Illustration : Affiche du film de La Piel que habito (détail) / TT |
Ignoré par le jury du dernier festival de Cannes, le dernier film de Pedro Almodòvar met en scène Antonio Banderas dans le rôle d’un chirurgien plastique talentueux et réputé. Cette adaptation du terrifiant thriller de Thierry Jonquet « Mygale » (1984) réunit les différents ingrédients que le réalisateur espagnol affectionne particulièrement : un amour perdu, un suicide, un viol, des déguisements et des expérimentations pas très catholiques.
Pour son dernier long-métrage, Almodovar retrouve son acteur fétiche Antonio Banderas avec qui il avait entamé une collaboration en 1982 avec Le Labyrinthe des passions, un rôle qui lui avait permis de faire figurer Banderas pour la première fois au cinéma. Trente ans après, le voici à l’affiche de La Piel que habito dans lequel il incarne une sorte de Dr Frankenstein cherchant à rendre les êtres humains plus résistants grâce au progrès de la génétique. Dans une ambiance tirée aux couteaux et soutenue par une musique angoissante et magnifique, la première demi-heure nous présente les personnages sans vraiment trop savoir d’où ils sortent. Le film joue sur les retournements de situations, la surprise, et remonte le temps pour permettre au spectateur d’y découvrir l’envers de cette réalité étrange. La ravissante Elena Anaya (déjà aperçue dans Parle avec elle en 2002), incarne la femme qu’il garde emprisonnée dans sa villa et sur laquelle il expérimente de nouvelles lotions pour la peau afin de la rendre plus solide. Les secrets vont petit à petit se briser et la réalité éclater.
Comme dans la plupart de ses films, Almodovar aime s’amuser et l’homme déguisé en tigre qui intervient au début est ce qui démarque le travail d’Almodovar des autres : cette touche de folie hispanique rappelant le surréalisme de ces idoles, tel Buñuel. Même Le Titien fait son apparition parmi les nombreux tableaux qui ornent les corridors de la villa. Le célèbre tableau de la Vénus d’Urbin qui cache son sexe, une œuvre énigmatique, renferme à elle seule plusieurs réponses du film qu’on découvrira au fil des séquences. Tout au long de l’histoire, la peau et le juste-au-corps prennent de l’importance (le déguisement, la peau artificiel de Vera, Vicente qui rhabille un mannequin puis la fille du médecin) jusqu’à devenir une obsession pour le chirurgien qui rafistole son petit bonzaï avec des fers en acier dehors dans son jardin. Le travail chirurgical du médecin sort de son lieu originel, le cabinet, pour pénétrer dans la vie de l’homme et tenter de faire revivre d’une façon interdite et fallacieuse ses proches. La manipulation du corps sous toutes ses formes est au centre du film. Il pousse la réalité au bout de ses limites jusqu’à se demander qu’est-ce qui nous fait aimer les autres ? Une des plus belles acrobaties du film réside dans son final, où Almodovar réussit à apporter une beauté qui tombe de nulle part dans une scène qui a tout pour s’encoubler dans le pathétique.
Pour qui est un grand admirateur d’Almodovar, le film plaira. Il est dans la lignée de ses précédents, plus horrifique par moments, mais peut-être moins puissant et sauvage que d’autres de ces réalisations (Tout sur ma mère ou La Mauvaise éducation). La mise en scène reste extrêmement travaillée et belle (surtout les plans dans les escaliers et le salon de la villa) et il reste un des réalisateurs qui utilise le plus intelligemment le traveling latéral (la scène dans le jardin lors du mariage). Connu pour être un grand cinéphile et pour jouer au jeu des allusions dans ces films, c’est surtout Hitchcock ici à qui Almodovar semble rendre hommage : à l’enfermement de Rebecca (1940) ou de Fenêtre sur cour, mais aussi à la folie de Vertigo ou de Pas de Printemps pour Marnie (1964). Les emplacements de la caméra en hauteur (œil de Dieu) sont des clins d’œil directs au maître du suspens. La Piel que habito est un excellent thriller, très sombre et donc le film plus hitchcockien d’Almodovar ; et bien que le bon rythme du film ne permet aucun creux, il semble que l’Espagnol soit de plus en plus enfermé dans son propre monde, celui des faux-semblants, du déguisement et du rebondissement ultime. Commencerait-on à s’en lasser ?