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07 mai 2014

Représenter l'identité Psych contemporaine: Swiss Psych Fest

Illustration: Juliette Rosset (tirée de l'affiche officielle par Gaël Faure)

« Feed your head »: plus de quatre décennies ont passé et l'étendard psychédélique semble plus que jamais fièrement flotter dans les airs de notre époque policée. Moins de tubes comme le "White Rabbit" du Jefferson Airplane certes, mais tout autant de groupes qui plongent corps et âme. Ultime bastion rock? Plus que cela nous répondent les organisateurs de l'entité helvétique du Swiss Psych Fest, dans un long entretien préfigurant la seconde édition imminente. L'occasion de revenir sur l'histoire et la naissance de cette aventure débutée dans les années 2000 et dès lors devenue véritable franchise, mais aussi de discerner les traits d'une scène suisse en permanente régénération. Car en arrière-fond se détache véritablement un esprit indépendant plus qu'une scène psychédélique stricto sensu. 

« Nous aurions bien évidemment pu nommer le Swiss Psych Fest le "Yverdon Psych Fest" mais cela n'aurait pas fait sens: notre objectif est en effet de renforcer l'identité nationale de cette scène indépendante ». Aux côtés de Juliette Rosset, Steve Navid et Jérôme Poletti, Mathieu Cacheux et Tom Guex représentent le Swiss Psych Fest et nous accordent un peu de leur temps pour présenter cette seconde édition qui aura lieu le week-end du 9 et 10 mai 2014 dans cet l’Amalgame d’Yverdon en pleine forme depuis quelques années. Une édition qui évite judicieusement une fois de plus l'accumulation de grands noms: autour de quelques pointures anglo-saxonnes (Telescopes, Oscillation), on retrouve de nombreux romands et un nombre incroyable de formations issues de la capitale. Après avoir discerné le problème du cloisonnement helvétique (« nous avons pris conscience qu’une scène suisse allemande extrêmement riche existait. Cependant, ce vivier musical reste difficilement accessible pour le publique romand, un problème auquel est également confronté le publique suisse allemand vis à vis de la scène romande »), la solution semblait toute trouvée et idéale: The Swiss Reverb Federation naissait en 2011, association composée de jeunes musiciens passionnés, de programmateurs et du groupe suisse Widdershins. Mais au juste, qu'entend-on par psychédélisme aujourd'hui, et qui le représente?


Parlons quelque peu pour débuter de ce Psych Fest nord-américain né en 2008 à Austin et de son évolution en véritable franchise. Quelle est son origine et son évolution?

Tom Guex: C'est un événement organisé par les Black Angels et la Reverberation Appreciation Society. Selon Wikipedia, il rend hommage à la ville qui a vu naître le mouvement psychédélique dans les années 60. Pour ma part, je pense qu'il traduit le renouveau de la scène psychédélique, incarné par les Black Angels, originaire d'Austin. De plus, Austin est une ville avec une très grande activité musicale, SXSW, Austin No Limit, et le nombre quasi infini de salles de concerts. On peut voir que le APF s'agrandit d'année en année et qu'il a une tendance à vouloir élargir son public avec des groupes plus accessibles et connus. En 2013, plusieurs "Psych Fest" on vu le jour en Europe ainsi qu'en Asie.

Mathieu Cacheux: Pour ma part, je dirai que le Austin Psych Fest a joué un rôle fondamental dans le rayonnement de cette musique depuis pas mal d'années. A mesure que ce festival s'est institutionnalisé tout d'abord aux USA puis dans le monde entier, l'engouement pour le psyché n'a cessé de croître un peu partout. Comme le précise Tom, depuis quelques années maintenant, l'on assiste à la naissance de nombreux festivals ayant le même désir de représenter cet identité "psych" contemporaine. Cet événement fut un moteur extrêmement stimulant dans le circuit musical Cependant, pour être totalement franc, je trouve que d'un point vue qualitatif, leur ligne de programmation est de plus en plus policée, avec moins de prises de risque. Comme Tom, je comprends et respecte parfaitement l'envie d'élargir son public le plus possible mais je trouve regrettable que cela se fasse au détriment de la programmation.


Ce qui est intéressant c'est de voir cette réappropriation européenne du phénomène, ce surtout dans des villes relativement périphériques aux grands centres (Yverdon pour ce qui nous concerne, mais aussi Angers en France. 

Mathieu Cacheux: Oui effectivement il y a une certaine réappropriation en Europe, cependant nous sommes très loin d'une pâle copie de ce qui se fait outre Atlantique. Chaque pays et ville qui se s'est lancé dans cette aventure a systématiquement octroyé une place importante à sa propre histoire musicale, sa culture, ce en développant une vitrine très riche pour les artistes locaux et nationaux. Il est également intéressant de voir que chaque pays européen a une relation au psychédélique intrinsèque à lui, avec ses propres codes, influences etc.. par exemple la scène psychédélique anglaise actuelle (qui est en grande partie lié à des labels phare comme le Fuzz Records par exemple) est radicalement différente de ce qui se passe en Allemagne, au Danemark ou encore en France. 

Tu parles de villes périphérique, alors oui il y a certes quelques événements qui ont lieu dans de régions dites moins urbaines mais les Psych Fest existants à ce jour ont encore, pour la plupart, lieu dans dans des centres urbains importants. Que cela soit Liverpool, Los Angeles, Paris, New York, Copenhagen, Chicago, Aarhus, Tokyo etc.. Effectivement il y a le Levitation Festival qui a pris place à Angers mais cet événement est étroitement lié à Austin et à son festival, étant donné que toute la line up fut prise en charge pour les programmateurs américains. Il s'agit donc plus d'un jumelage qu'un événement psychédélique véritablement français. Après, il y a bien sur d'autres festivals comme le Eindhoven Psych Lab qui a lieu dans une ville dite "périphérique" mais dans ce cas cas précis, il s'agit plus d'une laboratoire expérimentale, moins d'un festival dit conventionnel.


Et Yverdon dans tout cela? L'Amalgame semble être le lieu idéal pour accueillir ces deux jours de psyché…

Mathieu Cacheux: En ce qui nous concerne, organiser le Swiss Psych fest a Yverdon s'explique de plusieurs manières. Tout d'abord, et je crois qu'il est extrêmement important de le préciser, contrairement aux autres principaux événements européens ou US, nous n'organisons pas un festival étroitement lié à la ville où prend place ce dernier. Nous aurions bien évidemment pu le nommer "Yverdon Psych Fest" mais cela n'aurait pas fait sens.. tout d'abord parce qu'il n'existe pas véritablement pas de scène indépendante ou encore psyché à Yverdon (ce qui est le cas un peu partout en Romandie d'ailleurs) et surtout que notre objectif de départ (qui est toujours le même aujourd'hui) était de renforcer l'identité nationale de cette scène et de prendre ainsi de la distance avec cette dimension "régionaliste-locale se suffisant à elle-même" que nous trouvons particulière isolante. Il y a dans notre démarche un désir de fédérer, de rapprocher les musiciens et le public de chaque région linguistique afin de créer un réseau musical suisse plus global. L'Amalgame d'Yverdon s'est imposé naturellement car nous voulions un lieu proche de la frontière linguistique, permettant aux public suisse allemand de s'y rendre facilement mais surtout car l'équipe de la salle sont des amis proches et la perspective de collaborer "en famille" nous semblait plus que réjouissante.


Il y a un peu un côté "dernier bastion du rock", n'est-ce pas? 

Mathieu Cacheux: Je trouve toujours assez curieux lorsque les gens abordent cette notion de "dernier bastion du rock". Pour être honnête, cela ne me parle pas vraiment et je ne suis pas sûr de saisir ce que cela représente pour toi. C'est une perception très normative où la scène musical est perçue via un prisme peut être trop étroit. La notion même de psychédélique aujourd'hui est complexe car elle ne signifie pas (ou plus) grand chose, c'est devenu un terme générique qui regroupe une multitude de genre musicaux . j'aurais même tendance à dire que "psyché" est le nouveau "indé" des années 2000.


Ce côté "dernier rempart du rock" opéré par le psychédélique me rappelle la fin des années 90 où tout semblait perdu pour la scène rock indépendante. A ce moment-là émerge John Spencer, qui ravive tous les espoirs nord-américains, et qui précède de peu l'arrivée de Jack White avant la vague rock que l'on sait. Aujourd'hui, on sent que les kids ont lâché l'affaire, l'électronique a opéré un véritable raz-de-marrée sur la nouvelle génération.

Mathieu Cacheux: Il est vrai le vague "psyché" d'aujourd'hui peut faire écho à ce qu'il s'est passé la fin des 90's. John Spencer fut clairement l'une figure de proue d'un nouveau souffle u.s après quelques années de passage à vide mais ces cycles ont toujours existé et je crois que le "psyché" actuelle constitue aujourd'hui une évolution naturelle de ce se fait depuis une dizaine sur la scène autant suisse qu'international. Il est vrai que la jeune génération kids aujourd'hui a une propension à se tourner vers les musiques électroniques mais l'on constate aussi avec enthousiasme qu'il y a parmi ces jeunes là un nombre grandissant qui s'intéresse à la scène rock. De plus en plus nous voyons aux concerts énormément d'adolescents. Magic & Naked (que nous avons programmé cette année) en est l'exemple parfait: 5 jeunes genevois tout juste majeurs officiants dans un psyché ultra 70's.


Vous avez semble-t-il rapidement réussi à fédérer un large public autour du Swiss Psych Fest n'est-ce pas? C'est intéressant ce que tu dis, le "psyché" est le nouvel "indé", parce que je n'ai pas l'impression que votre public cible porte exclusivement sur un amour unique pour ce style, mais entretien plutôt un rapport qualitatif et passionné à la musique, peu importe les styles. 

Mathieu Cacheux: Tout à fait et c'est d'ailleurs cette diversité que nous voulons défendre. Le vivier musical indépendant suisse est extrêmement riche et varié et nous trouverions extrêmement dommage de nous cantonner qu un à un seul et unique style. Je retrouve parfaitement dans tes propos notre démarche et ce que nous désirons insuffler à notre festival: un rapport passionné et particulièrement qualitatif. Peu importe le registre musical dans lequel évolue les groupes que nous programmons, ce qui prime est qu ils nous transportent, nous transcendent. 


Revenons pour terminer aux prémices de votre festival. Comment c'était passé la première édition? Je ne vais pas te demander tes coups de cœur, mais parle-moi aussi de cette édition 2014. Autour de quelques pointures anglo-saxonnes (Telescopes, Oscillation), on retrouve de nombreux romands et un nombre incroyable de formations issues de la capitale. 

Mathieu Cacheux: Cette année, tout comme la précédente édition d'ailleurs, la Line up s'est construite sur une file rouge de prog cohérent mais subjectif car nous programmons autant des formations doom, que de la pop lo-fi allant jusqu'au post punk no wave. La première édition fut une véritable réussite tant au niveau de l'affluence, de la qualité des lives que des feedback ultra positifs que nous avons eu durant et après le fest. Cette réussite à été d'autant plus surprenante pour nous car la programmation était exclusivement helvétique dont plus de la moitié des groupes qui étaient clairement inconnus au bataillon. C'est ce qui nous a donné la force et l'enthousiasme de monter cette 2 eme édition plus ambitieuse. Cela révèle clairement un intérêt croissant du public suisse pour sa propre scène, des liens se tissent entre public romands et suisse allemands, entre musiciens également.


Plus d'informations: 
SWISS PSYCH FEST 2014
Présenté par la Swiss Reverb Federation 
9-10 mai 2014, Amalgame, Yverdon-les-Bains
Prix: 30.- CHF / jour. Pass: 55.- CHF

http://www.amalgameclub.ch

Vendredi 9 mai:
The Oscillation (UK)
Eqqus (Genève)
Electric Moon (DE)
Welington Irish Black Warrior (La Chaux-de-Fonds)
WTF Bijou (Vevey)
Magic & Naked (Genève)
Mystery Park (Berne)

Samedi 10 mai:
The Telescopes (UK)
Cosmonauts (USA)
Roy and the Devil's Motorcycle (Berne)
Sum of R (Berne)
Marlon & Friends (Bâle)
The E's (Berne)
Love Cans (Neuchâtel)