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21 juillet 2012

Summertime: 3X3 albums pour l'été

Photo: Vincent Tille
C'est l'été, on relâche la pression. Plutôt que le Speaches mensuel, nos chroniqueurs vous proposent une sélection de 3x3 albums. Pour rouler vers le sud. Pour chiller sur un linge. Pour danser toute la nuit. Pour s'enjailler sensuellement. A vous de choisir.

Pierre: Ce dont on rêve souvent en été, c'est de pouvoir écouter du R'N'B de qualité, rêve souvent illusoire. Mais cette année, un album fraichement sorti viens directement se glisser dans notre discothèque idéal de la saison: PLAYIN' ME de Cooly G. Le label hyperdub semble ainsi très bien réagir à la concurrence de Tri Angle. Du nom de la chanteuse à la couverture de la pochette, cet album ressemble presque à ce qu'on appelait une oeuvre de commande tant elle répond parfaitement à nos désirs: du R'N'B hanté, porté par la voix suave de Cooly G, rendue hybride par les synthés distordus et animée par des rythmes cadencées, véritable signature stylistique du label, réalisés à coup de basses syncopées et de voix ralenties. Ce n'est pas véritablement dansant mais terriblement prenant. Ca sent les caves de Londres à plein nez. Comme l'été, cette musique plait par un plaisir presque kitsch rehaussé par les vertiges de sensualité et les montées psychotiques. Spicy and spacy summer. PLAYIN' ME place la barre très haut avec des vrais tubes de saison comme le titre d'ouverture "He said I said", trémolant tant dans la voix que dans le sample, où l'hypersuavité de "Come Into My Room". Mais Cooly G maintient le même niveau dans les titres qui transpirent plus le dub et la musique hantée comme dans le génial "Good Times" ou "Playin Me", ce dernier lorgnant presque du côté de Salem. L'album contient même une curiosité avec une reprise hyperdub de "Trouble" de Coldplay. Sur le papier, l'idée a l'air horrible mais le résultat réjouit presque par la rencontre improbable de ces paroles qu'on croyait avoir oubliées et cette production barrée.




Pierre: L'été, ça scintille. Les ondées, les lumières le long de la route, le sucre glacé le bord des verres et la nuit qui tombe sur les villes et les plaines. Dans A COLLECTION OF RARITIES AND PREVIOUSLY UNRELEASED MATERIAL, John Maus enchaîne les pépites scintillantes avec une facilité déconcertante. L'ancien clavier de Panda Bear et Ariel Pink jouit désormais d'une renommée acquise à raison depuis WE MUST BECOME THE PITILESS JUDGE OF OURSELVES. Au point donc de sortir déjà une compilation de raretés produites par cet ancien étudiant de philosophie politique à l'université de Saas Fee (en Suisse sisi). Au menu 16 titres s'étalant entre 1999 et 2010. Si le titre de l'album fait très "on a ressorti les vieux bidules qui trainaient dans le grenier", il ne faut pas s'arrêter à cette fausse impression. En effet, même ceux et celles qui ne connaissent pas déjà John Maus pourraient bien être enfin convaincus par cette compilation d'inédits. En effet, John Maus s'y permet beaucoup de chose et cela le mène plus souvent sur des sentiers pop que vers des expérimentations soporifiques qu'on aurait pu redouter. Ainsi le premier titre, "North Star" représente presque une version lo-fi de "It's my life" version No Doubt. "The Law" met encore plus de bravoure dans ce laisser-aller pop aux sons de synthé pétillants. Rares sont les titres parmi ces inédits à ne pas jouir du talent mélodique de John Maus et de sa voix, perchée quelque part entre Koudlam et Elvis. En fait, on se demande souvent comment des titres aussi superbes que "Bennington" ou "I Don't Eat Human Beings" ont pu rester cacher aussi longtemps. Une compilation parfaite pour cet été, où les moments magnifiques côtoient une légèreté qui prend parfois même des airs de délire.




Pierre: La vérité fondamentale de notre été, c'est qu'au fond on aimerait pouvoir aller à des raves chaque semaine dans la forêt en écoutant de la House toute la nuit. Malheureusement, on attend encore le vrai retour des free party et les raves se font toujours aussi rares. Pour nous consoler musicalement, le label Strut a eu l'excellente idée de sortir une compilation au doux titre THIS AIN'T CHICAGO: THE UNDERGROUND SOUND OF UK HOUSE & ACID 1987-1991, mis en place par le DJ Richard Sen. On reste admiratif devant 24 titres faits pour danser, tout en restant très agréables à l'écoute à froid. Tous les titres représentent leur genre musical au tout au niveau et un néophyte comme moi ne va pas pouvoir rentrer les détails sonores. Néanmoins, le ressenti est qu'on a l'impression de trouver entre nos mains ou dans notre liste de lecture les 24 titres qu'on a entendu lors des meilleures fêtes de notre vie, dont on a jamais su le nom faute d'avoir pu atteindre le DJ ou enclencher Shazam. Une house plus ou moins acid qui malgré son aspect répétitif se révèle immédiatement jouissive et épique. La formule magique consiste à mêler un appel à la communion dansante à une production sans strass qui fait briller la notion fourvoyée d'underground et les facettes au milieu d'entrepôts déserts. Vous l'aurez compris, cette compilation est juste indispensable si vous voulez mener à bien votre été.




Raphaël: L'été lascif et un peu salace avec Gel Set : agréablement crade, le nouvel EP de la discrète entité originaire de Chicago, intitulé 'CELL JETS ' est au moins aussi laconique qu'on aurait pu l'espérer. Les morceaux sont bons et suintent le sexe, coincés quelque part entre synthwave désolée et électronique indifférente. De vagues rengaines pop émergent parfois de la nébuleuse dont l'étrange informité est pourtant porteuse d'une identité entière et puissante. Percussions fantomatiques et nappes brouillardeuses constituent l'essentiel d'un disque assez difficile à saisir et qui appelle sans conteste à la transpiration. Les textes, eux aussi, contribuent à l'ambivalence de Gel Set : de '' Can't Stop Hating You'' à ''Paradise for the Wicked'', le le registre reste désabusé mais évite les lourdeurs. L'étrange énergie de CELL JETS, figée, possède dans le minimaliste formel ultime une capacité à entamer des mutations assez fascinantes vers le dub, relâchant ainsi la sensualité d'un disque à la tension contenue. Pour rester froid dans l'âme tout l'été.




Raphaël: Ton été kraut avec CAN et l'ultime compilation d'inédits ''The Lost Tapes'', si touffue (3 disques) qu'on croirait presque au coup marketing. 30 morceaux, donc, plusieurs dizaines d'années plus tard, réapparaissent par miracle. Et c'est bien d'un miracle qu'il s'agit : loin de la manie fouineuse qui mène souvent à des sorties d'esquisses, de jams sans vraie cohérence, il s'agit ici de pièces d'une rare consistance qui auraient sans aucun doute pu former des albums à part entière et apportent un regard essentiel sur l'oeuvre de CAN. On découvre alors quelques-uns des meilleurs titres du groupe dont les ahurissants ''Abra Cada Braxas'', ''Millionspiel'', ''Bubble Rap'' ou encore ''Messer Scissors Fork & Light'', tous décidément caractéristiques d'un laboratoire d'expérimentations magiques autour duquel ont gravité des Bowie, Eno et autres monstres dont la sacralisation a, pour le coup, été plus immédiate et plus large que celle des teutons grinçants. Trente, voire quarante ans après les enregistrements, mais peut-être est-ce finalement le bon moment, peut-être sommes-nous prêts : l'évolution que la musique undergound a suivie n'a fait que confirmer les ramifications infinies qu'un groupe comme CAN a développé et les approches fondamentales qui en sont nées. Au-delà, c'est que du fun.



Raphaël: Les synthés dégoulinants de Com Truise pour les (éventuelles) soirées torrides, ça peut le faire aussi. Un nouveau disque tout aussi 80's qu'à son habitude, un peu porn sur les bords, des plages explosées et béates, pleines de modulations fun et tordues, intitulé ''IN DECAY'', qui se risque même à quelques titres un peu club (''84' Dreamin''' ou ''Klymaxx '') au milieu des élucubrations analogiques. Plus kitsch tu crèves, pourtant ça marche, les boîtes à rythme new-wave, les guitares discrètes, les volutes quasi chillwave et les basses granuleuses. Ce deuxième album de Com Truise entr'ouvre parfois la porte à des univers vaguement plus sombres, frôlant l'épique, et se révèle à l'écoute prolongée, si indigeste qu'il soit, assez immersif. De la disco-cul de ''Controlpop'' à l'agressivité plus palpable de ''Yxes'', c'est enveloppant et ça donne envie de danser gentiment, un petit sourire en coin, parce qu'on a l'impression que Com Truise, lui aussi se marre un peu tout de même. 



Julien: L'été est fun pour certains, exigeant pour d'autres; le radar mis en berne, on s'accroche à quelques sorties "essentielles", vues et entendues entre deux courses. Apprécier le nouvel album de Dirty Projectors relève ainsi du défi estival, à mesure que le disque flambant neuf – SWING LO MAGELLAN – file. Haters will hate hein, premièrement: l'archétypique groupe de Brooklin, guitares aigrelettes et références bien emballées, voilà, tout y est, Dirty Projectors n'enflammera pas les beaux jours d'un hédonisme des plus sidérants, d'un positionnement des plus originaux, et de titres sensationnels. C'est soft, plaisant, suffisamment arty pour se donner bonne confiance. Sinon, la formation s'est toutefois imposée comme une étape majeure pour sillonner le paysage indé du nouveau millénaire, en montrant l'exemple: tout bien compté, ce sont 11 disques tous confondus qui furent publié depuis 2003, pour deux fois plus de membres ayant côtoyé le projet de David Longstreth. Quelques titres du nouveau LP se détachent immédiatement – "Maybe That Was It" ou "Gun Has no Trigger". On attend sagement que tout se calme pour se plonger dans ce disque d'érudits, trop souvent simplement comparés à David Byrne, à la carrière impeccablement sobre. 




Julien: BEAK> noircira les bords de ton magazine d'été et mettra une chape de plombs sur des tendances comportementales quelque peu irréfléchies. Sorti le 29 juin, >> confirme l'aptitude du super groupe et son choix plus que radical (les pistes sont mixées telles quelles) – sorti chez Invada Records, label maison, ayant aussi publié la BO de Drive, que nous avions commentée ici. Cette direction sans lustre ni rayons de soleil ne va pas arranger le bilan séduction de ma sélection, d'autant plus que BEAK> se plaît à plonger bravement dans la radicalité, entre kraut et drone. Un disque de reclus sorti en pleine chaleur, difficile d'imaginer meilleure carte postale pour un cramé du travail. Patron de Portishead, Geoff Barrow ne rompt pas avec les préceptes d'une formation plus qu'admirée, et elle aussi trop souvent simplement assimilée à un style musical, bâtard qui plus est (le Trip-Hop). De fait, ce second LP du trio Londonien n'est pas à considérer vite fait, les pieds en éventails. Cela dit, il s'intègre parfaitement dans cet article Summertime, entre CAN, John Maus et Com Truise. On chopera pas forcément, mais on ressortira moins bête que d'autres de cet été.

Julien: Enfermé, fatigué et désorienté, on s'imagine un été comme le décrit si bien Pierre. On aimerait s'enjailler, mais on préfère finir nos tâches. Alors, au fond, CHANNEL ORANGE de Frank Ocean nous fait prendre conscience qu'on est en train de rater quelque chose, et que la jeunesse n'est là qu'une fois. Membre des Odd Future Wolf Gang Kill Them All, Ocean est la nouvelle preuve de la crédibilité artistique du collectif californien, avec une bonne dizaine de membres pour autant de directions musicales différentes. La pochette n'attirera pas une attention directe, mais Frank Ocean pourrait bien s'imposer comme un nouveau pion de la catégorie Sensuelle Séduction (et thématique à part entière de Think Tank) et en vendre des tonnes. "Thinking About You"pourrait bien compenser quelques mois d'austérité en une liaison assurée. "Sweet Life" nous fera tomber le peignoir pour bien s'habiller cette fois-ci, quitte à penser nous aussi à un nouveau nom. On a envie de se faire réconforter et de se synchroniser à "Super Rich Kids", puis reprendre son souffle quand intervient son compère Earl Sweatshirt. D'autres invités sont présents – Andre 3000 d'Outkast, John Mayer aussi, pour un LP massif mais pourtant si lascif qu'on se demande comment "The Orange Album" ne se retrouvera pas dans les classements de fin d'année. En attendant, on profite. Avec Frank Ocean, on est bien, et on compte bien le faire savoir.