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14 février 2012

Sublime Take Shelter

Photo: Vincent Tille
Take Shelter n’est que le second long-métrage du jeune réalisateur américain Jeff Nichols et prouve déjà toute la splendeur d’un mec qui aime filmer la peur et l’angoisse d’une façon particulière, sans jamais tomber dans les gros clichés du film d’horreur. Un genre qui a de la peine à retrouver sa veine d’antan et que le réalisateur utilise intelligemment dans son film qui a remporté le Grand Prix de la semaine internationale de la critique à Cannes en 2011.

Le synopsis se résume à peu de choses : Curtis est en proie depuis quelques nuits à de mauvais rêves qui le réveillent paniqué tous les matins. Mais ces rêves ne s’effacent pas si facilement et Curtis, père de famille ouvrier dans la construction au sein d’une petite ville étasunienne de l’Amérique profonde, est persuadé qu’une catastrophe va arriver. Pour se préparer, il investit ses économies dans la construction d’un abri à tornades dans son jardin. Sa femme et ses proches le prennent petit à petit pour un fou. Dès la première scène, Curtis, interprété par l’excellent Michael Shannon, se tient devant sa maison, guettant le ciel gris et ses nuages terrifiants qui se forment dans le ciel et l’ambiance est tout de suite posée.

Autant le dire tout de suite, Take Shelter est d’ors et déjà l’un des meilleurs films de 2012, et cela est encore plus ironique quand on sait ce que les Mayas nous ont annoncé pour la fin de cette année puisque le film se focalise sur l’attente d’une catastrophe. Quoi de plus beau comme prologue à 2012 ? La grande réussite de ce long-métrage réside dans l’ambiance qu’a réussi à installer le réalisateur ; à l’instar d’un Kubrick, Jeff Nichols joue avec le spectateur en lui présentant tantôt des scènes qui semblent réels mais ne le sont pas, où qui sont bien réels mais qui sont présentés de façon à déconstruire une réalité (Shining faisait exactement ça 20 ans avant). Par exemple, Curtis a de plus en plus peur des orages et des coups de tonnerre. Lors d’une journée de travail, il entend des coups de tonnerres, mais le ciel est bleu et son ami continue à forger le sol sans voir que son ami est pris d’une crise de panique. Au fur et à mesure que le récit avance, on ne sait pas si Curtis est vraiment fou, ou s’il est doté d’un don divin, surréel, qui annonce un évènement tragique à venir. En plus d’un casting d’exception (Jessica Chastain réussit un rôle aussi bon que celui de The Tree of Life), le réalisateur nous montre une Amérique profonde, à la History of Violence, avec tous les clichés évidents et obligatoires de cet univers, sans jamais tomber dans le superflus : le frère qui vient raisonner Curtis, les après-midi tricot entre les jeunes femmes, les problèmes de couple, la bière de fin de soirée dans le vanne, l’importance de la propriété privée et de la maison familiale. Souvent, une situation est définie par un seul plan et Nichols rejoint alors Malick, de façon athée, avec ses très beaux plans du ciel, de la pluie qui s'abat sur les carreaux, des arbres ou simplement des gros-plans sur les acteurs.

Finalement, Take Shelter c’est un intelligent mélange de trois films : Shining (Stanley Kubrick, 1980) pour la réutilisation de la frontière entre le réel et le rêve qui n’est pas clairement définie et bien sûr son côté film d’horreur. Twister (Jan de Bont, 1996) pour son côté film-catastrophe et de ce qui m’avait alors effrayé à l’époque : ces ciels gris et opaques, merveilleux et effrayants. Puis, enfin, A Serious Man (2009) des frères Coen pour l’ambiance et la destinée d’un homme qui cherche une réponse et en devient obsédé. Take Shelter reprend des sujets et des situations connues dans certains types de film de genre, et en les mélangeant, en ressort avec un sublime objet qui mérite son prix cannois. Et comme le résume très bien Alain Riou, « c’est un film d’horreur pour ceux qui n’aiment pas les films d’horreur ».

Take Shelter de Jeff Nichols (USA, 2011)
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