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06 décembre 2016

Tubes et Mystères : au coin du feu avec La Femme

Illustration: Deshommes
On a beaucoup parlé de La Femme cet été. Trop pour certains. Il était question d’un énième renouveau rock pour la presse française. Et même plus que ça : du « son de la France », du son 2016. La Femme a électrisé les médias, envahit vos newsfeeds Facebook et inondé vos oreilles. Enchaînant trois morceaux dans un style très différent sortis à quelques mois d’écart (Sphinx, Où va le Monde, Septembre), La Femme a vite décidé de brouiller les pistes avant la sortie de son deuxième album Mystères. On en parle avec le groupe.

« Nous savons que maintenant nous évoluons au sein de l’espace médiatique, nous n’avons rien sorti depuis trois ans donc nous savions que la presse allait parler de nous ». Il n’y a aucun effet de surprise pour La Femme et il est tout à fait normal pour eux de devenir aussi populaire que Stromae l’espace d’un été. Enchaînant les gros festivals, des dates aux Etats-Unis, au Mexique et en Grèce ainsi qu’une tournée en première partie des Red Hot Chili Peppers, il est évident que La Femme n’est plus le même groupe qui sortait en 2012 le génial Sur la planche. 

Mais le groupe a travaillé, évolué et décidé de passer à quelque chose de musicalement plus imposant comme le démontre le morceau inaugural de leur dernier album. Sphynx sonne comme un long trip électro en slow motion, rappelant les débuts du groupe mais avec plus d’assurance et de contrôle sur leur musique. Morceau composé en 2014, il s’agit bien d’une « évolution » : « depuis le début nous ne nous interdisons rien, nous pouvons passer d’un morceau techno psyché à un morceau folk médiéval sans problème ». En prolongeant l’écoute, on tombe sur des surprises étonnantes. N’ayant pas radicalement changé leur façon de composer, La Femme avoue qu’il y a plus de « chansons » qu’avant : « on peut chanter à la guitare au coin d’un feu. C’est une facette de la musique qui nous attire aussi ».


« Merde »

Après Sphynx, le groupe s’engouffre vers une suite de morceaux acoustiques rappelant Stereolab voire même le Loaded du Velvet Underground. Il y a une légèreté pop réfléchie, cadrée mais rugueuse, soutenue par une basse éclatante et mélodique. Le Vide est ton Nouveau Prénom, Où va le Monde et Septembre sont une parfaite trilogie, découvrant une facette de La Femme plus douce et romantique. Dans Où va le Monde, tube estival dans lequel la nostalgie des relations humaines saines est évoquée, La Femme se centre sur l’humain : « la phrase "Où va le monde" peut être comprise comme "Qu’est-ce qu’il se passe" ou encore "merde". Cette phrase n’est pas à prendre au premier degré, c’est juste une facette de l’humanité et de l’interaction entre les êtres humains qui est prise en compte ». Quand on leur demande de préciser, ils préfèrent relativiser : « on dit que la vie est compliquée mais cela pourrait être simple, en relativisant ».

Le très beau titre Septembre a été victime de critiques : « on essaye de ne pas répondre même si on en a envie parfois, surtout quand ce que les gens disent n’a aucun sens comme par exemple "Cela manque de rythme", je ne vois pas en quoi cela manque de rythme ». Septembre évoque la peur et le désir, ces émotions communes de la rentrée. Sur un thème simple et universel, La Femme s’emploie aux variations ambiguës d’une jeune adolescente craintive. Dans ce bijou pop se trouve l’ADN du disque : refléter une situation et la transformer musicalement. Chanson simple, du niveau de Elle ne t’aime pas, le groupe refuse le mariage entre la simplicité et le tube : « Plus le riff est débile et plus la mélodie reste dans la tête, plus cela a un potentiel de toucher beaucoup de monde et d’être un tube ; c’est un principe. Mais ce n’est pas le principe d’une bonne chanson, car il y a des bons tubes et des mauvais tubes ».


Vagues de tubes

Oui, en effet. Mais ce que La Femme ne semble pas voir dans son propre "corps", c’est cette (immense) qualité de composer des « bons » tubes qui sont de vraies chansons. Septembre en est le meilleur exemple car il n’est pas juste un riff, mais un vrai titre générationnel, simpliste et évocateur d’une musique pop qui réalise qu’il est encore possible de vivre de mélodies, de mots simples et d’espoir. Une sorte d’histoire qui se répète, comme quand on leur demande quelles sont leurs influences : « Elles vont de l’abstrait au surréalisme en passant par le classicisme et le post-modernisme, pour n’évoquer qu’un pan de nos influences ».

Mystères peut devenir un grand disque. Il faut lui donner du temps mais il n’est pas impossible qu’on s’en souvienne comme aujourd’hui on réécoute le 666.667 Club de Noir Désir. C’est un album réussi avec une dose nécessaire d’élégance. Il virevolte avec le passé (la drague, l’enfance, l’école) et le futur (Où va le monde) et questionne le présent (notamment dans le très beau Vagues : Tu regardes les vagues bleues / qui se brisent à l’horizon / Et tu penses à ceux qui reviennent / et qui s’en vont). Cet album n’a pas la prétention de donner des leçons. La Femme s’est construit(e) tout(e) seul(e), en refusant les labels et les agences de booking, en étant mis à l’écart par un système qui préférait opter par l’éphémère et le réduit. 

Aujourd’hui, le groupe traverse une période grisante et qui fait d’eux l’un des plus beaux objets musicaux de l’année 2016. Critiqués par le passé pour des prestations live peu rassurantes, ils auront à cœur de confirmer toute la beauté qui se trouve dans leur disque jeudi soir aux Docks de Lausanne (et le lendemain à Lyon tiens !). Trois ans après leur passage devant une quarantaine de personnes éparpillées, ils reviennent jeudi face à une salle comble et ultra avertie. Le groupe n’aura qu’à confirmer. Sur la planche.