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20 février 2012

Black Movie 2012 : preview et bons plans / Faust

Visuel affiche "Black Movie" 2012
Le festival « Black Movie » a débuté vendredi et continue jusqu’au dimanche 26 février. Cet événement cinématographique genevois décidé à aller « résolument à contre-courant des cinémas uniformisés », propose cette année encore une multitude de films palpitants. Mais comment se retrouver parmi cette forêt de récits et d’histoires inhabituelles pour les p’tits Suisses traditionnels que nous sommes ? Tentative d’itinéraires et quelques mots sur le long-métrage événement de Sokourov qui ouvrait le festival vendredi soir.

Contemporain, asiatique, et même dorénavant plus ouvert sur l’Europe du Nord, le cinéma des Balkans et l’Amérique du Sud, le « Black Movie » nous donne la chance en Suisse de voir des films qui ne sont pas encore sortis en salle et qui, probablement, n'y verront jamais le jour. Profitons donc durant cette semaine de cette aubaine avec pour commencer l’hommage de Kim Ji-woon au genre du western spaghetti des années 60 (et plus précisément à Sergio Leone) avec The Good, The Bad and the Weird. Pour l’un des films les plus chers de l’histoire du cinéma coréen, Kim Ji-woon reprend la trame du classique de Leone pour en faire un western complètement loufoque, fou et génial. Avec un casting de luxe (le Tom Cruise coréen, Lee Byung-hun), le film est un régal dans le genre du film d’action filmé par (à mon humble avis) le meilleur réalisateur coréen à ce jour, derrière Park Chan-wook. Parce que Kim Ji-woon c’est A Bittersweet Life, A Tale of Two Sisters et l’énorme I Saw The Devil sorti l’année passée dont la présence au « Black Movie » aurait été la bienvenue.


Dans la continuité du cinéma asiatique, il y a le très beau (et applaudi de la critique française) Tatsumi, première réalisation animée de Eric Khoo, réalisateur singapourien qui rend homme dans ce film au Gekiga, le manga noir destiné aux adultes. Encore deux choses à relever pour les coréens : la projection du court-métrage de Park Chan-wook (prix du meilleur court à Berlin l’année passée), déjà vu au NIFFF, que Park a réalisé uniquement à l’aide d’une centaine d’iPhone 4. Les deux derniers films de Hong Sangsoo, le Rhomer coréen, valent le détour : Oki’s Movie et The Day He Arrives, en avant-première suisse.


Le Lion d’or en ouverture : Faust
Et quoi de mieux que de démarrer les festivités par une reconnaissance européenne certifiée : Faust du réalisateur russe Sokourov était projeté vendredi soir (la majorité des films sont projetés trois fois), qui a reçu la distinction suprême à Venise l’année passée, est à coup sûr l’un des moments forts du festival. Après avoir tourné sa tétralogie sur le pouvoir (Moloch sur Adolf Hitler, Taurus sur Lénine et Le Soleil sur l’empereur Hirohito), le réalisateur soviétique s’est lancé dans un film qu’il aura mis cinq ans à réaliser et qui n’a été terminé que la veille de sa présentation à Venise. Reprenant le mythe moderne de Faust, pièce de théâtre atypique et surréelle écrite par Goethe à l'aube du XIXe siècle, Sokourov se lance dans un film ambitieux, difficile, et dont le sujet a déjà été repris au cinéma par Murnau ou René Clair. Loin du film de Clair (plus tragicomique), le Faust de Sokourov est une œuvre somme que le président du festival, Darren Aronofsky, n’a pas hésité à féliciter : « Il y a des films qui font pleurer, rire, penser, des films qui émeuvent, qui changent la vie pour toujours. Faust est de ceux-là ». Le réalisateur de Black Swan n’est pas loin du vrai, car le film renverse tout, étonne et dérange, tant la caméra ne quitte jamais ses personnages, ne les laisse pas respirer et empêche le recul à cette histoire de pacte entre un homme qui décide de vendre son âme au Diable pour s’évader d’une vie trop difficile dans laquelle l’âme est introuvable, le bonheur aussi, et le Mal omniprésent. Pauvreté, maladies, dettes, la démarche du cinéaste russe semble être celle de montrer que le Mal entoure l’Homme et que celui-ci, pour vivre, doit faire avec, et accepter un déclin inévitable : « Regardez-les, ils sont morts. Ils sont heureux et ils vous attirent. Vous, vous êtes malheureux et vivant » lance Mauricius (alias Méphistophélès) au docteur Faust à la fin du long-métrage. Rarement ai-je été aussi dérangé et mal à l’aise au cinéma par cette image qui hésite entre les effets d’étirements et les couleurs pâles et automnales, mais l’effet est cependant immédiat : on se sent aussi emprunté que Faust, perverti par les paroles infatigables et bruyantes du Malin et, de l’autre côté, de Marguerite qui incarne le bonheur d’une vie meilleure qui s'éloigne. Le film se termine dans des paysages montagneux (le film a été tourné dans cinq pays différents), de glaciers et de roches, où les deux hommes se perdent dans des couloirs qui se ferment sur eux-mêmes, comme le spectateur, pris dans ce mouvement pervers de la fin d’une histoire, qui ne trouve plus d’autres issues que celle de la fuite.

En présentant Faust, le « Black Movie » met la barre très haut. Mais la qualité se répètera durant la semaine, avec notamment Canine (film gréc de Yorgos Lanthimos), Deadball (Japon, 2011, Yudai Yamaguchi) pour les amateurs de gore, Casanegra (Maroc, 2008, Nour-Eddine Lakhmari) un road-movie alléchant, ou encore le dernier Takashi Miike, Hara-Kiri, Mort d’un samouraï (Japon, 2011) qui plaira à tous les amateurs de films de samouraï ou bien sûr Les tortues ne meurent pas de vieillesse de Benchekroun & Mermer, film révélation du cinéma marocain en 2010.




Black Movie 2012 du vendredi 17 au dimanche 26 février / Genève cinémas du Grütli / 8.- pour les étudiants / tarifs et informations sur www.blackmovie.ch