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12 août 2014

Chilly Speaches: Juillet 2014

Illustration: Johanne Roten 





Chilly Speaches du mois de juillet: un mois qui implique une autre temporalité. Moins d'événements semblent se passer en dehors des grands festivals et chacun prend un autre rythme. Pour refléter cette situation, Think Tank vous propose un Speaches plus chill avec la moitié de la rédaction pour un menu frais et léger avec des conseils lectures, des tubes et des échappées. Avec une teinte mexicaine.


LA CREME DU MOIS

Pierre Raboud: "De la skohlé au chill, repenser le temps libre" 
Fruit d’un travail collectif de longue haleine, le livre ”De la skohlé au chill, repenser le temps libre” est à la fois un très bel objet et la compilation de différents textes et œuvres décortiquant les différentes aspects, économiques, esthétiques, politiques, philosophiques du chill et du temps libre. Un projet dont on est très fier, pour sa réalisation très réussie et l’importance d’une telle thématique à un moment où ce type de réflexion reste trop rare. Il est possible de le commander en écrivant ici. Une lecture parfaite pour l’été : chiller en lisant sur le chill et faire plein de choses tout en ne faisant rien.

Colin Pahlisch: « Formes de vie, l’art moderne et l’invention de soi » (Denoël, 1999)
Peu de livres, de théorie d’art qui plus est, ont le potentiel d’être d’utilisés comme des outils ou des lunettes qui modifierait notre regard. Le livre de Nicolas Bourriaud est de ceux-là, pourtant. Vice-président du palais de Tokyo, le théoricien revêt dans le volume une triple casquette, celle de conteur, de philosophe et d’historien, pour nous faire parcourir en un clin d’œil lumineux (200p) les étapes qui ont menées la création artistique à endosser le rôle de poche de résistance, tout autant que d’instrument à façonner le soi, du XIXe à nos jours. Virtuose.

Julien Gremaud: Un vernissage au bout de Mexico
Galerie Jumex. "Dodo" de Adam Broomberg et Olivier Chanarin y est verni. Cette exposition, commissionnée par Javier Rivero, présente l'un des derniers travaux (loin d'être le plus abouti) des photographes londoniens. Installation vidéo grand format, pièce proto-archéologique, hélice d'avion, photographies noir et blanc grands formats, tout y est dans cet espace glacial au coeur de… l'usine du premier producteur national de boisson Jumex. Une heure de bus privé en partance du l'imposant musée tout autant privé, une traversée de la tentaculaire capitale mexicaine, une drôle d'excursion dans les entrailles de ce genre de fondation nouvelle génération, open bar et lounge music à la clé.


LE PETIT LAIT DU MOIS

Pierre Raboud: "Red Bull, une boisson au gout amère"
La marque Red Bull me fascine passablement : un gout pas terrible mais quel marketing ! Des djs à la formule 1 en passant par le base jump et le club de football, la marque s’affiche partout sans qu’on saisisse forcément le retour sur investissement recherché. Le reportage "Red Bull, une boisson au gout amère" avait donc tout pour me plaire. Malheureusement, malgré quelques informations, intéressantes mais trop rapides, sur la personnalité du patron et la stratégie marketing, le documentaire se perd dans une critique généralisée et assez datée des sports extrêmes, s’étonnant presque que parmi les base jumpers il y ait des morts, alors que ce fait n’est pas totalement imputable à la politique de Red Bull.

Colin Pahlisch: « Un air de famille, surréalisme et arts primitifs »
La fondation Pierre Arnaud a ouvert voilà une année sur les bords d’un lac artificiel creusé tout exprès pour refléter le miroitement fabuleux d’une façade verrée, en plein cœur du village de Lens, dans le Valais proche. L’exposition propose une correspondance entre les arts primitifs, totem générique de la pensée surréaliste, et les productions des artistes affiliés à ce même courant... La glose pourrait se perpétrer. Il suffit d’un petit tour pour que l’artificialité de la démarche se fasse jour : scénographie incohérente, ressources pauvres à en devenir comiques, hauteur et autisme de la curation... Le lieu est beau, pourtant, en attendant la prochaine tentative.

Julien Gremaud: Une frustration mexicaine permanente
On y allait les yeux fermés, ou presque. On s'attendait à une scène mexicaine flamboyante, détachée de certaines conventions en vigueur dans l'art contemporain. On avait beaucoup entendu parler de certains espaces et d'institution. On ne s'attendait pas à devoir composer avec l'omniprésence du discours politique dans l'art et de la critique directe du mercantilisme de ce monde. On ne s'attendait surtout pas à enchaîner déceptions sur déceptions dans des lieux d'arts pourtant engageants, sinon sidérants. Malgré tout, quelques espaces sortent du lot proposant des choses plus ambitieuses: le Musée Tamayo qui exposait Jac Leirner, le micro-espace de Chris Sharp, Lulu, qui exposait la peintre Aliza Nisenbaum (l'excellente Lisa Oppenheim cet automne) ou encore le MUAC (Museo Universitario Arte Contemporáneo) qui garantit une certaine qualité (l'intéressante installation vidéo "The Lost" de Reynold Reynolds ressuscitant des films allemands censurés dans les années 1930).


LE PAIN SURPRISE DU MOIS

Pierre Raboud: "Je veux te baiser" de Odezenne 
L’été représente la période où on se laisse le plus facilement aller à un coup de cœur sûrement irraisonnée. Peut-être est-ce dû à une envie de lâcher prise, de partir vers le Sud, de débrancher le stade conscient de notre manière d’aborder la musique. L’existence de ce phénomène s’est matérialisée par sa récupération via la production industrielle de tubes de l’été. Ou l’inverse. Pour moi, cet été c’est "Je veux te baiser" de Odezenne. Si le titre sonne bien cheesy et la citation musicale de la b.o. de Twin Peaks reste des plus convenues, cela n’empêche que la séduction-addiction opère à plein régime chez moi. Peut-être est-ce le sexe évoqué par la métaphore automobile ? Peut-être parce que Twin Peaks y est plutôt bien bricolé ? Peut-être l’envie d’entendre du français ? Peu importe. Cet été je chantonnerai "tu, tu t’es retrouvé sur l’autoroute de mon cœur/ y a tes petits yeux qui collaient à mon rétroviseur".

Colin Pahlisch: "Dernier remord avant l’oubli ", de Jean-Luc Lagarce à l’Orangerie 
Une histoire : six personnes, une maison dont on nous dit qu’elle doit être vendue, le frère ne veut pas céder, la sœur le presse d’accepter. C’est à peu près le petit drame bourgeois qui résumerait la pièce de Jean-Luc Lagarce, dramaturge des années huitante, pote avec Jean-Marie Koltès. Malgré la musique, un peu lancinante et des décors kitsch, la troupe est parvenue à faire ressortir les angoisses fondamentales qui sont celles de toute famille à la dérive : la désillusion, l’abandon, l’incommunication. Fade mais toujours touchant, comme le mauve dans un coucher de soleil.

Julien Gremaud: Une dernière danse à El Jacalito
Peu de grosses partys du côté de la capitale mexicaine, mais d'excellentes trouvailles. Ne pas forcément chercher l'électronique pour mieux se laisser bercer par les recettes locales. Pop 90's (Ace of Base en force), cumbia, salsa, marimba et, forcément, musique hispanique internationale. El Jacalito, c'est une cave sombre, un aquarium bleu foncé, quelques néons verts fluos et des totems. Enchaînement de mezcals et de pas de danses maîtrisés par l'audience alors que de ce patchwork musical s'extirpe "La Lambada". Gros flip pour ce titre qui fête ses 25 ans, on s'en rappelle comme si c'était hier, les vacances au Sud de la France, les beignets, les matelas pneumatiques crocodiles. Formidable machine à danser,  "La Lambada" fut aussi un gros coup financier, véritable escroquerie réalisée par des producteurs français autour d'un faux-groupe (Kaoma), dépossédant un groupe bolivien, Los Kjarkas.