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01 juin 2015

Essuie ces larmes sur ton torse : Ciara, Young Thug et Rich Homie Quan

Illustration: Manuela Soto
Alors que le royaume des hits les plus inventifs de 2014 était dominé par des duo, 2015 s’annonce comme une année post-séparation. Les princes (Young Thug et Rich Homie Quan) et reine (Ciara) hip hop et r’n’b continuent désormais leur quête en solo, chacun armé.e à sa manière : un phrasé saccadé, une voix cristalline ou des cris de canards. 

Rich Homie Quan, Young Thug et Ciara possèdent en tout cas trois points communs. 1 Ils viennent tous les trois d’Atlanta, ville d’Outkast et du crunk. 2 Ils posent tous torse nu sur la pochette de leur dernière production. Pour Ciara, cela donne un profil assis, une main venant cacher le sein. Young Thug se tient lui debout la tête baissée et les mains posés sur un pénis dont semble sortir le titre de l’album, tandis que Rich Homie Quan ricane bêtement allongé sur un tapis avec son boxer tommy hilfinger qui dépasse. Mais il a le droit, c’est une mixtape. Et 3, ils se sont tous éloignés de leur acolyte respectif en 2015. 



Ciara et Future formaient ainsi en 2014 un couple de haute caste, rassemblant l’ancienne princesse crunk devenue reine de la sensualité avec le titre "Body Party", et l’aspirant chevalier, celui qui a redéfini la façon d’articuler son flow entre le romantisme de "Honest" et les mitrailles de "Sh!t". Une union qui n’ira jamais jusqu’au mariage et n’a pas donné lieu à beaucoup de titres en commun. Désormais sans Future, Ciara revient avec un nouvel album JACKIE reprenant le nom de sa mère. Disons le d’emblée, cet album s’inscrit dans la catégorie musique pour diffusion de masse à l'américaine et reste difficile à écouter d’une traite, certains titres dégoulinant autant qu’une chanson officielle de coupe du monde, comme l’horrible "That’s how I’m feeling" avec le featuring lui aussi digne d’hymne de Mundial : Pitbull et Missy Eliott. Mais il faut savoir mettre cela de côté (évitez aussi "Fly" et "Stuck on you") car Ciara, dans ses meilleurs moments, restent une des meilleures artistes r’n’b actuelles. JACKIE étant un album qui se veut maternel, ses titres se révèlent moins sexuels et beaucoup plus tendres que par le passé. Le paroxysme est atteint avec la belle ballade "I Got You" débutant par la voix du bébé de Ciara avant de partir sur une chanson portée par une guitare acoustique, un piano et quelques violons. Mais il n’y a pas que de la tendresse dans JACKIE, certaines chansons expriment plutôt l’épanouissement jouissif de l’indépendance. Dans ce registre, on préférera la pop mélodique de "Kiss & Tell" au revival crunk mal maitrisé de "Jackie (B.M.F.)". Mais la pépite de cet album se trouve dans la chanson qui aborde frontalement la rupture : "I Bet". Dans une production r’n’b très classique, Ciara parvient à faire cohabiter une maitrise vocale avec une émotion à fleur de peau sidérante. Le titre aborde la rupture avec Future, renforcée encore par les backing vocals du producteur Theror Thomas rappelant volontairement le phrasé de Future. Avec sa beauté sombre et ses larmes séchées, "I Bet" s’affirme comme une des plus belles chansons de rupture de ces dernières années. 



Pour Rich Homie Quan et Young Thug, difficile de parler de rupture ou de larmes. Si ce n’est pour moi-même face à cette fin trop rapide d’une collaboration qui se savait éphémère et a donné naissance à une mixtape indispensable : RICH GANG TOUR PART 2. Chacune de leurs collaborations fait partie des meilleurs titres de 2014 comme "Mamacita" avec l’autre grand talent de cette génération, Travis Scott. En attente d’une éventuelle nouvelle collaboration, Rich Homie Quan sort donc une mixtape, IF YOU EVER THINK I WILL STOP GOIN’IN ASK RR, résolument en mode solo, aucun featuring ne figurant ici. Ce qu’il y a de bien avec les mixtapes, c’est que c’est gratuit et foisonnant ; ce qui l’est moins, c’est que parfois 20 titres cela fait un peu trop. Sur ces derniers, un seul tube : "Flex" réinvente le flow de "Type of way" en se nourrissant d’une production plus pêchue à la sauce bay area, sous forte influence DJ Mustard. Sur cette ligne musicale finalement assez simple et plutôt lente, Rich Homie Quan met à l’amende les Rae Stremmurd et autres suiveurs, en prouvant qu’il reste le meilleur en ce qui concerne les flow saccadés, capable de donner une mélodie faite d’accélération et d’à-coups tapant toujours justes sur un titre promis à faire s’envoler les chemises cet été. Le reste des titres joue sur des cordes plus sensibles, voir carrément tendres. Si l’attention s’avère ici moins directement acquise, les chansons n’en sont pas moins irréprochables. Mais si "Doing It" ou "Forever Millions" obtiennent la mention très bien, elles n’atteignent pas l’intensité des titres de Rich Gang. 




De son côté, Young Thug prend tout le monde par surprise en sortant un véritable album, BARTER 6. Et alors qu’on pouvait s’attendre à quelque chose d’un peu foufou étant donné le style de Young Thug, BARTER 6 s’avère extrêmement posé, doux et pensif. L’exercice de l’album est pris très au sérieux et aucune chanson ne tombe dans la facilité. Au contraire, tout y est écrit, construit et déconstruit avec finesse. Youg Thug y brille par sa technique vocale, beaucoup plus singulière que celle de Rich Homie Quan. On pense au meilleur Lil Wayne, mais se permettant encore plus de choses. Young Thug a fait des cris indescriptibles, de canards, de chats ou de Pikachu sa signature sonore et pousse la maitrise de cet art au point de faire figure de Mariah Carey des cris animaliers. Dans BARTER 6, ces derniers sont utilisés comme un instrument supplémentaire, venant accentuer différents moments de façon imprévisible. La grande qualité de cet album est ainsi d’avoir su, malgré son aspect posé et maitrisé, produire cette impression que pour chaque chanson on ne sait pas à quoi s’attendre. Chaque écoute se fait alors attentive à la surprise et aux détails de construction. Pas de vrai tube, mais le truc à la fois le plus barré et le plus séduisant du hip hop actuel. Même si on regrette toujours l’excitation et la fraicheur du Rich Gang, des titres comme "Check" et ses basses à enterrer des épaules, "Dome" sombre et strident, "OD" héroïque de tristesse ou encore la mélancolie accélérée de "Just might be" nous le ferait presque oublier.