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07 octobre 2014

Speaches: Septembre 2014

Illustration: Johanne Roten

Un disque qui s'écoute seul, des plus beaux livres, des penseurs teutons à Birmingham, une série produite par Arte, des marchandises non désirées sur iTunes, des blagues-sur-les-gens-de-couleur, du rock nostalgique, un festival suisse grand public, et puis un autre, de l'Art Brut et puis des frères Gallagher restaurés. 30 jours qui ont fait un joli mois de septembre, autant d'opportunité de témoigner du temps avec, on l'espère, toujours autant de curiosité. Speaches, c'est parti, presque au complet!

LA CREME DU MOIS

Pierre Raboud: COLLAPSED VIEW de Bugskull
En cette période overbookée de rentrée, rien de tel qu’un album méditatif. Un disque qui s’écoute seul, intime, dont on parle peu mais qui années après années reste comme un ravissement. COLLAPSED VIEW de Bugskull fait partie de ceux-là avec sa très belle pochette et ses plages éthérées oscillant entre mélodies claires et bricolages plus stridents. 

Julien Gremaud: Les plus beaux livres suisses 2013
Le concours fait autorité dans le monde du livre. Son règlement intelligent permet une participation très internationale à ce prix annuel décerné par l'Office de la culture, ce qui dessine un panorama large et extrêmement riche de la production éditoriale, où les protagonistes primés sont souvent des acteurs majeurs du milieu. Mine de rien, c'est déjà pas mal pour un simple concours national. Et puis le "livre des livres" est lui aussi d'enfer: réalisé par Maximage, ce catalogue ne recense pas seulement les livres primés mais prouve encore une fois que ce duo est des plus efficaces, alliant sobriété et expérimentation (la vraie, à la main, à même les plaques offset). L'exposition est itinérante, actuellement à Lausanne, ensuite en Engadine et à Saint-Gall. Nous en reparlerons.

Colin Pahlisch: Birmingham pour y bosser Nietzsche.
« Le voyage forme les crèmes », ça pourrait être une forme de constante, du moins concernant ces critiques mensuelles. Celle-ci ne déroge pas à la règle puisque consacrée à la visite d’une ville British, Birmingham, à laquelle on inviterait tout buveur de bière assidu ou lecteur de Nietzsche, au choix. Un périple effectué par votre serviteur pour y écouter de fines et balèzes perspectives de lecture du plus méditerranéens des penseurs teutons. Lumineuses, comme des percées de soleil  sur un cerveau qui s’embrume. Violentes, comme une arme à destination du crâne : « ce bloc d’os trop enclin à se clore » comme dirait le Damasio de la Horde. Y aller, oui et surtout pour son anniversaire.
Maxime Morisod: Saint-Laurent de Bonello (et P'tit Quinquin de Dumont)
Deux réalisateurs français : Bonello et Dumont (il faudrait rajouter Jean-Charles Hue et son Mange tes morts). Il y a donc le fameux P'tit Quinquin de Bruno Dumont que tout le monde a pu admirer en septembre sur Arte et puis le Saint-Laurent de Bonello dont une exposition au Centre Pompidou lui rend actuellement hommage à Paris du 19 septembre au 26 octobre. La version de YSL de Bonello (deux films ont traité du même sujet en 2014) se concentre sur le mythe du personnage, de l'artiste et de ses démons, en se limitant à la période du début des années 70. A voir pour le trio Ulliel-Renier-Garrel, pour ses choix musicaux (de Bach à Creedence) et l'atmosphère glauque et sensuelle du film. Les scènes dans les ateliers au début sont de haut niveau.



LE PETIT LAIT DU MOIS

Pierre Raboud: Bono force l’entrée de ta liste de lecture.
On s’est tous réveillé un matin et durant la nuit un album de U2 s’était glissé subrepticement dans nos différents appareils avec plein de petits nuages nous enjoignant de le télécharger. Je ne sais s’il vaut mieux qualifier cette opération de sordide ou de ridicule : un groupe qui vient prouver aux derniers sceptiques qu’entre crédibilité artistique assortie de bonne conscience politique d’un côté et campagnes publicitaire de l’autre, il a choisi son camp ; l’envahissement d’appareils personnels par des marchandises non désirées. Et surtout est-ce que quelqu’un a entendu une de ces chansons de cet album de U2 ? 

Julien Gremaud: Le nouveau Caribou
Dan Snaith a raflé la mise avec "Swim" il y a quatre ans, ensemble joueur de tubes électroniques—de la pop?—qui a fait de cet Ontarien le favori des… ben de pas mal de monde. Suffisamment de suiveurs pour faire de ce trentenaire au charisme d'huitre le bon client électro-créatif. Une mue électronique qui faisait suite à des compositions touchantes sous l'égide de son ancien nom d'artiste, Manitoba. En 2014? "Our Love" sent fort la prétention du gars qui n'en a pas assez avec le succès, au point de tenter l'ubiquité avec le bof bof Daphni et de multiples remixes les mois précédents cet album. On se contentera de citer Libération qu'on pourrait accuser de négligence criminelle: « Dan Snaith, 35 ans, est toujours cette personne très saine qui regarde le cirque musical de loin avec sa fille de 3 ans dans les bras. Le genre de type à préférer un barbecue du dimanche à une after-party branchée ».

Colin Pahlisch: Les trois Frères, le retour.
Voyage mental, aussi, mais décevant cette fois. Le naïf imaginerait s’embarquer pour l’Espagne et se retrouver en Normandie. Oui, d’accord, c’est beau aussi la Normandie. Cesser de métaphorer, d’accord, c’est noté, n’empêche que le temps maussade peut y être pour quelque chose si on décide un jour de télécharger (quoi, non, c’est mal !) le retour cinématographique des trublions Inconnus... pour ce retrouver, sans surprise, atterré. Un Bourdon gavant, un Campan que les lectures d’Alexandre Jollien, quoiqu’honorables, n’ont pas réussi à extraire de son rôle de « hippie-comédien-pathétique » et Légitimus recyclant ad aeternam son sempiternelle semblant de blague-sur-les-gens-de-couleur. On revient broucouilles, et on se refait le sketch des chasseurs. Et ça va déjà mieux, niveau confiance en l’humour français.
Maxime Morisod: Weird Little Birthday de Happyness
On attendait un peu mieux du premier album des Anglais de Happyness. Même s'il regorge de quelques morceaux admirablement bien torchés, comme l'immense Great Minds Think Alike ou Anything I Do is All Right, l'album manque de rythme et de surprises. Cela dit, parfait pour les nostalgiques de rock un peu crade et pas sexy du tout.


LE PAIN SURPRISE DU MOIS

Pierre Raboud: Label suisse
Alors que cette manifestation semblait ronfler, la difficulté l’aura forcé à se réinventer. Une programmation intéressante avec Verveine, Julien Sartorius et les Young Gods. Un super stand des labels indépendants suisses, malheureusement pas assez fréquentés. Du côté de Think Tank, la soirée du dimanche soir fut love à souhait. Merci aux copains (Horasse, Nirvi Pervis et des membres d'Apes & Horses) d’être venu mixé avec nous.

Julien Gremaud: Images à Vevey
C'est le grand raout bisannuelle de l'image en grand format pour finir l'été. C'est surtout devenu la grande messe médiatique de notre région. Et bien plus, alors que les médias français se sont emparés de cette drôle de biennale XXL dans une ville XXS. Normal, en France, la photographie est aux abois, il suffit de voir les réactions arlésiennes face à l'arrivée (on l'accorde, pas franchement discrète) de la fondation LUMA de Maja Hoffman dans son paysage de Provence. Maligne, la ligne de programmation aligne les grands noms et les projets dosant ludisme et innovation, sans éviter les choses sérieuses. Un Allemand prendrait ses jambes à son coup, qu'importe, le succès est au rendez-vous. Et ne soyons pas dupe ni jaloux: cela profite à tout le monde.

Colin Pahlisch: Josep Baqué à la Collection de l’Art Brut
Une surprise ça peu aller dans les deux sens. Ici, c’est quelque chose qu’on attendait surprenant, déroutant, décapant, et qui s’avère bien, oui, mais sans surprise justement : telle l’exposition Josep Baqué à la Collection de l’Art Brut de Lausanne. C’est l’histoire d’un policier castillan qui décide un beau jour de se prendre pour un explorateur et qui invente, relate, répertorie, les monstres imaginaire de ces escapades personnelles : comme on collerait sur des planches anatomiques des papillons fantasmés. C’est incroyable, sans être transcendant. Beau, par méticulosité. À voir, tout de même, comme on lit le devoir bien fait d’un bon élève.

Maxime Morisod: (What's the story) Morning Glory remasterisé
Après Definitely Maybe, c'est au tour de son successeur de ressortir dans une version restaurée. Restaurée est un grand mot tant il est difficile de voir la différence entre l'album paru en 95 et celui-ci. Par contre, quelques bijoux cachés se trouvent dans le 3-CD Box Set que tous bons fans connaissaient déjà comme cet offrande qu'est Rockin Chair ou le très alcoolique et burlesque Bonehead's Bank Holiday. Mais ce qui reste le plus fort, c'est l'album lui-même, objet mythique qui a marqué l'histoire de la musique anglaise par sa capacité à enchaîner des mélodies qui tissent des liens logiques et sublimes entre les idoles de Noel Gallagher sans que cela dérange l'auditeur. Le son du disque - qui fait penser aux La's - est peut-être la plus belle chose qui soit arriver au Gallagher, où l'on peut passer de l'immense Some Might Say au discret She's Electric sans perdre la ligne d'horizon, une ligne claire qui démarre par un simple "Hello" et qui se termine dans l'immensité d'une Supernova.