Trip: Inde


Photo: Erri de Bello
Après l’Amérique du Sud et les États-Unis, cette fois-ci je suis parti en Inde et plus précisément à Delhi et au Rajasthan. En mode lune de miel et au milieu des klaxons et des vaches, voici quelques aperçus d’une musique entre folklore touristique, démesures kitsch et effervescence collective.

La sono ne suffit pas 
Je n’évoquerai pas ici les musiques traditionnelles indiennes ou râjasthâni. Non pas que je n’ai pas eu l’occasion d’en entendre de très beaux exemples lors de soirées proches du désert. Mais par respect pour cette culture, je ne souhaite pas en disserter ici alors que je ne la connais que très parcimonieusement et majoritairement à travers le prisme du folklore touristique. Ce séjour en Inde se faisant à l’occasion d’un mariage, ce cadre permit de s’immerger dans une pratique culturelle vécue collectivement, hors du simple spectacle. Dans un mariage divisé en de multiples cérémonies et se déroulant sur plusieurs jours, la musique joue différents rôles, que ce soit festif ou plus mélodique, les voix de chanteuses venant par exemple célébrer l’union. Mais intéressons nous au premier aspect:  les percussions jouent un rôle central. Ainsi un orchestre itinérant revient à de multiples occasions, lors de l’arrivée des mariés le premier jour puis le long du cortège du marié à cheval le second. Cet orchestre est essentiellement composé d’instruments de percussion et représente une présence festive et urbaine. Dépourvu de toute volonté mélodique ou romantique, il semble avant tout exprimer l’excitation précédant le mariage, les rythmes se faisant de plus en plus fort et plus rapide avant la rencontre des deux êtres promis. D’autre part, chaque soir, une fois les cérémonies accomplies et le repas savouré, il y a évidemment une piste de danse. Si le DJ passe différents tubes internationaux ou indiens, la vraie spécificité réside ici à nouveau dans les percus. En effet, à côté du DJ, un second musicien joue constamment des percussions électroniques ou non. Pratique inexistante en Europe centrale ou aux États-Unis, c’est un dispositif beaucoup plus fréquent en Amérique du Sud, en Afrique, au Moyen-Orient et donc en Inde. Le but ici est d’accentuer les basses, surtout si la sono n’est pas assez performante, et de diversifier encore les rythmes pour assurer une danse endiablée où se mêlent passage de chorégraphies et pure improvisation. 

Un kitsch anti-impérialiste 
Au-delà de ces aspects quelque peu anecdotiques de différences de goûts, la culture indienne a cela d’intéressant qu’elle résiste à l'importation des productions américaines, possédant sa propre culture et ses propres blockbusters. Bollywood en est l’exemple le plus connu. Par leur démesure, leur kitsch, leurs scènes d’action interminables et irrationnelles où les voitures volent et les regards en gros plans se multiplient, ces œuvres produisent une forte incompréhension chez les non-initiés, la langue n’y étant finalement que pour très peu. La musique est elle-même directement reliée à Bollywood, la plupart des tubes étant chanté et dansé dans des films. Au hasard des soirées et des zapping, en voici quelques exemples : le tube du moment est signé par Meet Bros Anjjan, un trio d’acteurs devenus musiciens, accompagné de Kanika Kapoor. Cette dernière est une « playback singer », c’est-à-dire une doublure qui prête sa voix à différentes actrices pour les passages musicaux de films. Musicalement, il s’avère difficile de décrire le tube "Chittiyaan Kalaiyaan" qui comme la plupart des hits issus de Bollywood ne fait pas dans la demi-mesure quand il s’agit de sonner pop. Ici, l’intro à la guitare, les percussions laissent penser à une influence latino, mais jouée par des allemands lors d’une street parade, le tout entrecoupé par un passage lorgnant vers le dancehall contemporain. J’ai bien conscience que cette description ne donne pas particulièrement envie, pourtant il suffit d’avoir dansé une seule fois dessus pour apprécier son efficacité. Cette dernière tient peut-être à la relative sobriété de sa production musicale en comparaison des autres tubes bollywoodiens, avec ici peu de sons de synthés ou de gros mix électro. La chanson est portée par une rythmique assez simple et plutôt lente, autre teinte dancehall du titre, et bien sûr la voix de la chanteuse. C’est peut-être bien ces voix féminines qui fascinent d’abord dans la pop indienne, par leur hauteur cristalline et leurs mélodies apportant une forte diversité aux titres. Ici, la voix chante une ode au shopping qu’il s’agit de célébrer en secouant ces bracelets. Et hop vous avez votre chorégraphie en prime. La présence de cette teinte dancehall s’explique en partie par l’influence de la diaspora indienne en Angleterre, certains albums étant par exemple produits à Birmingham. Depuis le début des années 2000 et notamment le succès du producteur Dr. Zeus qui a également signé un titre avec Kanika Kapoor, de nombreux tubes sont ainsi marqués par un son et un imaginaire qui se veulent street, proche du rap et du r’n’b ou plus récemment du dancehall jamaïquain. Si Chittiyaan Kalaiyaan se tournait plus vers ce dernier, le précédent tube signé par Meet Bros Indian avec déjà Kanika Kapoor à la voix, "Baby doll" était bien plus imprégné de sonorités hip hop et possède même des moments rappés avec de plus une plus forte présence de mélodies indiennes synthétisées. Mélanger mélodies indiennes et production hip-hop, et vous avez la recette la plus utilisée actuellement. Toujours en mode hip hop pour club, on peut ainsi encore mentionner "Abhi To Party Shuru Hui Hai" de Badshah et Aastha, un gros tube sans surprise si ce n’est à nouveau cette fois féminine qui le traverse suspendant la rythmique pour quelques instants. Pour ceux qui comme moi sont fascinés par ce chant indien féminin, je peux encore conseiller "Patakha Guddi (Female Version)" chanté par Nooran Sisters. Ici pas de club, mais un grand tube sentimental pour road trip où les voix ne laissent personne reprendre son souffle. 

Grosse dédicace à Dimitri et Jasmina, roi et reine de ce voyage love en Inde.