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25 octobre 2016

Les éditions de la Marquise

Illustration: Léa Meier (gauche) et Constant Bonnard (droite)
Lancées en 2016, les éditions de la Marquise rafraichissent l'édition de livres locale. Ne se situant ni dans les codes du livre artistique ni dans ceux des maisons d'éditions traditionnelles, ces deux premiers livres prennent toute leur force de leur texte et de leurs illustrations. La disparition de l'homme à la peau cendre, écrit par Auguste Cheval et illustré par Constant Bonnard, offre l'humour et le suspense d'un polar autant aventureux que glandeur, où le plaisir vient de l'amitié et des anecdotes partagées. Les Immortelles, de Louis Bonard et illustré par Léia Meier, explore lui différents mythes dans un style à la fois lyrique et charnel, mais surtout d'une liberté d'écriture dont la force n'entrave en rien la qualité. Inès, qui s'occupe des éditions et du travail de sélection et d'édition des textes, répond à nos questions.

Peux-tu présenter en quelques mots la ligne éditoriale de ton édition ? Qu’est ce qui va te décider à publier un texte ou non ? Par exemple, pour les deux premiers livres que tu as sortis, qu’est-ce qui a fait clic pour toi ? 
Inès: Les Éditions de la Marquise publient des livres faits de textes et d’images. La nature de ceux-ci peut être multiple, il n’y a pas de volonté de s’enfermer dans une prédéfinition rigide qu’il faudrait à tout prix respecter mais plutôt de rester ouvert à différentes propositions et d’évoluer au gré des collaborations. C’est la substance du projet, sa qualité, son intérêt qui guident les choix. La création de la maison d’édition a été concomitante de la lecture de deux textes qui sont devenus les premiers livres des Éditions de la Marquise. Par un de ces heureux hasards, je réfléchissais à lancer un projet personnel dans le domaine de l’édition au moment où deux amis m’ont chacun fait lire un texte qu’ils avaient écrit et que j’ai tout de suite beaucoup aimés. De discussions en décisions, les Éditions sont nées. Nous avons beaucoup échangé, avec les auteurs, les illustrateurs, le graphiste et l’imprimeur, avant d’arriver au projet final. Beaucoup de décisions ont été prises en commun. 

Il y a-t-il une logique de proximité et donc une volonté de publier ceux que tu côtoies, de leur offrir cette première opportunité ? 
Oui, tout à fait. Il est important pour moi de travailler à dimension humaine et de sortir de la logique de production à tout va qui prédomine aujourd’hui. Je ne souhaite pas faire des livres sans les lire, sans rencontrer l’auteur, en n’échangeant que par e-mail, comme cela m’est déjà arrivé par le passé. La rencontre, la discussion et l’échange revêtent une grande importance dans le processus de création et permettent de s’assurer que tous les intervenants vont dans le même sens au cours de la collaboration. De l’extérieur, le monde de l’édition peut paraître mystérieux. Pour cette raison, il arrive assez régulièrement que des gens que je connais ou que je viens de rencontrer viennent me parler d’un projet, d’une idée, d’un texte qui dort dans un tiroir. Je peux alors les conseiller, les orienter vers quelqu’un ou, si le projet m’intéresse, leur proposer une collaboration. Pour les deux premiers livres, et pour les projets à venir déjà en cours, cela s’est passé de cette façon. Ce qui me réjouit, car il y a tellement de gens talentueux ici que c’est tout à fait cohérent de rester dans cette logique de proximité, et de se nourrir mutuellement. Ce n’est cependant pas un critère sine qua non. Si un projet plus lointain surgit, la géographie ne doit pas être une entrave ; les moyens de communication actuels permettent une collaboration à distance. Mais, dans l’ensemble, je souhaite rester dans la proximité et privilégier le contact humain direct, à partir du moment où le projet me parle. 

Les deux premiers livres comportent de nombreuses illustrations. Quelle est leur importance à tes yeux et comment sont-elles élaborées ? Est-ce un schéma que tu souhaites voir perdurer ? 
L’idée de départ est la collaboration : la rencontre entre le créateur d’un texte et celui d’images. L’intérêt est de faire se rencontrer deux univers et voir comment ils peuvent se nourrir l’un l’autre. La façon dont la jonction se fait et l’œuvre qui en résulte peuvent être très différentes, selon les souhaits et sensibilités de chacun. Le lien entre le texte et l’image est exploitable d’innombrables façons, c’est ce qui fait sa richesse et son intérêt dans l’acte de création. Pour les deux premiers textes, j’ai d’abord eu les textes, puis les auteurs ont chacun choisi leur illustrateur, qui était un.e de leurs ami.e.s. Ils ont travaillé en binôme, de façon indépendante. Les dessinateurs ont lu le texte, s’en sont librement inspirés, puis, avec leur auteur, ont choisi ensemble les dessins et leur emplacement. Cela s’est fait naturellement et a très bien fonctionné. Pour un livre à venir, j’ai d’abord rencontré l’auteure, qui m’a fait lire son texte. Elle n’avait personne en tête pour les illustrations, je l’ai donc mise en contact avec quelqu’un à qui son texte m’avait immédiatement fait penser. Il est aussi récemment arrivé que je voie des images avant le texte. Dans ce cas précis, l’artiste produit son texte et ses images ; c’est également une configuration possible. Il n’y a pas de schéma prédéfini mais vraiment, pour rejoindre les deux questions précédentes, une envie de laisser les projets venir à moi, au gré des rencontres comme cela s’est fait jusqu’à maintenant, en discuter avec leurs auteur.e.s et voir si l’envie de les concrétiser ensemble est là, d’un côté comme de l’autre. Peut-être qu’un jour une proposition de texte sans images me séduira, je ne ferme pas la porte à cette éventualité, mais j’aime l’idée d’œuvre globale. A priori le dialogue entre le texte et l’image restera le fil rouge des publications. 

D’un point de vue un peu plus terre-à-terre, quelles sont les difficultés que tu rencontres pour distribuer les livres ? 
Les difficultés se situent à deux niveaux : la capacité à réellement atteindre le marché et, par conséquent, le lectorat ; et le risque de se noyer dans la masse. En tant que maison d’édition débutante, il est difficile d’approcher un distributeur avant d’avoir un catalogue comportant un certain nombre de titres. Par ailleurs, le distributeur, comme chaque intervenant de la chaîne du livre, doit être rémunéré pour son travail. Une marge sur le revenu de la vente des livres qu’il réussit à placer en librairies lui est allouée, ce qui est normal. Néanmoins, pour une petite maison d’édition, le bénéfice des ventes, une fois déduites toutes les charges, est si mince qu’il est difficile de ne pas être à perte. Ou alors, il faudrait augmenter le prix de vente des livres, ce qui n’est pas une solution. D’un autre côté, au niveau logistique il est très difficile que les livres d’un éditeur soient disponibles dans toutes les librairies de Suisse romande sans qu’un travail de distribution professionnelle soit fait. Or, la vente en librairies est essentielle pour atteindre un public large, qui va au-delà de notre cercle de connaissances. C’est un véritable dilemme. Et puis, pour la Suisse romande, le bassin de lectorat est plutôt réduit. Se pose donc aussi la question de toucher le reste de la francophonie. Mais dans ce cas, trouver un distributeur à l’étranger est relativement compliqué, et la quantité de publications peut vite noyer le livre d’un petit éditeur romand… Les meilleurs moyens d’atteindre le public restent de multiplier les événements, que ce soient les vernissages, lectures, soirées festives, ce qui demande un engagement en temps considérable de la part des auteurs pour une activité non rémunérée, et le bouche à oreille. Pour le moment, nous comptons là-dessus pour vendre nos livres et avons eu beaucoup de retours positifs, ce qui est réjouissant. 

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