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13 février 2012

TT Speaches / Janvier 2012

Illustration: vitfait


Premier Speaches de l'année, on en reprend pour un an. Avec le froid et les vacances, on est à l'affut du premier bon son de 2012. Pas facile mais très excitant. Parmi les sorties, du classique avec Leonard Cohen mais aussi les affirmés First Aid Kit ou encore pas mal d'électronique (Evian Christ en tête). Et puis, sale temps pour la pop: le massacrage de Lana Del Rey, l'épitaphe de Amy Winehouse et puis, on l'apprend à l'instant, la mort de Whitney Houston.

Julien: Après l'auto-critique de notre rubrique mensuelle Speaches, nous percevons nos limites et admettons qu'il est difficile voire impossible de tendre à l’exhaustivité quant aux critiques des sorties. Ce d'autant plus que Think Tank s'ouvre constamment à de nouvelles pratiques artistiques, sans compter les festivals, les sollicitations diverses ou autres projets personnels. Réaffirmant notre générosité, nous ne voulions pas que la partie musicale ne souffre d'un éclectisme certain et ne se détériore ou que l'on mente : c'est ainsi que nous accueillons dans ces lignes le nouveau curateur de la rubrique MixTTape, Raphaël Rodriguez. Think Tank évolue rédactionnellement et graphiquement: en gardant une petite structure, nous tentons de faire participer un maximum de collaborateurs réguliers ou occasionnels, à la plume ou à l'illustration. De même nous attelons-nous à un rafraîchissement de la structure du blog, plus simple et allant à l'essentiel: le texte. Pour recommencer une nouvelle année, notre illustrateur Julien Fischer, à la base du logo et de multiples choix artistiques de TT, donne la nouvelle direction aux Speaches et aux autres rubriques: exigeant et fun. Quoi de mieux, de fait, de commencer l'année par le grand malentendu médiatique Lana Del Rey?























Pierre: L'année dernière, j'avais mis le label Tri Angle au top du bilan. Mais malgré tout les bons coups de 2011, le label semblait tourner un peu en rond en fin d'année et je craignais que la routine ne prenne le dessus sur la force de l'identité stylistique. Et bien, on peut dire que Tri Angle n'aura pas mis beaucoup de temps à me convaincre du contraire, en sortant la mixtape KINGS AND THEN de Evian Christ (cover ci-dessus), que je place direct album du mois, du fait il est vrai que janvier s'est montré assez avare en sorties fracassantes. Son nom déjà, Jesus de la bouteille d'eau, fait naitre la curiosité. Surtout, avec cet opus clairement hip hop, Tri Angle élargie son territoire dans une direction attendue et donc comblée. Bien sûr, la pate du label se fait toujours sentir et il ne s'agit pas de rap qui claque à la ASAP Rocky. Evian Christ, producteur anglais de 22 ans, explore un son extrêmement expérimental, une sorte de footwork hanté, avec des samples saccadés au possible, mais ralenti par la brume sonore qui les entoure, une brume moins lyrique et évidente que celle de Clams Casino. Ce caractère travaillé de la production rend KINGS AND THEN non seulement intéressant, mais aussi plus dur, plus tough, plus trempé dans une violence hip hop originelle. Une grande mixtape de rap hanté avec des titres irréprochables comme "MYD" et "Fuck it none of ya'll don't rap". Alors, t'en penses quoi Julien, la musique hantée sera-t-elle au gout du jour en 2012?


Julien: Nous pourrons y répondre d'ici quelques semaines, quand les principaux festivals auront dévoilé une partie de leur programmation. Mais je suis sûr qu'ils ne laisseront pas passer la bonne affaire 2011. A moins que la vague trance ne déferle sur toute l'Europe cet été (ça risque bien de revenir, comme nous en parlions en fin d'année 2011)… Vu à la Fabric de Londres la semaine passée, Sepalcure pourrait bien être un acteur majeur en 2012, en reprenant les bonnes ficelles partagées par l'écurie du chic R&S ou Tri Angle. Signés chez l'excellent label Hotflush Recordings, le duo vient de sortir son premier LP. S'il n'est pas un classique comme le sont CROOKS AND LOVERS de Mount Kimbie ou TRIANGULATIONS de Scuba – tous deux camarades de label – cet album du même nom n'est pas anecdotique et possède ses quelques tracks essentiels pour durer, à l'instar du tubesque "Pencil Pimp", assez proche des vieilles productions de James Blake, ou encore "See me Feel Me" à caser dans ta rubrique Sensuelle Seduction mon cher Pierre. Nous reparlerons assez rapidement de ce concert de Sepalcure à Londres dans un récit de voyage clubbesques. Sinon, hors actualité, je suis récemment tombé sur ce titre complètement dingue, "Ever or Not" de l'Allemand John Roberts sorti en 2010. Le reste du EP, GLASS EIGHTS, n'en est pas moins formidable; étiqueté Deep House, il démontre qu'on peut faire danser la foule sur autre chose que sur du Cassius ou la Swedish House Mafia. Pour terminer dans le rayon Musique Hantée, j'avais trouvé ces titres de Magnum, "All Over Me (Monster Playground Remix)", "Fine Fright" de TreeFNGR ou "Never (Close Remix)" de Sbuba, pour boucler la boucle Hotflush.


Pierre: Il n'y a rien de pire dans la musique que d'en rajouter des tonnes dans le pathos. On croit s'élever dans l'épique et faire pleurer les coeurs, alors qu'on patauge seulement dans la mièvrerie. Cette erreur, deux groupes la commettent ce mois. D'abord, The Big Pink dont le premier album ne m'avait déjà pas convaincu, seul un remix de Gang Gang Dance les sauve dans ma playlist. Mais avec FUTURE THIS, on touche le fond. Il fallait s'y attendre en écrivant des chansons aussi lourdingues. Des intro qui ose citer True Romance pour partir sur des refrains que même dans la pop la plus mainstream on oserait plus faire ("The Palace"), des changements de tonalité cucul la praline ("13"). Tous les titres de FUTURE THIS sont écrits pour être des tubes intemporels et sentimentaux, cela se sent à un point que la migraine et la nausée se cotoient très vite. Le premier album de Perfume Genius avait su par contre me toucher. Mais le problème avec son deuxième album, PUT YOUR BACK N2 IT, c'est qu'on a l'impression d'avoir déjà connu de cette fragilité boulversante dans LEARNING, et en mieux vu que c'était alors la première fois. Bien sûr ceux qui ont adoré adoreront encore, la plupart des chansons restent très belles et Perfume Genius n'a perdu ni sa voix ni son style. Mais pour ma part, cette musique aussi larmoyant, je n'ai pu l'apprécier que le temps d'un album.
























Pierre: Au rayon "le rock est mort en ce moment, mais de bons albums rocks se font encore", ce mois-ci sort ATTACK ON MEMORY (cover ci-dessus) de Cloud Nothings. La voix rageuse fait penser à plusieurs formations. Cloud Nothings pourrait ainsi passer pour un Wavves en moins petit branleur, le moins s'appliquant à la première des qualifications de ce groupe nominal. En effet, la nonchalance et le dédain font partie des éléments forts de ATTACK ON MEMORY, "No future/No Past" étant le symbole même de cette sorte de spleen grunge. Le grunge et les Pixies étant bien évidemment les deux grands héritages dans lesquels Cloud Nothings va puiser. Plus précisément, la forme de grunge ici présente est celle qui fit les beaux jours de The Vines: une voix hargneuse, des explosions brutales sur les refrains mais portés par des mélodies power-pop très efficaces. Personellement, ce n'est pas le genre de musique que j'aime mais ma foi, à un moment où un genre est aussi moribond, on se sent presque obligé de complimenter les revival bien charpentés.


Julien: Dans la catégorie revival je fais un aparté avec une petite soirée passée jeudi passé au fameux bar The Lock Tavern à Camden, Londres: quatre groupes, avec notamment les excellents Stranded Horse, un public connaissant toutes les paroles par chœur, du rock acoustique dans la plus pure lignée Doherty et compagnie, rien d'extraordinaire mais suffisamment de conviction pour séduire. Nous tous sommes les enfants d'un énième revival et pourtant ça marche toujours: tôt ou tard, on y croit, certains ayant plus de chance que d'autre quant à l'époque vécue. Ainsi, de revival, on parle aussi forcément de Lana Del Rey, considérée comme une "obsédée des sixties". Avant d'y consacrer une grande partie de notre Speaches, n'oublions pas une autre dame, autrement plus conséquente, de la pop music. Avec HDDEN TREASURES, les proches et producteurs de Amy Winehouse entendaient clore le chapitre discographique pour mieux laisser la place aux souvenirs de la petite. Ce disque est sorti mi-janvier et pourtant j'ai l'impression qu'il date de plusieurs années. Et ce n'est pas les productions qui me diront le contraire, avec de vieux titres inclus, comme "Tears Dry" ou "Wake up Alone" (c'est un peu le but du disque me direz-vous, "trésors cachés"). C'est con à dire, mais quand je me baladais une nuit dans Camden, fuyant le sud de la ville, j'étais tourmenté à l'idée qu'elle y avait passé pas mal d'instants de sa vie (en principe, je ne suis pas du type "fan"). Camden la nuit, sans les touristes, les boutiques fermées, la bise dans la tronche, se laisse justement déguster. Après je raconte toute ça et finalement, le seul titre que l'on retiendra de ce HIDDEN TREASURES, ce sera le featuring avec Nas, "Like Smoke" - Nas fait partie de l'histoire du hip hop, avec des albums aussi excellents qu'influents dans sa première période artistique. Et hop, titre du mois, pour tourner la page et se rappeler que Winehouse était tout de même quelqu'un, même si elle n'a jamais été exempte de tout reproche. Artistiquement, ce LP est un petit album. Historiquement, par contre… Allez, on a hâte d'en découdre avec la demoiselle suivante, au chœur de toutes les critiques.
























Pierre: Impossible en effet de ne pas parler de l'album de Lana Del Rey, BORN TO DIE, même si la haine que la chanteuse provoque donne avant tout envie de refaire le point. Premièrement, insulter une artiste en la réduisant à son corps, en pornographiant son anatomie, relève du sexisme le plus primaire. Deuxièmement, rejeter une musique d'emblée parce que l'on considère, sans raison évidente, comme hipster, est le signe de personne obsédée à tel point par l'avis social qu'elle développe de l'urticaire dès qu'elle pense que quelque chose serait branché, par une sorte de poujadisme ou d'élitisme musical, c'est selon. Surtout avec ces deux points, on évite de juger honnêtement la musique elle-même. Et là, c'est clair que le jugement de BORN TO DIE peut difficilement être positif tant l'album est bâclé et insipide. Au delà des premiers singles, on ne retrouve que la même chose en moins ou des tentatives d'aller vers autres choses qui ne marchent pas. Les raisons de cette déception peuvent être cherchés dans différentes raisons. Peut-être que les producteurs impatients de faire fructifier le buzz autour de Lana Del Rey ont hâté la sortie d'un disque, qui sent le monté à la va-vite. Peut-être aussi que sortir un tire aussi parfait et directement envoutant que "Video Games" ne peut conduire qu'à sortir des titres souffrant toujours de la comparaison avec ce coup de maitre originel.


Raphaël:  De mon côté, j'ai à vrai dire un peu de peine à saisir l'extrémisme des réactions que Lana Del Rey provoque: il s'agit pourtant à priori de quelque chose d'assez mineur: un album pop pas si mal ficelé, trop insipide pour éveiller un réel intérêt et assez peu consistant, fantôme FM de Mazzy Star, mais pas d'un fondamentalement mauvais album. La réelle supercherie me semble avant tout le "packaging" qui entoure cette sortie: on a tenté de nous vendre un produit branché, presque subversif, arty, audacieux, alors qu'il s'agit avant tout d'une énorme machine: une machine à argent, une machine à fame, un produit consciemment créé, conçu du début à la fin. Quelque part, l'enjeu de BORN TO DIE -et c'est plutôt à ce niveau qu'une controverse devrait exister- dépasse complètement Lana Del Rey: il génère un véritable débat de fond sur la musique actuelle. Ces dernières années, en particulier en 2011, des labels comme Tri Angle et, plus généralement, le monde de la musique a semblé évoluer vers un affaiblissement des limites entre underground et mainstream, entre majors et gros labels indépendants. Cet album mène peut-être, mais la question est encore ouverte, à un constat d'échec du processus: malgré toute l'image, toute la communication, Lana Del Rey sonne résolument et rigoureusement pop: son disque sent l'argent investi, l'absence de véritable personnalité artistique ainsi que la rage d'enterrer une Lizzy Grant par trop ringarde. BORN TO DIE est une arnaque, un faux semblant, mais reste malgré tout un produit pop acceptable pour autant qu'il soit considéré comme tel.


Julien: Dans sa chronique hebdomadaire au magazine Die Zeit, Harald Martenstein, en s'offusquant elle aussi des délires médiatiques et pseudo-critiques, avait l'excellente vue d'esprit en déclarant: "si Lana Del Rey est le plus grand espoir de la pop music, l'ère de cette même pop music touche donc à sa fin". Je pense qu'en une phrase, elle dit tout: Del Rey tente, mais n'a pas encore les capacités pour tenir sur la durée. Si j'ai parlé d'Amy Winehouse ci-dessus, ce n'est pas pour rien: cette dernière n'y est pas arrivée du premier coup, et encore moins sans ses producteurs. Quand "Video Games" est sorti, j'émettais déjà des doutes quand à la construction sonore du titre, qui, au fond, n'était pas des plus dingues et sentait pas mal l'amateurisme – en aparté,  la politesse de ce titre, jouant sur une proto-atmosphère, rappelle le succès de "Iron" de Woodkid, ici aussi plus que servi par un clip qui en balançait. BORN TO DIE ne fait qu'amplifier cette prod si importante dans les annales de la pop music: sans sorcier du son, pas de salut. C'est triste mais c'est comme ça.
























Julien: On reste dans le registre féminin avec First Aid Kit, qui s'était fait connaître en 2008, année sainte de Fleet Foxes. Avec pas mal de candeur mais aussi d'opportunisme, le duo suédois avait repris "Tiger Mountain Pleasant Song" de l'unanimement salué premier LP du groupe de Seattle. Résultat? Plus de 2 millions de vues, et pas mal de buzz du coup, forcément. On aurait pu en rester là avec les sœurs Soderbergh, télescopant les époques avec leur chemise à carreaux. Si THE BIG BLACK AND THE BLUE (2010) était honorable, au point d'être sorti chez Rough Trade, que dire de ce second album, THE LION'S ROAR? Eh bien, si l'on parle parfois de la mort de la pop music, il est toujours avisé d'aller regarder du côté de la Suède (Lykke Ly récemment, entre autres petits malins des mélodies). Ce 10-titres est quasi parfait et s'impose comme le palliatif idéal aux déçus du second album de Fleet Foxes. Tiens tiens, affiliation forcée? Il n'en est rien, tant ce duo maîtrise les harmonies et les envolées admirables, aidées de plus par l'apport de Conor Oberst (Bright Eyes) et les Felice Brothers, pour un second LP mémorable. S'il y a des titres simples d'accès ("This Old Routine", le single "The Lion's Roar" ou le tip top "Emmylou"), permettant par exemple à ce LP de figurer en première place des charts suédois, on retiendra les moins évidents "In The Hearts of Men" (étonnant de maturité pour des filles à peine majeurs), "To A Poet", ultra americana (et remportant haut la main la palme du meilleur titre) et "Dance to Another Tune", aussi appliqué que contemplatif. Pas mal attendu, ce disque ne déçoit pas, même s'il pourrait facilement s'intégrer dans le registre "pop lascive et jolie". Ici, on sent la maîtrise à tous les niveaux. Et la production suit.


Julien: Je poursuis avec le parrain Leonard Cohen, forcé de se remettre sur la route voilà déjà quatre ans, chose qui semble bien lui aller finalement: mis à part "Going Home" ou d'autres titres aux chœurs un peu trop affirmés, OLD IDEAS fout les jetons à des générations nourries au biberon Cohen et qui pensaient que ce mec là, c'était le passé. Sans nostalgie ni fautes de goût flagrantes, OLD IDEAS est moderne et guilleret, affirmant un jeune homme de 77 ans aussi cynique qu'impertinent ("Amen" qu'on prendrait pour un "Hei men"), son 12ème album sous le bras. 44 ans après l'inaugural SONGS OF LEONARD COHEN, on aurait pu attendra vachement plus introspectif. Notre confrère Christophe Schenk parle de "retour en grâce miraculeux": c'est effectivement le moins que l'on puisse dire. Il est d'ailleurs toujours un peu gênant de tenter de critiquer des disques de fins limiers, actifs sur la scène musicale alors que nos parents n'étaient encore que des gamins, on se sent tout petit, surtout quand ce mec au costard nickel te fout une leçon. Le public ne s'est pas trompé: OLD IDEAS se vend comme des petits pains.


Pierre: Signalons encore la compil' de mix d'un musicien que j'apprécie beaucoup: Pictureplane. En fait, DIMENSION RIP 7 est plus précisément une addition de différents remixes des titres de la mixtape que Pictureplane a sorti en 2011: THEE PHYSICAL. Elle se trouve gratuitement sur l'internet et c'est chose normal tant aucun effort de sélection n'a été fait. Sur les 18 morceaux, on retrouve jusqu'à 7 fois la même chanson remixée. Surtout, il y a de tout. Du bon, des moments de grâce mais aussi d'autres bordéliques. Le tout en devient assez indigeste. Cela ressemble à ces gros tas d'habits soldés dans un magasin, le tout ne donne pas très envie mais celà vaut la peine de fouiller pour dénicher des merveilles. Celles-ci ne sont pas le fait de la seule remixeuse connue de nos services: Grimes, qui signe un titre sans grand intérêt. Mes coups de coeurs vont à deux remixes de "Body Mob", le premier signé Extreme Animals, qui sample la musique de Twin Peaks et rien que ça ça fait plaisir. Le second est le fait de Teamns, étrangement ressemblant à un Buvette hanté. Sisi.


Julien: Autre groupe apprécié jadis de la rédaction: on avait laissé The Maccabees en 2009 avec un splendide WALL OF ARMS dans la plus pure tradition pop excessive servie en Grande-Bretagne, avec ce genre de refrain à se balancer sur les tables. Récemment, The Futureheads avaient défriché le terrain au mitan des années 2000 avant de s'effacer, pour mieux laisser la place à ce quatuor hyper précis et mélodique: avec des titres comme "Love You Better" ou "Young Lions", les Londoniens plaisaient autant aux kids qu'à la scène gay, rappelant ici et là un Bronski Beat taillé pour les stades, des Smiths contemporains, les guitares et les paroles en moins mais forcément mieux que toute une génération de groupes promus rois par le NME (Rumble Strips, The Automatic, Two Doors Cinema Club, etc.). En concert, c'était non plus pas trop mal. En Angleterre, The Maccabees ont terriblement marché. Ici un peu moins: GIVEN TO THE WILD devrait corriger le tir, avec le titre "Pelican" sous le bras, les guitars aux premiers rangs, la voix ultra-produite. A part ça? Pas vraiment de profondeur. L'intro éponyme présente un clip aux ambitions mégalos. Les Londoniens se voient-ils trop grands – ce n'est que de la pop rock? Dans l'enchaînement, "Child" est étonnamment placide et sonne comme du Foals dernière livrée, au point de se demander ce que peuvent bien avoir tous ces nouveaux groupes de rock à ralentir leur tempo une fois le succès venu. "Feel To Follow" reprend les breaks de batterie typiques sur WALL OF ARMS, mais ce non plus après des envolées mais malheureusement de l'emo-rock. "Ayla" est un pur Maccabees, mélodies et trompettes en avant, gimmicks pas franchement nouveaux mais rassurant au milieu des daubes sonores de ce GIVEN TO THE WILD ("Heave", "Unknown", "Slowly One"). Après avoir connu la joie avec le précédent LP, il est difficile de parler autrement que négativement. Et, si on était vraiment méchant, on dirait "Next!". Après tout, on a Metronomy, c'est suffisant… Pierre, nous devrions consacrer une rubrique entière à ces groupes qui se perdent après un album, tu ne crois pas (je suis le premier à en être triste)? Non mais entendez ce "Grew Up At Midnight", on dirait le dernier Coldplay…



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Raphaël: Après réflexion, je cède à la tentation et m'arrête sur ce qui sera mon disque du mois, voire plus: J'ai nommé John Talabot. La sortie, très attendue, de son premier LP, ƒIN (cover ci-dessus) surprend mais ne déçoit pas. L'espagnol, déjà auteur de plusieurs EPs remarqués, notamment sur Young Turks (The xx, Holy Fuck, SBTRKT) nous a pourtant habitués aux surprises: premièrement par ses choix de labels plus indie qu'électroniques, deuxièmement par ses collaborations (Glasser par exemple). On s'attendait pourtant, à l'annonce de ce disque sur Permanent Vacation, à une house tropicale, naïve et légèrement mélancolique, quitte à stéréotyper. Ici, le refrain est autre, et l'artwork factory-esque l'annonce d'emblée: L'album s'ouvre sur l'un des meilleurs morceaux, Depak Ine, étrange bloc sombre et tribal, organique, dont la structure est, comme bien souvent sur ce disque, déroutante. Les éléments caractéristiques s'emboîtent ensuite, se retrouvent, se miroitent dans une parfaite cohérence, toujours marqués par un sceau bien particulier, tant lorsqu'il réalise (en collaboration avec l'excellent Pional) un quasi-hymne disco house comme "Destiny" que lorsqu'il délivre le presque footworky "H.O.R.S.E" ou encore des plages plus oniriques comme "El Oeste" ou "Missing You". Sans tapage ni pédanterie, il définit les contours d'une house extrêmement contemporaine (On pense à ces choeurs à la fois sexy et fantomatiques qui sévissent sur plusieurs morceaux), dont les sonorités comme les harmonies semblent d'un autre monde: sur la tangente, il réussit l'ambitieux pari de livrer un LP dont la beauté réside dans l'ambivalence étrange entre dureté et tendresse extrême, un disque gentiment sombre, surligné de mélancolie, un disque qui rend heureux sans être extatique tant il respire la modestie et le travail. Sans génie tonitruant, donc, excellent album dont la témérité et le charme laissent une trace indélébile. He's got Balls.


Julien: On termine dignement avec le roi Sufi de la fumette, le sacré Gonjasufi. MU.ZZ.LE nous est arrivé un peu trop tardivement pour l'écouter plus d'une fois avant le bouclage. Pour rappel, avec A SUFI AND A KILLER, le Californien avait livré l'OVNI de 2010, entre trip hop 2.0 ("Kobwez", "Change"), comptines barrées ("Sheep") et garage ("SuzieQ"). D'aucuns l'avaient considéré comme l'album de l'année, aussi stupéfaits qu'éreintés à la fin de l'épreuve de l'écoute. S'il n'abuse pas trop de l'herbe, il pourrait bien s'imposer comme le digne héritier de Bowie: c'est du moins ce qui se murmurait dans les coulisses des suiveurs. Donc, déception et frustration de n'avoir pu suffisament écouté ce nouvel album de Gonjasufi. Nous commençons avec un proche du hip hop, Evian Christ, nous terminerons avec un autre amateur de grosses basses (outre son premier groupe, Masters of the universe, il a aussi joué avec Flying Lotus). "White Picket Fence" semble reprendre les choses là où A SUFI AND A KILLER les avait laissées: dans un folk lunaire, orchestré à mille d'altitude, souvent saturé et comme en écho constant. Sur "Feedin’ Birds" c'est Martina Topley-Bird qui chante ensanglantée sur un Massive Attack vieille époque, avant de hurler la mort, un sac sur la tête, sur "Nikels and Dimes", les bruits cachés par un autre chant stellaire. Plus que sur le précédent LP, les voix tournoient autour de la musique néo-psychédélique, apprêtée pour une fête d'enfer, avec au choix, Shabazz Palaces qui auraient pris les instruments, ou un Matthew Dear qui n'aurait pas dormi pendant une semaine. Le reste de l'album se révèle excellent après la première écoute, où "The Blame" s'impose comme le grand morceau de cette fin d'album semble-t-il moins extravagant que le dernier: d'expérience sonore, Gonjasufi ne délecte que quelques pistes pour l'avenir avec un 10-titres court et peut-être moins marquant que A SUFI AND A KILLER. Je vous promets, en on reparle le mois prochain, histoire de donner du fil à retordre à cette pop music bien mal en point.


Disques du mois
Pierre: Evian Christ, KINGS AND THEN
Julien: First Aid Kit, LION'S ROAR (pour la jeunesse, au détriment de Leonard Cohen)
Raphaël: John Talabot, ƒIN


Singles du mois
Pierre: Sophia Knapp, "Close to me"
            Francis Bebey, "The Coffee Cola Song"
Julien: Leonard Cohen, "The Darkness"
           Amy Winehouse feat Nas, "Like Smoke"
Raphaël: Raime, "Hennail"
              


La mixtape de Evian Christ, KINGS AND THEN ci-dessous



Clip du mois