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30 avril 2014

Speaches nouvelle formule: avril 2014

Illustration: Johanne Roten


Bienvenue dans la nouvelle formule du Speaches. Plutôt qu’une revue des sorties d’albums du mois, la forme sera plus ouverte et transversale, pour mieux correspondre à l’esprit qui nous anime à Think Tank. Cette chronique d’actualité ne se donnera aucune limite thématique ou de format, traitant toujours d’albums mais aussi de chansons, de mix, de fêtes, de films, de sport, de politique, d’expo, de livres, etc. Les différents rédacteurs évoqueront chacun ce qui, ce dernier mois, leur a plu de manière inattendue, leur coup de cœur peut-être un peu honteux (« le pain surprise »), ce qui les a déplu, même si d’autres ont l’air d’apprécier (« le petit lait »), et ce qui constitue selon eux le top de la qualité (« la crème »). Précisons encore que cette chronique ne fétichise pas les dates de sorties pour mieux représenter le rythme diachronique de la réception de la culture.

LA CREME DU MOIS

Julien Gremaud: Art Basel | Year 44
Derrière ce nom quasi-énigmatique, plaqué en blanc sur un "A" orange fluo, un monstre. Une bible pour certains, un abrégé essentiel pour les autres: en 788 pages, la foire d'art contemporain prend le pari de l'almanach papier à l'heure où celle-ci devient globale (sur trois continents depuis 2013). Non seulement un abécédaire et une documentation, cette publication qui opère un tournant dans la catégorie ronronnante des catalogues fait s'interposer séries d'entretiens, essais et recensements annuels. Chapeaux bas aux commissionnés auteurs de nombreuses trouvailles graphiques et éditoriales qui permettent d'équilibrer une telle abondance de données.

Maxime Morisod: Donjon, un finale en 2 tomes 
Fin du XXe siècle, en l'an de grâce 1998, deux surdoués francophones – Lewis Trondheim et Joann Sfar – de l'art bédéiste se mettent en tête de créer un monde imaginaire déployé sur des centaines de tomes. La numérotation va de -99 à 111, 200 albums sont prévus. Trois époques organisent la série : la création du Donjon, son apogée et la fin du Donjon. En 2009, 24 albums sont parus en onze ans. Depuis, plus rien. Les deux scénaristes se sont alors retrouvés pour mettre un terme à cette épopée : deux volumes viennent clore la série, sortis en même temps au début du mois. Deux albums qui peuvent se lire simultanément (expérience unique), pour comprendre les "sauts narratifs" d'un tome, qui s'explique par la lecture du second. Donjon trouve ainsi une conclusion originale et brave, qui marque la réussite d'un travail collectif où Sfar et Trondheim se sont adjoints les services de dessinateurs talentueux et d'univers différents.

Colin Pahlisch: Festin de Miette
Avant, Bergounioux c’était pour moi le nom que portait un personnage de Palace, issu de l’imagination fertile de Topor. Mais il y avait un autre, tout ce temps. Un Pierre, dont le récit m’a fait chialé. Un roman ? Plutôt une chronique, un raseoir de justesse aux aspects narratifs qui relate la vie d’une famille là-haut ou là-bas, sur le plateau du Limousin. C’est contemporain, court et cinglant sans y toucher. Du grand art, on appelle ça.

Pierre Raboud: HONEST de Future 
Tout en haut de mon top 2013, Future vient de sortir HONEST, marquant son entrée définitive dans la cour mainstream. Rien qu’en reprenant les bombes déjà sorties, aussi bien la ballade ultime "Honest" que la décharge "Sh!t", l’album pèse déjà lourd. Alors oui, l’intronisation du nouveau prince passe par des featuring tape-à-l’œil (Kanye West, Pharell, Drake) et par de trop nombreuses chansons qui commencent par le plus en plus agaçant susurrement "Mike Will Made It". Mais Future garde, avec son phrasé saccadé et sa voix dont on ne sait plus quand elle est voicodée ou non, ce style à la fois évidemment pop et inexplicablement étonnant ; une crème de luxe à enduire tout cet été et à ressortir fréquemment. Une seule déception, l’absence de featuring avec Ciara.

Raphaël Rodriguez: KILLING SOUND de Killing Sound
Le collectif bristolien Young Echo avait déjà fait amplement parler de lui ces derniers temps: un album collectif sur le label Ramp l'an passé ainsi que les carrières respectives de ses différents membres Jabu, El Kid, Kahn, Vessel, Ishan Sound et Zhou ont déjà permis un large rayonnement. Trois d'entre eux reviennent sous le nom Killing Sound, un projet à géométrie variable basé sur l'expérimentation et l'improvisation, avec une sortie maintes fois annoncée, qui a fini par paraître ce mois d'avril. Comme prévu, c'est lent, abyssal et porté par des influences dub. Mais surtout, c'est exceptionnel. Brut dans le concept mais d'une précision chirurgicale dans le son, cet album appelle au cloisonnement. Une écoute des titres "Water Boxing" et "Thousand Hands" suffiront pour un trip anxiogène.


LE PETIT LAIT DU MOIS

Julien Gremaud: Ed Atkins à la Kunsthalle de Zurich
Dans sa version exposition sur deux étages, l'institution zurichoise, pierre angulaire de l'art contemporain dans le Kreis 5, nous avait habitué à mieux. Né en 1982, le Londonien Atkins plonge la tête la première dans les tréfonds virtuels, avec les dernières technologies embarquées, associant installations vidéos et tirages simili-xerox en abîme présentant une «succession d'images incroyablement précises et (d') éradications d'imperfections involontaires». Malgré quelques jolis dispositifs et cette répétition d'archétypes voulue, une exposition personnelle ampoulée et franchement peu enthousiasmante.

Maxime Morisod: Le tweet de Liam Gallagher
Liam Gallagher a tweeté la semaine dernière les 5 lettres d'Oasis, l'une après l'autre, sans rien ajouter (chaque lettre a été retweetée entre 16 et 17 milles fois. La lettre O l'emporte avec 17'700 voix). Pour sa défense, une exposition a ouvert ses portes ce mois-ci à Londres et retrace toute l'épopée du groupe mancunien. En attendant une nouvelle tournée des stades, Oasis se reformera tôt ou tard pour la scène (ce qui est bien), mais devrait à tout prix éviter l'album de trop pour rester sur une bonne note, l'album Dig Out Your Soul de 2008.

Colin Pahlisch: Noé où on ne l’attend pas
Ca pourrait surprendre, Noé. Oui, le méga film d’Aronofsky, avec en constructeur de l’arche, un Crowe adamesque et partiarche. Parce qu’une fois le kitsch éludé, les deux premiers actes dépouillés de leur grandiloquence, commence le huis-clos, dans l’arche. Car quand les animaux sont endormis, la bête humaine se lève… Mais il faut creuser, quand même, prendre le temps de faire saillir les coutures du blockbuster pour vouloir y dénicher de l’or en fil. Là où le film voit juste, c’est en renouant, plutôt qu’avec la croyance, avec le terreau fondamental de toute histoire qui a su s’imposer pendant deux mille ans : le mythe. À prendre donc, mais comme une fable, cent fois réinventée, avec ce que ça comporte d’ornières et de trébuchements.

Pierre Raboud: Le retour du conservatisme religieux au cinéma 
Assiste-t-on à un retour en force du religieux dans le mainstream américain ? Trop tôt pour le dire. Mais alors que les années de crise étaient marquées par un cinéma désabusé d’hommes délaissés, où des modèles ne pouvaient être trouvés qu’hors de l’humanité, la trompeuse stabilisation économique s’accompagne actuellement d’un discours conservateur où dominent les personnages christiques dont la salvation passe par le sacrifice individuel, avec la foi comme seule guide (La fin de la saison 1 de True Detective, Texas Buyers Club, Noé,…).

Raphaël Rodriguez: La mort de DJ Rashad
Histoire d'éviter le pathos ambient, je ne m'étendrai pas. Pas ici de "je l'ai rencontré", pas de "je suis le premier à l'avoir fait venir ici où là" ni de selfie à poster. Plein de gens meurent tout le temps, trop tôt et incompréhensiblement d'ailleurs. Juste un bref hommage à un mec dont l'héritage dépasse le monde de la musique et rejoint celui d'un véritable témoignage social et culturel, d'une scène footwork dont la contribution est riche humainement comme musicalement.


LE PAIN SURPRISE DU MOIS

Julien Gremaud: YOUNG MEN DRIFTING de Dans la Tente
On croyait cette formation lucernoise séparée. On s'était fait une raison et pourtant (un changement de line up plus tard autour des "historiques")… Avec un son plus solide sans perdre la subtilité sur la route. Huit titres qui se veulent "euphoriques" (on optera pour "insouciants") et qui se tiennent pour un retour inattendu. Une vraie ode à l'indépendance, une leçon de style. Du classiscime New Wave à la pop dorée, en passant par un travail visuel impeccable (signé par le fidèle Mathis Pfäffli), le LP surprise du printemps (signé chez Goldon Records).

Maxime Morisod: La BO de The Wolf of Wall Street 
Si la dernière réalisation de Martin Scorsese pêche pour sa durée interminable, un point positif est à garder : sa bande-orginale. Entre Billy Joel, Joe Cuba, Howlin'Wolf ou encore Bo Diddley, Scorsese revisite à la manière d'un grand gourou ses trouvailles musicales, celles qui ont fait de lui le meilleur DJ du cinéma américain du XXe siècle. La toile musciale qu'il tisse durant The Wolf of Wall Street rappelle, à un rythme soutenu, ses meilleures contributions : Casino et The Goodfellas. Martin réussit même l'imporbable sans mettre un morceau des Stones dans le répertoire. Révolution ?

Colin Pahlisch: Bruxelles : Magritte, pas (que) les frites ! 
Même sur deux jours, la capitale belge a de quoi surprendre. Les fêtards du samedi matin qui se soulagent sur le trottoir. Les brasseries braillantes et viandeuses. Et Magritte, ce René décalé, rigolard et finaud, qui nous en apprendra encore d’autres et pourquoi pas celle-ci : il ne faut pas craindre la lumière du soleil sous prétexte qu'elle n'a presque toujours servi qu'à éclairer un monde misérable.

Pierre Raboud: American Hustle
Sorti il y a déjà un moment, j’ai regardé "American Hustle" sans m’attendre à grand chose. Et pourtant dans une période plutôt pauvre en bonnes sorties, ce film a prouvé plusieurs éléments : Christian Bale peut encore faire une grande performance ; le cinéma de caractères est encore possible ; prendre du poids pour un rôle, c’est encore plus fort dans le don de soi et beaucoup plus humble que la maigreur maladive. Un film de grand artisanat qui montre ce qu’on avait presque oublié : derrière les personnages, c’est le jeu de l’humanité dont il est question, minable, émouvante, démunie, magnifique.

Raphaël Rodriguez: Le comeback de Pixies
Je n'ai pas encore écouté ce nouvel album et je ne suis pas persuadé d'en avoir envie. En tout cas, c'est pain surprise à 100% cette histoire. Et ça doit être un sacré fourre-tout. Au vu des derniers écarts de Frank Black, ça fait un peu peur de la farce. La musique à guitare souffre déjà amplement depuis quelques années (TT planche d'ailleurs sur ce sujet) et il y a ici matière à être dubitatif sur la nécessité pour le monde de la musique d'accueillir un énième comeback grisonnant. En plus, ça sent le besoin d'espèces. Peut-être que personne ne leur a dit qu'il n'y avait plus d'argent à se faire avec la vente de disques?