Photo : Louis Bernard |
Ce n’est plus du cinéma.
Mais cette tuerie aurait-elle pu arriver lors de la projection du nouveau Pixar ou du dernier Woody Allen ? La réponse fait peur, le constat aussi, et ce drame terrorise d’autant plus lorsqu’on a vu The Dark Knight Rises, troisième et ultime volet de la trilogie de Batman labellisée Nolan – un film construit sur la douleur physique et qui, ironiquement, essaye de faire passer un message sur les armes à feu et leur inutilité. Provocation indirecte pour foutre à la poubelle cette loi qui autorise le port d’arme aux Etats-Unis ? Tragique en tout cas. Mais revenons au cinéma et à cette histoire de chauve-souris.
Redorer le cuir
Batman est devenu l’événement culturel le plus attendu de la semaine après avoir été le film le plus attendu de l’année. Et cela pour deux raisons. Primo le film marque la fin de la trilogie entamée en 2005 par Nolan avec sa fidèle chauve-souris humaine Christian Bale, et secondo parce que certains disent que la fin de la trilogie rime avec une mort prématurée de Bruce Wayne. Il est vrai que les deux premiers opus avait prédit le pire (dans le bon sens !) : Batman n’est plus un simple justicier de la nuit qui se bat contre une poignée de bandits venus semer le trouble à Gotham City. Il est un héros qui doit se battre contre lui-même, contre ses peurs, contre les habitants de la ville en qui son père a cru bon d’investir. Le Batman de Nolan n’est pas le même que celui des 90s. Alors que les deux premiers rendus de Tim Burton (1989 et 1992) avait été de véritables mines d’or pour le box-office et qu’avec le recul Batman : Le Défi est clairement un des meilleurs films du créateur d’Edward aux mains d’argent, la suite des aventures de Batman est à comparer avec les suites des Dents de la Mer : rien de bon, et, surtout, une tâche sur le CV pour certains de ces représentants, Clooney en tête.
La mission principale qu’a chargée la Warner pour Christopher Nolan était simple : redonner une seconde vie
au justicier de la nuit. Après un excellent Batman Begins, Nolan peaufine son héros avec The Dark
Knight : une intrigue géniale, des
idées de mise en scène lumineuses, un méchant hors catégorie avec un Joker
génialissime qui fait oublier la pourtant excellente prestation de Jack
Nicholson de 89. Pour faire patienter ses fans (autant ceux de Batman que de
Nolan), Inception est venu calmer
les ardeurs. La critique fut positive et les deux années à venir encore plus douloureuse.
Cicatrices et aviation
Résumer le film est inutile pour deux raisons : les spoilers seraient difficile à éviter et, surtout, ce n’est pas vraiment le scénario qui compte mais plutôt la manière dont celui-ci est mis à exécution. Attention ! Je ne dis pas que le scénario est secondaire dans cet opus final, mais l’exhiber par écrit dans une chronique me semble dérisoire. Finalement que racontent les histoires de Batman ? Un méchant contre un gentil, des symboles qui s’opposent, un Homme chargé de combattre la criminalité dans une mégapole de douze millions d’habitants devenue ingérable ? Plus que ça depuis Nolan. La majeure partie du film repose sur comment faire éclater la vérité à la surface, et comment Batman réussira-t-il à regagner le cœur des habitants de Gotham City alors qu’il a pris sur lui les crimes commis par celui qui devait montrer le chemin, Harvey Dent. Si le film prolonge cette intrigue (à la base, Nolan voulait jouer sur le procés du Joker… imaginez le truc !), The Dark Knight Rises ressemble à bien des égards au premier volet de la trilogie : hésitation sur le retour, les choix à prendre, l’attente insoutenable. Le film est donc bel et bien basé sur l’attente : attente du héros, attente d’une explosion, attente d’une reconversion et d’une cicatrice à soigner pendant qu’une terrible catastrophe se prépare à l’autre bout du monde. Cette attente a ses défauts – qui pour d’autres sont des qualités. Batman, en cuir et en os, ne se montrera pas autant que dans le précédent film. Et par moment, on se demande pourquoi on reste figé sur l’histoire d’un jeune flic qui cherche à protéger 15 gamins alors qu’on vient de payer 16 balles pour une seule raison : voir Batman.
Mais coupons net. Cette légère
faiblesse a de grandes conséquences. Et quand surgit Batman, l’électricité
s’éteint, les voitures de cops
s’emboutissent, Gotham n’a plus le même visage. Construit sur de nombreuses
métaphores, The Dark Knight Rises
emploie le plus possible les signes et les symboles. Gotham City c’est New
York, mais c’est aussi Londres, Chicago, Hong Kong et Shangai. C’est la ville
de maintenant. La cité où tout le monde meurt et vit, où la modernité et
l’importance du monde financier ne fait qu’une bouchée de pain des petites gens
comme le démontre par exemple la séquence à la Bourse ou celle colossale dans
le stade de football américain. Plus fort encore, la séquence inaugurale est
l’une des plus impressionnantes jamais vues au cinéma. Elle propose un combat
situé dans les airs entre deux avions, en campagne montagneuse alors que
l’environnement privilégié du film est urbain et métallique – préfiguration du
chaos à venir sur la ville.
Un film physique
Nolan, réalisateur du premier degrés et du concret n’aime pas la 3D ni les effets numériques. Il filme la réalité pure (le plus souvent avec une seule caméra par scène), le contact physique brut, la puissance des corps sans artifice ni obstacle. Comme évoqué en prémices, l'arme à feu n'est pas une solution pour Batman et les combats sont uniquement mano a mano, dégageant la dominante physique du long-métrage. C’est là que la patte Nolan fait tout son effet (non pas dans ces séquences exorbitantes d’immeubles qui s’écroulent comme dans Inception). Nolan fait vivre son méchant, un masque à oxygène fixé au visage. Bane, qui à côté du Joker pouvait paraître insipide, impose par sa masse musculaire et la déformation vocale du masque rend chacune de ses phrases plus tranchantes : chaque syllabe sonne comme un rugissement de colère hérissant les poils de sa victime – et du spectateur – jusqu’au pubis. Le rythme du film est infatigable, impossible, emmené à tambours battants par une bande originale plus noire que les cheveux de Cotillard et plus sombre que le cœur de Wayne. C’est 2h40 de pulsations extrêmes qui touche droit à la cage thoracique ; non le cœur, mais les os, la chair et la tête. Un film physique, le plus physique jamais vu.
Un point de comparaison avec les autres opus permettrait de discerner la qualité de The Dark Knight Rises : plus fort que Batman Begins mais moins percutant et intelligent que The Dark Knight. La troupe d'acteurs fait son job, et Tom Hardy en Bane est très fort ; mais peut-on faire mieux que Heath Ledger ? Le film regorge de faits
inattendus, de personnages ambivalents et de surprises. La nouvelle Catwoman
confirme qu’il est possible de faire du nouveau avec du remake en élaborant un rôle frais et réjouissant même si elle n'est pas aussi sensuelle et ténébreuse que Michelle Pfeiffer.
Mais Nolan réussit parfaitement son coup, bouclant un triptyque moderne,
puissant, énigmatique et lumineux dans sa noirceur sans jamais se trahir et
jamais nous déplaire. Comme pour se redonner justice, la fin de la trilogie
dessine l’exil dans le lointain. Une image finale extrême qui marque une césure géographique
dans l’Océan, synonyme d’un retrait vers l’Europe. Nolan mérite ainsi ses vacances.
Le petit malin ne nous laisse cependant pas orphelin en nous offrant la
bande-annonce du prochain monument de super-héros, Man of Steel, film dont il est le producteur et qui verra le jour en 2013. Le trailer confirme déjà l'impact qu'aura eu la trilogie de Nolan sur les prochaines générations de super-héros au cinéma.
The Dark Knight Rises de Christopher Nolan (USA, 2012)
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