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14 août 2014

Festival del Film de Locarno 2014:
Ballades en forêt, angoisses et trésors italiens

Electroboy de Marcel Gisler
Comme chaque été, des milliers de yeux se posent devant les toiles qui s'élèvent dans la petite ville du Tessin où se tient depuis 67 ans le Festival del Film de Locarno. Entre surprises documentaires, fictions osées et rétrospectives magnifiques, la programmation sait aller pêcher où il faut, au risque de manquer, parfois, quelques prises. Retour sur les premiers jours du festival qui se clôt samedi.

Quelle tristesse d'avoir manqué le film d’ouverture, Lucy de Luc Besson. Il ne sera pas mention du dernier blockbuster du réalisateur français qui semblait pourtant avoir dit au revoir au cinéma il y a quelques années déjà. Se pourrait-il que Lucy soit son Adieu au langage ? Mais entrer dans cette comparaison semble repousser les limites de la critique de cinéma. Les choses sérieuses ont donc commencé jeudi, lors de la première série de court-métrages internationaux. 


Courtes histoires

Durant le séjour tessinois, nous avons eu l’occasion de voir trois séries de courts-métrages : deux composées de films internationaux et une série 100% raclette (des films suisses). Dans les deux catégories, peu de films sortent vraiment du lot : Shipwreck du hollandais Morgan Knibbe revient sur le drame de Lampedusa où un bateau qui transportait 500 réfugiés érythréens a coulé. La structure du documentaire et le point de vue du cinéaste sont particulièrement étonnants : sans discours, neutre, grave, la caméra semble voler entre les protagonistes et les familles des victimes. Sertres de Ainara Vera suit aussi une structure en trois parties, dont le début et la fin se répondent. Le court-métrage espagnol comporte quelques séquences saisissantes, comme celles de la danse de la réalisatrice, nue et rythmée par des claques au miel à même la peau. Du côté suisse, Le Mal du Citron co-signé par les romands Rosenstein et Schiltknecht passe la rampe et confirme qu’il existe une tendance dans le jeune cinéma suisse, entre fuites et chagrin de famille. Comme toujours chez Rosenstein, les musiques choisies arrivent comme un petit air naturel sur l’image, comme une signature honnête. Du côté suisse-allemand, la comédie Abseits der Autobahn vient casser la monotonie trop souvent psycho-dramatique de ces courts-métrages. Rigolo mais sans plus.

Il est intéressant de relever que la majorité des courts-métrages, cette année, utilise un lieu récurent : la forêt. Comme une fuite vers une nature oubliée, les protagonistes se perdent, se retrouvent ou s'isolent dans ce lieu de végétation préférable à la vie bruyante et urbaine. Que le film soit tragique ou comique, la forêt est le lieu neutre, dans lequel on s'y rend pour se cacher, pour oublier et pour penser.


Les petites bombes : Electroboy et Creep

N’allons pas par quatre chemins et avouons que Locarno apporte quand même chaque année son taux de pépites. Cette fois (pour ce premier tiers de Festival rappelons-le) ils n’ont pas été nombreux mais furent plus fréquentes que les précédentes années. Avec un niveau qui touchait plus facilement le très bon, que le juste « bon ». Comme par exemple l’excellent documentaire suisse Electroboy, sélectionné pour la semaine de la critique, qui retrace la vie de Florian Burkhardt et celle de sa famille lors des années 1990 et 2000. Des tentatives ratées à Hollywood à une carrière supersonique de mannequin, Burkhardt créé ensuite les nuits « Electroboy » à Zurich, messe des soirées electro. Ces chemins le mèneront tragiquement à passer par la case de l’hôpital psychiatrique ce qui va lui permettre de réfléchir sur les raisons qui l’ont éloignées de sa famille : son homosexualité bien sûr, mais aussi ses choix de vie. Ce documentaire au sujet grave, garde tout au long des minutes un point de vue décalé et teinté d’ironie. Une signature Marcel Gisler, dont on imagine une distribution nationale toute soudaine. Espérons-le.

Autre surprise plus conformiste cette fois, Creep de Patrick Brice. L’histoire suit Aaron qui répond à une annonce en ligne : « 1000 $ par jour pour filmer, discrétion appréciée ». Dans la dèche, Aaron prend sa voiture et filme tout du long et rencontre, dans une petite cabane en forêt, Josef. Le projet commence normalement mais à mesure que la journée avance, il devient évident que Josef n’est pas celui qu’il prétend être. Sur des airs de films amateurs rappelant The Blair Witch Project, la réalisation de Brice est follement agréable et réussie. Même si le genre de comédie-horreur semble usé jusqu’à la moelle, Creep prouve une nouvelle fois qu’avec une bonne idée et un petit budget, on est capable du meilleur. En première européenne à Locarno après être passé dans différents festivals indépendants américain, le réalisateur a même déjà annoncé qu’il y aurait une suite ou un prequel au film. 


Rétrospective italienne dorée

Au fil des années, il y a deux sections qui sont toujours brillantes, regorgeant de vrais films ou de classiques inoubliables et que l’on revoit avec plaisir sur grand écran, dans de bonnes conditions (l’Ex Rex) : la « Retrospettiva » et « Histoire(s) du cinéma ». Pour le plus grand plaisir du spectateur, Locarno propose une thématique qui sert de fil conducteur à une section. Cette année, la rétrospective présente les long-métrages de la boîte de production Titanus, maison fondée en 1904 à Naples. Parmi les nombreux films, on retrouve des réalisations de Dino Risi, Vittorio de Sica ou encore Federico Fellini. Parmi eux, La Ragazza con la Valigia de Valerio Zurlini avec Jacques Perrin dans un de ses premiers rôles au côté de la beauté personnifiée, Claudia Cardinale dans un de ses premiers succès public et critique. Film sur l’amour impossible et le fossé entre les classes, la bourgeoisie et les pauvres, Zurlini présente ici une leçon de cinéma doté d'une mise en scène pointilleuse qui joue sur les confrontations – dans la mise en scène et les contrastes de noir et blanc – entre Lorenzo (Perrin) et Aida (Cardinale). Un chef d’œuvre ressorti de la cinémathèque du Luxembourg en 35 mm.

Pour sa venue à Locarno, le festival a aussi ressorti le classique de Roman Polanski, son premier film de l’air hollywoodienne, Rosemary’s Baby. Le film fut introduit, sans vraiment qu'on s'y attende, par Mia Farrow qui nous a raconté quelques anecdotes du tournage : comment devait-elle paraître plus vieille qu’elle ne l’était (elle avait 20 ans lors des scènes) et de la rivalité entre Polanski et le second rôle John Cassavetes, réalisateur aux antipodes de la vision du cinéma de Roman.


Tout est cinéma

Pour ce début de quinzaine, Locarno a plutôt réussi son pari, en proposant nouveautés nationales, repérages d’ailleurs et une excellente continuation des trésors de l’histoire du cinéma, montrés en pellicule aux heures matinales idéales. Le décor de la Piazza Grande n’est que le haut de l’iceberg et regorge de délices qui vont des projections aux rencontres, aux baignades dans une rivière et aux orages violents qui transforment le Paravento en un torrent qui gronde aux allures de Fitzcarraldo. Tout est cinéma au moins d’août à Locarno, entre illusions, rêveries et fantasme d’actrices italiennes.


Alain Delon et Claudia Cardinale dans Il Gattopardo de Luchino Visconti