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21 février 2012

Andreas Dorau, la synthwave sépia

Illustration: Giom




























En 1982, c'est-à-dire dans les années parmi les plus inventives qu'ait connu la musique actuelle, sortait BLUMEN UND NARZISSEN de Die Doraus und die Marinas. Aujourd'hui, Bureau B  réédite cet album de synthwave bien retro mais aussi un des rares véritables disques adolescents.

Le punk est déjà bien installé en Allemagne de l'Ouest en 1981, une scène large s'est développé et a mis un point d'orgue à développer ses propres caractéristiques et à chanter en allemand. Il est tellement installé que de nombreux musiciens ont déjà la ferme intention de dépasser ce stade, en retournant vers une musique plus dansante, récusant le tabou du tube, et surtout en utilisant des synthés devenus abordables, plantant les graines de ce qui allait se faire appeler la Neue Deutsche Welle. On se trouve véritablement à une croisée des chemins du punk ouest-allemand, une partie se durcissant dans les formes rigides du punk Oi, l'autre partant vers des terrains plus artistiques mais aussi plus ouverts aux influences non blanches comme la disco ou le reggae. Au centre de ces différentes tendances, un label produit sans compter, Ata Tak de Frank Fenstermacher à Düsseldorf, qui accepte presque toutes les démos qu'il reçoit. Parmi celles-là, un single envoyé par un garçon de 16 ans, Andreas Dorau. On associe souvent la pop avec l'adolescence, du fait de son public, de son image, ou de différents groupes de jeun's préfabriqués. Avec Andreas Dorau, rien de tout ça à la base. On colle vraiment à l'image type, presque trop belle pour être vraie. Pourtant, Andreas Dorau a bel et bien écrit ses chansons durant des vacances en famille et son tube "Fred von Jupiter" était à la base composé pour un devoir en classe de musique, travail qui ne fut gratifié que par un B, avant de connaitre un succès important. De même, les jeunes filles qui chantent et posent avec Andreas Dorau ne sont pas issues d'un casting sauvage mais sont tout simplement les copines de classe du garçon. 


Si tous ces éléments donnent un parfum d'authentique au groupe, il ne faut pas non plus penser qu'on se trouve face à une forme naîve de création, Andreas Dorau faisant figure de douanier Rousseau de la musique. Au contraire, sa musique et sa posture démontre une maîtrise certaine des codes de la pop, décidant de jouer avec les images et les caractéristiques des tubes pour mieux se les approprier. Et il ne faut pas oublier que le prof de musique particulier de Andreas Dorau jouait dans les influents Palais Schaumburg. Pour résumer la démarche du jeune homme, on peut dire qu'il essaie de mélanger des chansons traditionnelles allemandes avec un son de synthétiseur. Le problème, c'est qu'en l'écoutant aujourd'hui, les deux retro se confondent, donnant naissance à une incarnation d'une pop finalement très semblable à ce qui se passe aujourd'hui à l'ère de l'afterop: les différents temps de l'histoire de la musique se mélangent, la chansonette de brasserie rencontre les sons bizarres de synthétiseurs, le tout rendu encore plus sépia par la langue allemande, presque totalement absente de notre répertoire de musiques actuelles. En bon élève, Andreas Dorau joue sur les différentes cordes pop avec un première ligne le tube de "Fred vom Jupiter", vendu à 20'000 exemplaires en quelques mois . Les filles chantonnent nonchalamment un titre improbable, sur une mélodie synthpop facile, des sons de fusées, une voix de robot bien pourrie, et surtout avec un refrain irrésistible ponctué de clappement de mains. Du tube sur mesure mais ce qui le rend particulier, c'est le fait qu'il soit le fait d'une personne qui joue avec les codes du genre pour mieux s'en amuser, on se trouve véritablement dans une appréhension ludique de la musique. Deux vidéos de cette chanson emblématique montre l'évolution qu'elle connaitra en compagnie de l'ensemble de la Neue Deutsche Welle. Dans la première, garçons et filles semblent débarqués sans vraiment être préparé sur un plateau. Tous sentent l'innocence et personne n'a à être une star parfaite et impossiblement belle. C'est tout le contraire dans la deuxième. L'industrie du spectacle a supprimé tout ce que la musique avait de ludique et de sincère. Un décor est planté, des mannequins ont remplacé les copines d'école et exécutent des chorégraphie. Le groupe de potes a lui aussi disparu, Andreas se retrouve tout seul le visage peint. Cette idée venue de la télévison dégoutera pour de bon Andreas Dorau qui s'arrêtera de composer pour quelques années. 


Le reste de BLUMEN UND NARZISSEN est d'aussi si ce n'est de meilleure facture. Cela commence très fort avec "Tulpen und Narzissen". Le roulement de basse, la guitare limpide et le refrain nasillard en font peut-être le meilleure titre de l'album en à peine plus de deux minutes. "Junger Mann" se place au niveau de "Fred von Jupiter". Cette fois, la chanson est construite en duo masculin/féminin avec toujours ce son de synthé, qui rappelle D.A.F. en mille fois moins trash. A noter qu'Andreas Dorau reprendra ce titre en duo avec un autre groupe important de la nouvelle scène allemande: Der Plan. Sur d'autres titres, Andreas Dorau s'essaie à d'autres registres comme le punk mais c'est dans la complainte qu'il assure véritablement. "Nordsee"  embarque des plages sonores bizarres qui finissent par ressembler à un accordéon psychédélisé sur une basse aussi simple que parfaite. "Ernst" et "Alter Maler" sont du même acabis. Le seul reproche à faire à cette réédition est l'ajout comme souvent inutile de six titres bonus, beaucoup plus expérimentaux et beaucoup moins intéressants. Un bien maigre bémol face au fait d'avoir enfin accès à cet album en format CD ou vinyle, trente ans après et alors que même sur l'internet il restait difficile à dénicher. 

andreas dorau - blumen und narzissen (album preview) by experimedia