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20 août 2011

Nox Orae: le beau week–end

Illustration: Mathias Forbach + Charlotte Correia pour le Nox Orae
Huit groupes, deux soirs, plus de mille spectateurs. Et deux énormes baffes. Au total, un formidable inventaire pour cette édition 2011 du festival helvétique Nox Orae. En deux éditions et avec une seule scène, les organisateurs réussissent à placer la barre déjà très haut. Explication plus compréhensible que cette énumération suit.

Les faits d'abord: une cohérence dans la programmation, des choix artistiques risqués, une attention minutieuse aux visuels, poussant l'obsession jusqu'aux bracelets de pass, un sonorisation plus que satisfaisante, relayant complètement les – très – bonnes dispositions des groupes programmés. Voilà, en gros. Un constat: le festival Nox Orae doit subsister dans les prochaines années. Déjà pour toutes ces raisons d'ordres factuelles. Ensuite, parce qu'il concrétise la renaissance quasi miraculeuse du Rocking–Chair, le club veveysan curateur et organisateur de cet open air. Un travail de fond opéré par Joël Bovy et Maude Paley notamment, ces derniers ayant su intelligemment s'entourer pour redonner des belles allures à cette salle qu'on a trop souvent décrite comme maudite, sous ce pont de Gilamont bien trop loin du centre ville comme le prétendent les sceptiques repoussés par l'idée de marcher quoi, dix minutes? Dans même pas une semaine joueront les trop rares The Rapture, en exclusivité suisse pour l'occasion justement, par exemple. Histoire de situer ce nouveau rôle que joue désormais la salle.


A la base, le Nox Orae est donc une soirée extra muros, histoire de célébrer l'été, un peu, et les musiques actuelles, voire pointues, enfin, surtout pointues, avec une audience plus large. Alors que tout le monde musical hurle à la mort, qu'on parle des grands festivals comme de simple raouts,  que Lady Gaga s'impose comme la reine de l'industrie en faisant de la merde, ce qui 30 ans auparavant aurait été impossible, faire le détour sur les quais du Léman remet les pieds sur terre. Qu'on nous accuse de complaisance voire même de copinage; oui, ces gens, tout comme un groupe sur trois programmés font partie de proches de la rédaction de Think Tank. Oui, nous aimons par trop souvent parler des travaux de musiciens de la région, ou d'autres domaines d'ailleurs. Reste que si nous restons les bras croisés, qui d'autre le fera? De l'importance de relayer l'activité locale… Le reste suivra, naturellement.


Les groupes présents à cette seconde édition sont agréablement placés sur un mode faisant ses preuves: deux groupes locaux ou suisses en ouverture, puis un très expérimental ou confirmé, et ensuite du lourd. Ceci sans pour autant prétériter les premières parties, leur accordant suffisamment de place et d'attention pour que tout le monde ait assez à boire et à manger. Wolf & Rhino, de Vevey, ouvre le festival le samedi, avec un rock psychédélique exclusivement instrumental, joué par une formation très jeune, en progression constante. Fai Baba, de Zürich, ici aussi bien dégomme, avec des références communes, entre blues crasseux et grosses parties hallucinatoires. Suit le non moins stupéfiant Connan Mockasin que j'aurai presque zappé cette année si Vevey ne l'avait pas accueilli cette fin d'été. Antoine Tille, membre du RKC, décrivait ainsi le groupe formé autour du Néo–zélandais Connan Hosford: "(…) cet étrange  personnage propose des chansons pop psychédéliques déviantes, dont la durée dépasse souvent les 3 minutes réglementaires sans forcement tomber dans l’expérimental et ses 10 minutes réglementaires". Il y a du Syd Barrett, forcément, un peu d'Ariel Pink et pas mal de germes de beautiful loser dans les mains de ce jeune homme de 28 ans, proposant une musique ambiance fin de règne, d'où se détachent notamment deux morceaux d'exception, à caser bien au chaud dans nos petites mémoires: "Faking Jazz Together" et puis, ô le grand air, "Forever Dolphin Love", titre éponyme et royal de l'album récemment sorti. En dernières réjouissances, les new–yorkais de Crystal Stilts, à la fière réverbe se défaisant des clichés collant à ce style noisy bien trop tendance pour être honnête (Crocodiles au hasard, d'affreux voleurs) pour livrer un bon concert, pas incroyable non plus, la tête haute, le topomètre calé à 150km/h. Ce n'est pas l'Amérique, mais on s'y est presque cru.


Lendemain, météo inquiétante, belle descente aux enfers, c'était presque l'aurore boréale; entre Buvette et Destroyer, une déroute flippante du climat, accompagnant les derniers courageux lors du concert de ceux–ci. Les Canadiens, que nous avions pu voir à l’œuvre l'an passé au festival Heartland de Vevey, possèdent une fan base d'irréductibles. C'est fort, rythmé, glam, amusant, étonnant surtout. Il faut s'y faire, il faut aimer, je n'y peux rien, et pourtant ce n'est pas à cause du saxophone. Leurs aptitudes scéniques et techniques sont suffisamment hors–normes pour être saluées comme il se doit. On reprend dans le bon sens maintenant, avec le deuxième local du festival, Buvette, livrant ici quelques pistes sur un avenir radieux que plus personne se risquerait à remettre en cause. Un featuring avec Kurz Welle, quelques nouveaux titres comme l'excellent "Inner Wars" entourant un premier album anti–rides. Du bon Buvette, même pas perdu sur cette si grande scène pour un artiste solo. Ensuite se produisit le plus que side project d'un des membres des prolifiques Round Table Knights, Labrador City, "une brise d’indie-pop soufflant depuis la Capitale" de notre chère contrée, la Suisse, comme l'affirmait la programmatrice Maude Paley. Ouais, en effet, c'est très suisse–allemand comme rock. On lève toutefois le pouce après une heure de prestation. Voilà, aucun groupe n'a dépareillé durant ce festival: assez peu commun pour le relever. Non seulement les concerts furent excellents, mais c'est toute la configuration de la Nox Orae qui est à saluer. Après bon, c'est un peu une histoire de restaurateur ou d'experts en events, mais pour sûr que le cadre y joue beaucoup. Enlevez leur stade au Celtic de Glasgow et vous retrouverez une bande de péquenots sur un terrain. Sans pour autant être une dream team, les groupes de la Nox Orae formaient une belle famille, affiliation presque naturelle.


On aurait tous dû partir vivre ensemble sur une île déserte, avec électricité tout de même. Enfin, une fois que Electrelane eurent terminé leur chef d’œuvre. Sans doute le groupe le plus attendu, jouant à la tombée de la nuit, entre les gouttes, fraîchement reformé en cette année donc sainte. Electrelane fait partie de ces groupes qu'on craint par tant de talent et pourtant injustement ignorés du grand public. Comme remède, on recommanderait à toutes les radios de préférer enlever une Duffy, une Adele, une Rihana et une Zaz pour y mettre quatre fillettes de bon goût, du nom de Verity, Emma, Mia et Ros, amies d'enfance de Brighton, à la discographie parfaite et au parcours tortueux. Ca ferait du bien à tout le monde et c'est gratuit. Enfin, on veut bien s'engager à financer leur promotion. En 2007, cramé, le quartette finissait sur les rotules une tournée No Shouts No Calls du nom de leur dernier album (un successeur devrait sortir en 2012, sisi). Le Rocking Chair les avait accueillies lors de leur chant du cygne et, quatre plus tard, célèbre leur retour au grand air. Trop beau pour être vrai? Vous n'avez encore rien vu. "Gone Under Sea", de THE POWER OUT (2004) pour ouvrir un concert fantastiquement géré: on finira la tête à l'envers mais pas chancelant. De AXES (2005), l'élégant "Bells" puis "Two for Joy" entrouvrent la porte à la violence sourde du groupe. Et puis on danse timidement sur le splendide "Eight Steps". Nous y sommes: emmené par Verity Susman, véritable cheffe d'orchestre derrière son synthé, c'est tout le groupe qui touche cette chose qu'on appelle la grâce, que si peu de formations connaîtront dans leur carrière, calé, presque en symbiose. Les fleurs du mal, assurément. Ici et là, on remarque des larmes surgir de proches et d'autres. Cette beauté est dangereuse, Electrelane est vraiment hallucinant. En même temps, est–ce que cela étonne encore les connaisseurs? On retombe sur ses pattes avec les plus légers "To the East" (NO SHOUTS NO CALLS) puis "Birds" (THE POWER OUT), classiques des britanniques. On repart pour une série d'uppercuts avec notamment l'excellent post punk "On Parade" (THE POWER OUT),"Blue Straggler" (2001) ou encore "Only One Thing Is Needed" (du même album).


La fin est épique: nous en parlions récemment, Electrelane reprend du Bronki Beat, "Smalltown Boy", fabuleux tube homo de 1984. Autre époque: ces filles attentives à leur cause y mettent le feu; Jimmy Sommerville, c'est bien, mais rien n'est encore gagné semble se dire le quartette. "UOR" chie toujours autant, c'est beau comme sa guitariste Mia Clarke, simple et limpide. Et surtout ça préfigure "The Partisan" de Leonard Cohen, comme il en va depuis longtemps avec Electrelane, acte de bravoure, superbe hommage et morceau épitaphe de Verity Susman, si ce n'est le groupe en entiers d'ailleurs. Mieux encore: en rappel le groupe jouera le bien nommé "I Want To Be The President" (du EP éponyme en 2004). Que dire de plus? Ah oui, quel bien cela fait! Il va sans dire que l'on recommande l'entière discographie du groupe de Brighton à ceux qui les décrouvrèrent ce soir de Nox Orae. Pour les autres, il ne reste plus qu'à attendre une nouvelle tournée. Refaisons vite fait les comptes: ce festival doit vivre encore de longues années, prouvant par une simple équation qu'il a largement sa place et pourrait même sévèrement se voir rapprocher au modèle Kilbi Bad Bonn. Le travail porte ses fruits. Soutenons les choses sincères.