Illustration: Giom |
On a déjà parlé de DRIVE, le film sur Think Tank. Mais vu que tout le monde en poste des chansons, il valait encore la peine de s'arrêter sur DRIVE, la bande originale. Omniprésente tout au long du film, elle en est un des points forts. Jouant parfaitement les jeux de lumières, l'italo disco et la cold wave scintillent au milieu de la pénombre.
Il faut être fétichiste pour pondre un film pareil. Pour construire un tel personnage, donner une telle place au silence, pour forger une telle qualité d'image, où chaque plan, chaque scène (le bordel, l'ascenceur, et tout le reste), chaque objet (le veston, les gants, et tout le reste) sont filmés comme des objets d'adoration. Mais pour réussir cela, de nombreux ingrédients sont nécessaires. D'abord avoir un excellent réalisateur. Ensuite, des acteurs au top de leur présence. Et pour nourrir un long plan où les dialogues se résument à une question, un sourire et des regards, il faut aussi une musique capable de susciter une ambiance qui dise elle aussi ce que le film donne à voir: un héroïsme de pureté errant sur des highways où tout n'est plus que faisceaux de lumière, jetés dans une trame de bandits où la violence ne pourra qu'advenir, sans être jamais choisie et aussi pure que cet amour asexué qui traverse le film.
Commençons avec les titres extérieurs de la bande originale, signés par cinq groupes différents, ces titres que tout le monde a gardé en tête après être sorti du film et n'a pas pu s'empêcher de poster à qui mieux mieux. A vrai dire, on le comprend très bien, tant il est rare de se trouver face à une telle intelligence dans le choix des chansons peuplant un film. Chacune réussit à la fois à faire ressortir sa face la plus pop tout en se fondant parfaitement dans l'ambiance. La cold wave et l'italo disco sont parfaites pour reproduire de façon sonore cette beauté toute de lumière et de pénombre, une beauté mêlée, on ne sait comment, de tristesse. Le tube de cette bande originale, c'est bien sûr le titre du générique, qui, avec l'écriture rose, est là pour mettre tout de suite le spectateur dans une position d'idolâtrie face à un film où tout semble parfait. Cette chanson, c'est "Night Call" de Kavinsky avec Lovefoxxx aux vocals. Cette dernière n'est autre que la chanteuse de CSS, méconnaissable sur ce titre à rebours des facéties du groupe brésilien. On retrouve sur "Night Call" un synthé retro au combien séduisant, épaulé par une voix sombre d'ordinateur, et explosant en un refrain qui scintille de mille étincelles. On en est qu'au générique et pourtant la séduction a déjà parfaitement opéré. Kavinsky est français et prouve que c'est à côté de l'écurie Ed Bangers que l'on trouve les plus beaux restes de la dernière vague électro made in France. Ce que confirme College avec la deuxième grande chanson de cette bande originale: "Real Hero". On retrouve cette même ambiance retrofuturiste avec des synthé parfaits. Cela sonne de façon extrêmement sensuelle et romantique, et rappelle bien sûr l'italo disco des années 80 où l'émotion pouvait se montrer telle quelle, sans masque ou second dégré. "Real Hero" énonce presque littéralement la nature du personnage de DRIVE et surgira à deux reprises dans le film: d'abord lors du moment de bonheur partagé avec Irène et son fils au bord de la rivière, puis à la toute fin lorsque le driver repart sur la route. On a parlé plus haut d'italo disco, le label passé maître en matière de revival du genre, c'est bien sûr Italians Do It Better, et c'est donc finalement logique qu'on retrouve deux groupes du label sur cette bande originale. Il y a d'abord Chromatics, dont l'album NIGHT DRIVE représente peut-être l'équivalent musical de DRIVE. Ici, c'est un titre instrumental qui a été choisi, comme pour donner une prémisse au travail de Cliff Martinez, donnant d'emblée cette ambiance nocturne de lumières filantes. L'autre groupe est moins connu, il s'agit de Desire avec "Under Your Spell" qui intervient lors de la soirée du retour du mari et dont est absent le driver, qui n'entend donc la chanson qu'assourdie par le mur. Les basses donnent l'illusion d'un rythme festif que le chant vient refroidir en énonçant à nouveau une émotion: I do nothing but think of you. Un dernier titre se détache des autres mais fait pourtant partie lui aussi de la fibre italienne. Riz Ortolani est un compositeur de musique de film italien. "Oh my love" est tiré de la bande originale de ADDIO ZIO TOM qui date de 1971. Beaucoup plus classique et moins synthé, cette chanson pousse à son paroxysme ce moment de sacrifice de la pureté, où la beauté doit devenir violence meurtrière face à la tristesse du monde.
Quand on fait le tour de ces cinq chansons, on remarque que toutes sont portées par des voix féminines à l'exception évidente de l'instrumentale, tout de même interprétée par un groupe où le chant est habituellement assuré par une femme. Au-delà de l'anecdote, ce choix nous dit quelque chose sur le film et son héro. Construit sur un jeu de miroir, le film oscille constamment entre lumière et pénombre, entre pureté et violence, avec d'un côté le bonheur de rouler et de sourir à une femme et son enfant, et de l'autre le vice d'un milieu de gangsters. La bande originale nous laisse penser que le driver se trouve par essence du côté associé au féminin dans ce film et que c'est seulement le fait de se retrouver jeté dans un monde de meurtres et de drogue qui l'oblige à montrer sa face violente. Il est un ange perdu sur terre, qui porte des enfants sur ses épaules, et ne souhaiterait faire que ça si la situation (c'est-à-dire le scénario) ne l'obligeait pas à faire résonner son courroux. Cette hypothèse peut être étayée en se penchant sur la musique produite par Cliff Martinez pour DRIVE. Ce dernier a déjà signé la bande originale de films de Soderbergh (SOLARIS et TRAFFIC notamment) et était membre des Red Hot Chili Peppers du début, et oui! Avant cela, il était batteur de groupes plus pointus comme Captain Beefheart et Lydia Lunch. Si son travail pour DRIVE semble difficilement audible hors vision au premier abord, Cliff Martinez parvient parfaitement à extraire une ambiance très cold wave et à transformer les lumières qui filent sur la route en sons, répétitions scintillantes au premier plan et paysage paisible en fond. Le tout baigne dans une mélancholie grandiose où on ne sait pourquoi toute cette beauté nous fait pleurer. Ces moments de musique interviennent presque exclusivement dans les moments où le driver se retrouve seul à conduire, et surtout lorsqu'il est avec Irene, transformant sa passion pour elle en véritable épiphanie. Par contre, les moments de violence se font presque tous sans musique, ne laissant plus qu'entendre le choc de la matière et des os. Ce clivage est évident dans la scène synthétique de l'ascenceur, où l'image se ralentit, "Wrong floor" plonge le tout dans une ambiance de plénitude quand le driver prend Irene de son bras pour l'envelopper dans l'ombre et l'embrasser. Puis soudain, la trame s'accélère, la musique passe au second plan, et le driver se lance sur l'agresseur pour lui fracasser le crâne à coups de pied. Certains reprochent à DRIVE et à son personnage principal d'être irréalistes. Mais est-ce bien à l'aune de ce critère qu'il faut juger ce film? Ne s'agit-il pas plutôt de l'immersion d'un être pur, presque sans parole et sans sexe, dans un milieu vulgaire? Tant la musique que l'incroyable force esthétique qui est donnée à chaque objet entourant le driver nous font pencher pour cette interprétation d'un film pas du tout de bagnoles. A real hero, oui; a real human being, beaucoup moins.
Quand on fait le tour de ces cinq chansons, on remarque que toutes sont portées par des voix féminines à l'exception évidente de l'instrumentale, tout de même interprétée par un groupe où le chant est habituellement assuré par une femme. Au-delà de l'anecdote, ce choix nous dit quelque chose sur le film et son héro. Construit sur un jeu de miroir, le film oscille constamment entre lumière et pénombre, entre pureté et violence, avec d'un côté le bonheur de rouler et de sourir à une femme et son enfant, et de l'autre le vice d'un milieu de gangsters. La bande originale nous laisse penser que le driver se trouve par essence du côté associé au féminin dans ce film et que c'est seulement le fait de se retrouver jeté dans un monde de meurtres et de drogue qui l'oblige à montrer sa face violente. Il est un ange perdu sur terre, qui porte des enfants sur ses épaules, et ne souhaiterait faire que ça si la situation (c'est-à-dire le scénario) ne l'obligeait pas à faire résonner son courroux. Cette hypothèse peut être étayée en se penchant sur la musique produite par Cliff Martinez pour DRIVE. Ce dernier a déjà signé la bande originale de films de Soderbergh (SOLARIS et TRAFFIC notamment) et était membre des Red Hot Chili Peppers du début, et oui! Avant cela, il était batteur de groupes plus pointus comme Captain Beefheart et Lydia Lunch. Si son travail pour DRIVE semble difficilement audible hors vision au premier abord, Cliff Martinez parvient parfaitement à extraire une ambiance très cold wave et à transformer les lumières qui filent sur la route en sons, répétitions scintillantes au premier plan et paysage paisible en fond. Le tout baigne dans une mélancholie grandiose où on ne sait pourquoi toute cette beauté nous fait pleurer. Ces moments de musique interviennent presque exclusivement dans les moments où le driver se retrouve seul à conduire, et surtout lorsqu'il est avec Irene, transformant sa passion pour elle en véritable épiphanie. Par contre, les moments de violence se font presque tous sans musique, ne laissant plus qu'entendre le choc de la matière et des os. Ce clivage est évident dans la scène synthétique de l'ascenceur, où l'image se ralentit, "Wrong floor" plonge le tout dans une ambiance de plénitude quand le driver prend Irene de son bras pour l'envelopper dans l'ombre et l'embrasser. Puis soudain, la trame s'accélère, la musique passe au second plan, et le driver se lance sur l'agresseur pour lui fracasser le crâne à coups de pied. Certains reprochent à DRIVE et à son personnage principal d'être irréalistes. Mais est-ce bien à l'aune de ce critère qu'il faut juger ce film? Ne s'agit-il pas plutôt de l'immersion d'un être pur, presque sans parole et sans sexe, dans un milieu vulgaire? Tant la musique que l'incroyable force esthétique qui est donnée à chaque objet entourant le driver nous font pencher pour cette interprétation d'un film pas du tout de bagnoles. A real hero, oui; a real human being, beaucoup moins.