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29 janvier 2015

L'art tel que montré par Peter Marino

Illustration: vernissage de l'exposition



De l’appropriation de tableaux de Mondrian par YSL à la collaboration de Rob Pruitt avec Jimmy Choo en passant par les habits de Tom Sachs élaborés avec Nike sans oublier l’intervention de Sterling Ruby dans un magasin Raf Simons, les rapports étroits qu’entretiennent la mode et le design avec l'art contemporain ne sont pas récents; en revanche, quand des marques majeures rentrent dans le jeu, généralement par l’entremise de leur groupe respectif, l’affaire prend une autre tournure et les avis se scindent devant des résultats souvent explosifs. Dans un contexte artistique marqué notamment par l’inauguration du navire de la Fondation d’entreprise Louis Vuitton à Paris en octobre 2014, se rendre à l’exposition de Peter Marino à Miami Beach, qui tentera ci-dessous d’être décrite visuellement et factuellement, permet ainsi de se questionner une fois encore sur les propriétés et impacts de ces liaisons ainsi que sur les modes et les formes d’expositions de ces collections toujours plus influentes.

Une casquette de biker en cuir assortie d’une veste du même acabit posée à la va-vite sur un squelette en faux-équilibre qui repose contre un produit Bang, une ventouse, une ramassette, un stylo-feutre ainsi qu’une canette de Red Bull Light 33cl; la sculpture est commissionnée pour l’occasion et nous accueille au Bass Museum. L’installation-effigie est signée Erwin Wurm et annonce donc la voie. Celle, délimitée du dehors au dedans, du rez au premier étage de ce musée floridien par ”Orphische Schatten” de Gregor Hildebrandt, installation qui emploie des centaines de bandes de cassettes vidéo extraites de copies d”Orphée” de Jean Cocteau et enrobant le chemin d’accès aux salles principales. Une double rampe nous plonge dans des « ténèbres chatoyantes » sur lequel s’y greffe, comme incarcérés dans les murs, pêle-mêle et sans repères historiques, des pièces de Keith Haring, Christopher Wool, Richard Prince, parmi tant d’autres. Loris Gréaud, Dan Colen, et Rudolf Stingel y figurent par exemple côte à côte dans une de ces inclusions blanches.

Cette voie offre malgré tout un replat, ou plutôt un répit en négatif, plate-forme pour le ”Black Rosaries” de Jean-Michel Othoniel, installation de miroirs en verre soufflé, de perles de verre rouge et de métal affrété sur une cimaise blanche. Plus loin, en haut, c’est le paradis, c’est inscrit à coup de néons surplombants la scène du vernissage. Les invités y sont assis. En face d’eux, l’architecte et collectionneur Peter Marino se tient debout, il parle de ses oeuvres, de l’élaboration de l’exposition qui a duré deux ans et présente la scénographie commissionnée à Jérôme Sans, silencieux et assis. Entre eux, assis aussi, attentifs, le directeur du Bass Museum, l’institution qui reçoit l’exposition, ainsi que la conservatrice. L’exposition s’appelle ”One Way”. Il s’agit de la collection privée d'art contemporain du architecte et créateur en cuire – que certains décrivent comme l’une des plus conséquentes au monde. Selon Marino, elle a été «pensée pour le public de Miami Beach ».

Dans ce décorum, tout autour, accrochée sur plusieurs niveaux, d’une densité étouffante, la collection est présentée de façon aussi spectaculaire que dans les ténébres; Marino possède même son mur Marino, composé de divers portraits commissionnés par des photographes, entre Walter Pfeiffer et David La Chapelle. Dans ce dédale sensoriel et photographique s’y tient sa réplique en cire. On s’y attendait, le tableau ne serait être complet sans que de nombreuses personnes profitent de l’occasion pour s’y faire photographier entre la statue et le vrai Marino. C’est que l’on est ici un peu dans sa demeure, si ce n’est dans sa tête. L’architecte, qui dit collectionner tous les jours de nouvelles pièces – sans l’aide d’aucun advisor est généreux. Il pense lui aussi créer une fondation. En attendant, nous sommes à Miami et le répit, tout comme les repères d’ailleurs, semblent interdits. 

Plus loin, heureusement, certaines salles attenantes baissent l’intensité du show: qui de Georg Baselitz et d’Anselm Kiefer, qui d’un mur de photographies de Robert Mapplethorpe, valeur sûre de la série artistique, on croit y voir une concession dans la vanité, en tout cas moins de fantaisie. Ailleurs, on retrouve toutefois casquettes et vestes, mais pas de squelettes. Par contre, dans la boutique du musée, on pourra acheter des répliques de bracelets en cuir pour une centaine de dollars, l’équivalent de trois verres de vin ici. Vernie le mercredi 3 décembre dans la matinée, ”One Way” coïncide avec l’ouverture limitée d’Art Basel Miami Beach. On y accède par le Collins Park, non loin du centre des congrès. Le jardin accueille l’exposition en plein air de la foire, elle aussi ouverte officiellement le même jour. On pourrait appeler cela une drôle de coïncidence, ou bien une zone sinistrée (mention spéciale à Alfredo Jaar et son terrible néon ”CULTURE = CAPITAL”) ou encore, selon les avis, un joli jardin kitsch introduisant cette sorte ce caprice lifestyle tout à fait indifférent à l’histoire de l’art. Comme l’affirme Jason Farago du journal le Guardian, à l’instar de notre tentative d’observation objective ci-dessus, « ”One Way” suggère que l’infiltration de l'art par la mode et le luxe n’est plus seulement inévitable mais bien célébrée ». 

”One Way: Peter Marino”
Bass Museum of Art, Miami Beach
3 décembre 2014 - 3 mai 2015