Illustration: Oriane Chaussard |
Ridley Scott aura 78 ans le 30 novembre prochain. Il atteindre bientôt le double de l’âge qu’il avait lorsqu’il réalisa Alien, le Huitième Passager. Désireux de retrouver cet univers, Scott a tenté de lancer il y a cinq ans un reboot de son long-métrage désormais culte ; décevant pour certains, Prometheus n’a pas eu l’effet escompté, à savoir donner les réponses aux multiples questions qui entourent la saga Alien. Après le très raté Exodus, Ridley retrouve les décors d'un vaisseau, d'étoiles et d'une planète inhabitée. Malgré son apparence de blockbuster qui crachent des dollars, Seul sur Mars se démarque par son cynisme, sa légèreté et sa double-lecture que nous tenterons d’analyser modestement dans ces quelques lignes. Car The Martian (Seul sur Mars en anglais donc) n’est rien d’autre qu’une allégorie de la production d’un long-métrage de cinéma. Tentative de discours cosmique et non-scientifique.
Le scénariste est un Martien
Mark est seul sur Mars. Trouver le moyen de faire pousser un potager sur une terre stérile n’est pas à la portée de tous. Il faut donc se creuser les méninges pour continuer d’exister. Cette théorie est celle du scénariste ; il faut travailler la création, il faut cultiver ses idées pour les rendre vivante. C’est le propre de tout artiste, qu’il soit peintre, musicien, écrivain, dessinateur, sculpteur ou réalisateur. Mark trouvera un moyen de faire pousser des patates dans la terre rougeâtre de Mars grâce à la matière fécale de ses confrères (gardée dans une sorte de grand composte). Elle servira d’engrais. Ce coup de génie lui permettra de faire naître son projet premier : se nourrir. C’est donc sur Mars, avec des selles, de la terre et une formule magique (et incompréhensible) pour fabriquer de l’eau que Mark Watney réussit son premier exploit. Seul et sans l’aide de personne, avec/dans sa propre merde, la première étape (celle de l’écriture, de la conception) a débuté. L’idée est là, il faut maintenant l’exploiter. Un scénariste/créateur est né.
Durant les jours/minutes qui suivent, nous suivons Mark qui explique aux différentes GoPro de surveillance de la station comment il projette se nourrir pour les 400 jours qui lui font face (le temps qu’il a calculé avant un probable retour d’une nouvelle mission). C’est une période longue et parsemée de petits et grands problèmes : la confiance en soi, l’espoir, le manque d’inspiration. Mais le plus dur reste à venir. Alors que Mark s’apprête à rentrer collecter ses légumes martiens, le sas de décompression explose dû à une fissure dans la toile du tunnel. La petite base est désintégrée et toutes les plantations que l’astronaute avait précieusement cultivées sont gelées et anéanties. C’est la destruction du travail, le retour à zéro, la folie créatrice. Le pire est à venir puisque cette catastrophe rend le temps encore plus court, et donc plus précieux. Il faut ainsi trouver de nouvelles solutions pour rentrer dans les délais : survivre jusqu’à l’arrivée des secours.
Le cinéma est un univers que la Terre croit diriger
Du côté de la Terre, c’est le grand n’importe quoi : que peut-on faire pour sauver quelqu’un qui se trouve à plus de 50 millions de kilomètres ? Doit-on risquer un équipage de 5 personnes pour tenter de sauver une vie ? Suivant la politique de transparence, la Nasa ne peut pas cacher l’erreur dont elle est responsable : avoir laisser une personne en vie sur Mars. Paradoxalement, c’est avec soi-même qu’on progresse le mieux semble vouloir dire le film (Mark seul sur sa planète trouve de meilleures idées que 10'000 hommes sur Terre). Sur la planète bleue, les confrontations d’opinions battent leur plein et le directeur de la Nasa (incarné par le brillant dumberien Jeff Daniels) prend des décisions drastiques : construisez une sonde, faites-la partir d’ici 15 jours, « Je ne veux rien savoir ». Daniels compose un rôle digne d’un producteur hollywoodien : il donne des délais, ordonne de les respecter, se présente comme le capitaine du navire. Ses décisions seront contournées lorsque les astronautes à bord du vaisseau de retour vers la Terre décideront de retourner aller chercher Mark Watney sans en informer leurs supérieurs.
Le cinéma est un univers que la Terre croit diriger. La Terre, c’est Hollywood : les Etats-Unis, la force dominatrice et sûre d’elle, là où l’argent se trouve, où le star system sévit. Une des plus belles images du film est celle du président des opérations spatiales chinoises proposant son aide aux Etats-Unis. Les deux unions s’unissent et Ridley Scott souligne fièrement cette alliance avec l’œil satyrique du Britannique : les américains sont dépendants de l’aide chinoise et grâce à eux, la voie du sauvetage s'éclaire. Le vaisseau transportant les astronautes sera propulsé grâce à l’orbite terrien, métaphore qui fonctionne : c’est Hollywood qui envoie un émissaire vers son scénariste, afin de ramener un symbole sur ses terres et d’en faire un monument - un film.
Regards britanniques
Mais au-delà d’une lecture liant la production hollywoodienne à une mission spatiale, Ridley Scott réussit son nouveau long-métrage à ne pas tomber dans le grand n’importe quoi gargantuesque et tient là un objet extrêmement efficace et bien ficelé. Sans doute que le film ne suit pas les réalités scientifiques, sans doute que la grande partie des dialogues n'ont aucune véracité astronomique, et alors ? Et bien que l'usage de la 3D reste totalement inutile, Scott relève un défi de taille : séduire un public large ainsi que celui des cinéphiles en proposant un faux huit-clos spectaculaire et honnête.
Alors qu’on craignait un Interstellar bis, Scott s’en sort mieux que Nolan : là où ce dernier ripostait avec des envolées intellectuelles et philosophiques plus lourdes que vingt Jupiter, l’aîné britannique reste sur un discours simple qui contient toute sa saveur : la première séquence est – sur le point dramatique – parfaitement maîtrisée et extrêmement attractive. Des rôles à contre-emploi au casting, une prise de risque pas si ridicule avec l’emploi d’une bande-son qui fait la part belle (et comique) à la musique disco (sans parler de l’inclusion géniale du générique musicale de Happy Days lorsque Mark compte ses jours). Et surtout, The Martin n'impose pas un grand méchant. Bien qu'il y ait des conflits entre les protagonistes, jamais le réalisateur ne délivre une pathétique scène de méchant jaillissant de nulle part pour contrecarre les plans des "gentils". Encore une fois (et je crois que ça en devient pathologique), Nolan était tombé dans les toiles du piège que seuls les James Bond osent encore se satisfaire (et encore).
Jusqu’au bout, Ridley Scott tient son objet vierge de tout artifice inutile qui viendraient enrayer la belle machine qu’il dirige. The Martian n’est pas un chef d’œuvre de science-fiction. Ce n’est pas un film qui restera dans les annales. Mais le réalisateur anglais parvient avec son 23ème long-métrage (!) à garder une honnêteté digne des plus grands, avec franchise, respect et ironie.