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26 mai 2015

Héros muet et mères porteuses : Mad Max, Fury Road

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Illustration: capture d'écran, Mad Max : Fury Road
Mad Max est un film culte du début des années 80. Puis, c'est devenu une série de long-métrages tout aussi populaires que les Star Wars (dont le premier épisode est sorti deux ans plus tôt), du moins pour le public américain. Sorti en 1979, le premier opus rend célèbre Mel Gibson et fait la part belle à un genre particulier au cinéma : les courses-poursuites dans un film de science-fiction, ou plutôt « film d'anticipation ». Que restait-il alors à exploiter en 2015, soit plus de 30 ans après la création du héros des sables ?

Le réalisateur australien George Miller ne compte sur son CV pas grand chose d’autre que les Mad Max, si ce n’est le cochon qui parle, Babe, produit par les studios Disney. Sa première (et seule ?) réussite avait été celle de cette histoire irréaliste d’un flic à bord de son véhicule, traversant les déserts  afin de faire régner l’ordre et de combattre les bandes de pirates alentours. Les déserts représentent notre monde dévasté par une tempête de sable qui détruisit toute construction humaine. La raison de cette guerre chaude est simple : on recherche de l’eau et du pétrole. Dans Mad Max : Fury Road, Miller résume en moins de temps qu’il ne faut les trois derniers épisodes de la saga. Nous sommes en effet plongés dans un superbe plan d’ensemble, extrêmement soigné, dans lequel la caméra se ballade au sein du cadre en suivant un lézard à deux têtes. Cette ouverture rassurante, précise et extrêmement bien construite est une leçon d’efficacité scénaristique. Car tout se trouve là, devant vos yeux.

De l’intimiste au spectaculaire
Cette séquence d’ouverture a deux objectifs : faire rentrer le spectateur dans la diégèse (l’action du film) sans que celui-ci se pose de questions et présenter les protagonistes principaux de l’histoire. La séquence 1 se compose de deux scènes : la scène 1 (présentation du héros) et la scène 2 (course-poursuite). La « présentation du héros » est celle que nous avons présenté ci-dessus : il s’agit en somme de deux plans : un plan large et un plan poitrine

Capture d'écran, Mad Max : Fury Road

Le plan large dévoile un homme sur une colline devant sa voiture. Les deux « objets » tournent le dos au spectateur et c’est un petit reptile à deux têtes qui, au premier plan, attire le regard. Celui-ci va se déplacer petit à petit pour se retrouver écraser sous le pied de l’homme. Une coupe : nous passons au plan poitrine, toujours de dos. Le raccord son se fait par le bruit du lézard déchiré par les dents de l’homme : il est en train de le déchiqueter. Petit à petit, il se tourne et on aperçoit une face barbue, méconnaissable. L’homme prend tout à coup l’initiative de reprendre le volant de son véhicule alerté par un son qui provient de derrière lui (et donc du spectateur). La voiture démarre en direction de l’horizon. La caméra ne bouge pas, s'élève légèrement, et le sable vole à l'écran avec qu'une bande de fous-du-volants apparaît à l’image, poursuivant notre homme. Dans la scène suivante, une course-poursuite voit notre personnage se faire attraper.

En présentant le personnage de cette façon, Miller nous donne du mystère et des réponses : bien qu’il y ait de fortes chances que ce personnage soit Max – le héros – nous le découvrons petit à petit : d’abord de dos, puis de façon synecdotique avec sa voiture ; il est celui que l’on pourchasse. Avec en tout une dizaine de répliques dans le film, Tom Hardy (aka Max) n’a pas eu besoin de souffleurs pour ses prises, et sa seule phrase complète et importante sera sa dernière : « My name is Max ». Comme dans tout film de super-héros, celui-ci devient l’emblème, celui qu’on va suivre ou contre qui on va se battre. Ces actions seront appliquées une fois seulement que son nom est prononcé. De cette manière, Miller joue en contrepoint avec cette règle classique. Il est durant tout le film « l’idiot » qui guidera les « porteuses » vers l’Oasis luxuriant. A la fin, Max s'en ira, en extrême plongée, le regard en direction du spectateur.

Anges des sables
Rempli de scènes d’actions plus spectaculaires les unes que les autres, il fallait à ce long-métrage quelque chose de plus séduisant pour que nous nous y intéressions. C’est justement grâce à deux logiques paradoxales que ce film est une réussite : comment mettre de la douceur dans un film de bagnoles post-apocalyptique ? Dans ce trop-plein d’images spectaculaires et sur-rythmées, une perte des valeurs s’effectue : tout le monde tente de survivre alors que tous sont déjà à moitié morts. Par la symbolique du véhicule, personne ne peut s’arrêter car l’immobilité est synonyme de mort. En bref, il est interdit de se reposer. Ce repos se lit ainsi pleinement dans le rythme extenué du long-métrage et de l’idée principale imaginée par le réalisateur : s’arrêter et discuter c’est tuer le rythme. Refusons-le.

C’est alors qu’entre en ligne de compte le clou du spectacle : une touche de fraîcheur dans ce monde de testostérones. Alors que tout était fait pour qu’on craigne la figure féminine incarnée par la séduisante Charlize Theron (même sans cheveux), celle-ci devient remarquable dans son rôle de la fugueuse désireuse de libérer les « mères porteuses » du diabolique Immortan Jon. Elle symbolise ainsi, au côté de ces autres femmes, la dernière possibilité de vie pure et d’amour. Bien qu’extrêmement caricatural, le principe fonctionne et Miller côtoie de cette manière les meilleurs réalisateurs pop-corn contemporains, de Matt Reeves, J.J. Abrams à - plus haut - Tarantino. Mad Max : Fury Road  n’est ainsi pas juste un ramassis d’actions bien torché mais se trouve être un véritable film d’auteur à hisser au niveau des plus grands classiques de science-fiction.