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12 février 2012

Nicolas Jaar au marché

Illustration: Lapiaz / Adrien Chevalley
Le concert de Nicolas Jaar au Sonar nous avait déjà fait chavirer. Par contre, celui du Montreux  Jazz nous laissait sur notre faim, à tel point que nous avons repoussé les limites jusqu'à prendre le train de 8h20 un dimanche matin pour Milan. Dur, mais on ferait tout pour un bon concert et aussi de la focaccia et ces trucs à la crème dans de la friture.

Ce concert était organisé par l'association Elita, dont Think Tank avait déjà goûté le festival. Une fois de plus, ce dimanche milanais s'annonçait hyper love malgré le froid et la légère gueule de bois. Tout ça se passait dans le Teatro Franco Parenti. Avec pour antichambre un marché dominical à coup de fripes qui puent pas la fripe, de hot-dogs dégueulasses et de DJs ambiançant une population jeune et jolie, quoique trop poilus et trop petits en ce qui concerne la gent masculine, selon les dires de notre experte en faune locale. Au moment de passer au concert, on se sent crevé au point qu'il est bien possible qu'on se soit en fait endormi lorsqu'on a pensé juste cligner des yeux entre deux gorgées. Mais la destinée s'est montrée clémente et les conditions de ce concert furent parfaitement adaptées à notre humeur en mode chill. Les sièges et les gradins de la salle de théâtre n'ont pas été retirés, on peut donc trôner dans du velours, surplombant la fosse où le sol remue.


Contrairement à Barcelone et Montreux, Nicolas Jaar apparaît cette fois seul sur scène avec son ordinateur, ses claviers et autres instruments à rythme alors que le rideau rouge s'ouvre. Derrière lui, un visuel en noir et blanc, en forme de miroir, produit un effet des plus jolis sans apporter grand chose, hormis nous rappeler un super jeu des 4 différences sur l'internet. Le début du concert confirme une fois de plus le talent de Nicolas Jaar, avec un set qui se fait intelligent, fin, avec des touches de piano magnifiquement claires, sans qu'il n'oublie de ménager quelques montées pour ravir un public italien qui, à son habitude, fait plaisir: c'est bien les vingt premiers rangs qui lèvent les bras au ciel à la moindre accélération. Surtout, impossible de ne pas secouer au moins la tête lorsque retentit la marque de fabrique du musicien, ces basses épaisses individuellement mais s'enchaînant sur un tempo irrésistible. Deux rangs devant nous, ça secoue gaiement du popotin ; mais pour la dernière partie du concert, c'est toute la salle au complet qui se doit de se lever pour un finish de folie, pour lequel Jaar est accompagné d'un guitariste. Une fois de plus, cet ajout se fait avec mille fois plus d'intelligence stylistique que dans la presque totalité des autres cas. Ici pas de solo horrible, pas de riffs pour "faire rock", mais une intégration discrète de la guitare et une adaptation rythmique et structurelle des chansons.


Ce final extra commence par le dernier titre de Nicolas Jaar, qu'on rêvait d'entendre: "And I Say" avec Scout Larue, fille de Willis et Moore. Comment une chanson qui s'appuie sur une voix et un saxo aussi lancinant peut être aussi dansante? Peut-être parce qu'elle sonne hyper sexy, comme une sorte de forme collective du tango. Après ce titre jouissif, l'assistance ne connut plus de répit dans son extase. Nicolas Jaar enchaîne sur l'excellent "Variations" avant de finir sur "Space is only noise if you can see". Un titre toujours aussi incroyable et pourtant entièrement différent de la version de l'album ou de celle entendue au Sonar. Lors de ce dernier, Nicolas Jaar avait utilisé son groupe plus complet et l'ambiance très club du festival pour allonger à l'envie cette chanson, partant dans du tempo reggae pour mieux relancer des accélérations démentielles. Ici, il s'appuie sur le seul guitariste pour réduire la longueur du titre, rendu plus tendu par un début au riff post punk, mais qui n'oubliera pas de partir dans une explosion qui ne laissera personne frustré. Un concert de rêve qui prouve tout le talent de Nicolas Jaar, qui ne se contente pas de se reposer sur la qualité de son album, mais parvient à chaque fois à l'articuler parfaitement aux conditions du live. Vivement la prochaine fois.

Nicolas Jaar - And I Say (feat. Scout LaRue and Will Epstein) by brooklynvegan