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05 juillet 2012

Sensuelle séduction: soul affair

Illustration: burn
Pour ce nouveau volet de sensuelle séduction, le registre se fera moins porno pour plonger dans des musiques toujours aussi érotiques, mais dans cette fois romantique au possible. Une affaire d’âme avec les magnifiques albums de Paco Sala, Dean Blunt & Inga Copeland et la très belle compilation Soul Space. It’s time for perfect love. 

Au delà du coït, règne en toi un penchant fleur bleue, des mains qui se frôlent, une goutte qui glisse le long d’une vitre, de la sueur le long d’une cuisse. Un amour parfait autant charnel que spirituel où ton âme pénètre la mienne. Cet amour sur la plage qui hante le cinéma, presque défini par Bergman dans Monika avant d’être repris par Godard dans Pierrot le Fou et plus récemment dans Moonrise Kingdom de Wes Anderson. Le temps de la cuillère. Cuisses contre cuisses, souffle contre nuque et cheveux contre bouche. Quoi de mieux qu’un duo pour célébrer ce genre d’émotion. Dean Blunt et Inga Copeland, derniers noms sous lesquels apparaît le projet Hype Williams, signent avec BLACK IS BEAUTIFUL ou EBONY, on ne sait plus très bien, un album magnifique, d’un amour plein de résine et de sueur. La bande originale d’un couple enfermé dans un appartement en pleine canicule, les stores sont baissés et la fumée trainasse sur les abat-jours. Une ambiance de bordel féérique et romancé. Il n’y plus aucune perception du temps qui passe. Ainsi sur BLACK IS BEAUTIFUL, seul le premier titre a un nom puis c’est parti pour une rêverie de 15 titres dont seuls trois font plus de trois minutes, mais parmi lesquels un de plus de neuf. Cette musique de dub hanté fait se rencontrer par magie la soul la plus droguée, les synthétiseurs les plus crasseux, dans une alchimie et une diversité qui ne peut être l’œuvre que d’un producteur de talent. Et la voix d’Inga Copeland varie parfaitement avec les différents registres, leur donnant une touche spectrale. BLACK IS BEAUTIFUL réussit tout ce qu’il entreprend, aussi bien la grande ballade pop avec "2", les délires vocales ("9") que les trente secondes incisives avec sample andin ("6"). On ne sait plus où donner de la tête, on trouve aussi une chanson en langue mystérieuse et la fin est tout simplement magnifique. Un album dont on ne cesse de découvrir les milles recoins. 


Après tant de splendeur, il est temps de redevenir un peu lubrique. Tu entrouvres ta chemise, tu secoues tes cheveux et œil contre œil tu es prêt à déclarer ta flemme et ouvrir ton lit, un martini à la main avec un petit parasol dedans. Ou alors au bord d’un lac qui scintille, des cerises sur les oreilles. Ou encore, dans une ruelle nocturne, titubant-e mais énamouré-e. Tu commences à le sentir, on va parler de soul. L’art de la compilation regorge de mille complexités et pièges, mais quand c’est réussi, qu’est-ce que c’est bon ! Un plaisir que nous donne PERSONAL SPACE, sorti sur Chocolates Industries. Le titre de l’album joue sur un double sens. Concrètement, les enregistrements datent de 1974 à 1984, période à laquelle les studio DIY deviennent financièrement accessibles, plus de gens ayant donc accès à un espace personnel pour inventer leurs propres sons. Ensuite, la couverture pleine d’étoiles l’indique, il s’agit de la conséquence de cette donnée concrète : l’expression de galaxies musicales entre soul et électro, entre bizarres et originaux. PERSONAL SPACE contient en quelques sortes 17 façons de déclarer sa flamme, toute plus singulières les unes que les autres. Aucune célébrité pour faire vendre la compilation, que des trésors injustement enfouis. On y trouve aussi bien des comptines facétieuses instrumentales avec Jeff Phelps, que des tubes aux muscles saillants (Jerry Green) en passant par de la disco lubrique (Cotillon), comme le nom l’indique c’est hyper gay. PERSONAL SPACE vient remplir une place vacante dans notre discothèque idéale avec ces 17 titres sexy, hyper love et en même temps expérimentaux avec des productions bricolées et des synthés qui éclaboussent comme des bulles de savon, à un point qu’ils en sonnent souvent très actuels comme "Master Ship" de Starship Commander Woo Woo. Impossible de se lasser tant le contenu varie, on retrouve ainsi (déjà !) des tentations orientales chez The New Year et The Makers. Le titre final donne juste envie de pleurer, alors quand un peu plus tôt Steve Elliot chante "Let’s make love one more time", tu as très envie de crier oui oui oui ! Quel pied. Un disque indispensable. 


Une chanson dont tu as oublié l’auteur affirmait "Après l’amour comme c’est triste, les mots d’amour et les habits trainent par terre". Au delà de cette métaphore quelque peu prosaïque, brille en effet ce sentiment où se mêlent tristesse et beauté tant dans le souvenir de l’amour que dans la conscience de la mort comme destinée de tout amour. Tu passes donc dans un registre beaucoup moins lubrique où les caresses persistent mais sous forme de réminiscences sensuelles. Comme dans un film romantique des années 80 ou un roman du XVIIIème siècle où les être aimés et désirés sont des fantômes frôlés dans la brume ou auprès d’un lac en pleine forêt. Réussir à exprimer musicalement ces émotions sans tomber dans un kitsch pompeux relève de l’exploit. C’est pourtant ce à quoi parvient Paco Sala avec RO-ME-RO, un album magnifique et bouleversant. Une pop rêvée bien au delà de la Dream Pop, une forme de R&B en beaucoup plus intime, où la sensualité n’est pas démonstrative mais intériorisée, cachée comme un secret. La production construit à partir de sons lo-fi une ambiance cristalline, romantique dans le sens artistique du terme. RO-ME-RO mérite véritablement un qualificatif employé souvent à la légère. Il est beau. Les dix titres qui le composent coagulent dans un espace onirique, enivrant d’érotisme. La langueur splendide prend encore plus quand le souffle spectral de la chanteuse Leyli habite les chansons. Avec un chant mélancolique au possible, les paroles ne se font que difficilement comprendre passant de l’anglais au français. Résonnent alors des mots épars dont tu te demande s’ils ne sont pas plutôt le fait de ton imagination : "cœur nocturne, embrasse", "la folie". RO-ME-RO donne presque envie de relire Mme de Stael et donne à la tristesse toute sa magnificence musicale. Si tu souhaites pleurer à nouveau en pensant à tes amours passés, "Spiral" ouvrira même les peines les mieux cicatrisées.