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18 février 2012

Hawaï désenchanté: l'envers du décor dans The Descendants

Photo : Vincent Tille
Alexander Payne (salué par la critique après deux bons rendus – Monsieur Schmidt et Sideways) s’est remis à la réalisation, six ans après son dernier long-métrage. Le temps, les voyages et le métier de producteur l’auront finalement mené à l’adaptation du roman de Kaui Hart Hemings, The Descendant.

« Le paradis peut aller se faire foutre »
L’histoire emmène l’anti-héros Matt King incarné par George Clooney à retrouver l’amant de sa femme tombée dans le coma après un accident nautique. Matt se verra accompagné par ses deux filles à travers les îles d’Hawaï, détail géographique à ne pas négliger et sur lequel il faut s’arrêter. Car on peut trouver le scénario un peu pataud (quelqu’un dans le coma, comment lui dire pardon, les retrouvailles du père et de ses enfants, etc.), les acteurs bons (Clooney mérite en tout cas sa nomination aux Oscars) et la mise en scène assez réussie (pas faux). Mais au-delà de tout ça, l’idée géniale du film est celle d’avoir utilisée comme lieu de l’action Hawaï . The Descendants permet en effet de montrer l’importance du choix de la situation environnementale où l’action, les acteurs et le déroulement de l’histoire se font.

Le prologue tient d’ailleurs tout de suite à mettre les points sur le "i". Matt King décrit en voix-off la vie d’Hawaï à l’opposé de tous les clichés que l’on connaît de cette station de loisirs estivales. La vie aussi peut s’arrêter à Hawaï ; les cancers existent aussi et y vivre ne veut pas dire être en vacances 365 jours par an. Le paysage prend donc de l’importance et apporte une valeur ajoutée au film non négligeable. C’est la saison des pluies qui est montrée à l’écran, et ce ciel souvent couvert ravagé par une couleur grise qui bouffe le bleu ciel azuré auquel nous sommes habitués. Ce ton apporte une dimension ordinaire qui magnifie la pellicule et le spectateur est ainsi emporté dans l’histoire au rythme des rencontres que fera Matt à travers les îles d’Hawai’i et de Kaua’i. Le paysage devient d’ailleurs une partie intégrante de l’intrigue, puisque la famille de Matt doit vendre l’une des dernières parcelles encore vierges de l’île de Kaua’i encore épargnée des constructions d’hôtels ou de terrains de golf. Alexander Payne va d’ailleurs passer du temps à filmer ce paysage grandiose – toujours sous un ciel couvert – où la nature se déploie avec ce qui lui reste comme terre inexploitée par l’Homme. Ce côté gris de Hawaï accentue les difficultés qui entourent la vie de Matt King à choisir un bon acquéreur pour le terrain mis en vente, à annoncer la mort de sa femme à sa famille et ses amis et à élever ses filles comme il ne l’a pas fait auparavant. Si l’histoire s’était déroulée à New York ou Los Angeles, le film tomberait à plat. La place de l’action n’est ici pas qu’un décor passif mais élève l’histoire à un sublime de l’ordinaire, en jouant avec un lieu que les mœurs ont transformé en paradis terrestre éphémère.



Haiti désenchanté
Il y a des films où l’on s’accroche plus à un paramètre particulier : un-e acteur-trice qui nous attire, une scène mythique ou un scénario insolite. Dans The Descendants, c’est la photographie et l’atmosphère qu’elle apporte en utilisant très justement les bons plans et les séquences utiles : le petit footing de Matt le matin sur la plage où il rencontre l’homme qu’il recherche, les instants banals de plage où il est assis dans le sable à regarder sa cadette se baigner, le vent dans les palmiers et ce moment très spécial de la journée que filme Payne avec amour, comme Malick dans Days of Heaven ou celui-ci recherchait alors « l’heure bleue » (un instant précis entre le coucher du soleil et le début de la nuit). Nous ne sommes pas au niveau de Malick bien sûr, mais on touche à une simplicité intelligente et qui fait mouche, une simplicité que Payne avait déjà utilisée dans Sideways mais qui dans The Descendants prend une forme originale et si vraie que l’on aimerait connaître ce Hawaï-là plus que celui des cartes postales. Un peu comme Woody Allen qui aime Paris sous la pluie, le beau temps lègue sa place ces derniers temps au cinéma à une étrange exultation des trombes d’eau que réemploie Payne avec délicatesse.

The Descendants de Alexander Payne (USA, 2011)
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