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02 avril 2015

Speaches: mars 2015

Maulde Cuérel pour Think Tank
Illustration: Maulde Cuérel
Un tour d'horizon mensuel opéré par la petite rédaction de Think Tank, c'est la garantie de passer d'un registre à un autre, d'un disque à une exposition, d'une grosse surprise à une hypothétique confirmation, ce sans transition, parfois avec un peu de mauvaise foi, mais toujours avec honnêteté et enthousiasme. Un mois de mars qui voit le dernier film d'Inarritu doublement à l'honneur, alors que les anciens (Eastwood) et d'autres revenants éternels (Björk, Koons) semblent faire de vieux os. Et attendant le nouveau Spotify vendu par Jay Z…


LA CREME DU MOIS

Julien Gremaud: l'exposition de Ramin Haerizadeh,  Rokni Haerizadeh et Hesam Rahmanian à la Kunsthalle Zurich
Il y avait un petit air de biennale au premier étage de la Kunsthalle Zurich. C'est un peu comme si l'arrivée de Daniel Baumann au poste de directeur de l'institution en lieu et place de Beatrix Ruf avait insufflé un air de conscience et de radicalité du côté du Löwenbrau. ”Slice A Slanted Arc Into Dry Paper Sky” présente ces trois artistes iraniens pour la première fois en Europe et il fallait s'accrocher. Exilés désormais à Dubai, ils exposent et superposent des travaux produits sur place, des oeuvres d'artistes en vue tels que Nicole Eisenman issus de leur collection privée, marquent les courbes de l'espace à coup de fresques murales, créent un plancher somptueux et projettent une série de films. Un Work in progress (à voir en images ici) où les frontières entre genres, cultures, langues, rôles ou encore droits d'auteur s'estompent. A voir jusqu'a 15 mai 2015. Nous y reviendrons.

Colin Pahlisch: Morges, le génie du lieu
Il y a des situations qui révèlent un potentiel caché. Une ville, par exemple, du fin fond de ce qu’on connaît, de ses routines, de ses ratés, ses déroutes. Morges, un de ces lieux, justement. On vous appelle, pour un remplacement. Vous y allez, sans savoir. Et là, ça se révèle, c’est ardu, mais ça se passe bien. Et l’accueil est lumineux, comme l’eau sur le lac. Un petit coin de Ramuz juste à portée de mirettes et de synapses. Ça fait du bien.

Raphaël Rodriguez: Black Zone Myth Chant, MANE THECEL PHARES 
Avec une grosse référence au livre de Daniel (dans la Bible, donc), le ton est donné: Mane Thecel Phares (Compté, Pesé, Divisé) tracé sur le mur pendant une orgie par une main soudainement apparue, vient annoncer au roi décadent de Babylone, Balthazar, le couperet qui va tomber sur lui. Sorti sur Gravats, le label fraîchement établi par Low Jack, cet album, le deuxième de High Wolf (déjà affilié avec Not Not Fun) sous l'alias Black Zone Myth Chant a l'air de tout sauf d'une production 100% française. Psyché dans tous les sens, c'est l'une des sorties les plus excitantes entendues ce début d'année. Juke chan-mé, trip à l'acide aux références afro; zéro limites pour zéro ennui. Le pulse lent et un peu doom de MANE THECEL PHARES a des airs de bande-son chopped and screwed pour un voyage initiatique un peu craignos. D'ailleurs, TT invite Black Zone Myth Chant en live avec Low Jack ce 15 mai pour la deuxième soirée Entourage (au Romandie de Lausanne).

Maxime Morisod: INHERENT VICE
Le premier roman de l’américain Pynchon adapté à l’écran ne pouvait rêver mieux. Film très parlant, bourré de petits trésors de mise en scène, Paul Thomas Anderson réussit son œuvre discrète, littéraire et loufoque le tout sans extravagances. Un vrai grand film d’auteur-s.

Pierre Raboud: Drake, IF YOU READING THIS, IT’S TOO LATE
Avec une apparente facilité, Drake sort une nouvelle mixtape un an après son très réussi NOTHING WAS THE SAME. La mixtape permet à Drake de jouer à la fois dans le plus personnel mais aussi dans des chansons moins abouties, plus légers. Et sans même y avoir intégré ses récents titres inédits comme "0 to 100", Drake réussit facilement à multiplier les tubes. Ce sans lasser. "Legend", "Energy", "Now Forever", "Know Yourself", "Star65". Après trois mois, Drake est déjà parti sur un bon rythme.


LE PETIT LAIT DU MOIS

Julien Gremaud: le premier numéro de Society
Le groupe de presse français So Press nous avait habitué à sortir un nouveau – et excellent  – magazine par année. « Après le football, le vélo, le cinéma et les enfants, So Press s’attaque désormais au marché des ”newsmags”, avec un ”quinzomadaire” » nous apprend-on. Pas mal d'effets d'annonce et de néologismes pour annoncer un titre ”en liberté”, créé par des gens qui « se marre(nt) à l’idée de traiter certains sujets ». On espère que ce premier numéro décevant – charte graphique douteuse, des statistiques, des brèves et des infos socioculturelles vues et revues, des gros dossiers au timing douteux (Tinder), un énième interview politique (avec ici Fillon), un horoscope décalé – fasse exception et que l'inspiration et l'originalité s'invitent pour la suite; cependant, on se demande si Society n'est pas le titre de trop pour un groupe qui avait pourtant dépoussiéré un paysage médiatique ronronnant. A suivre…

Colin Pahlisch: La défaite d'Eastwood 
American Sniper aurait dû l’avoir, cet oscar du meilleur acteur. C’est dit. Ça s’assume. Ça a été mal compris. Ce qu’a fait Eastwood, c’est décrire l’idéologie d’un conservateur américain moyen à partir d’un phénomène de société. Illustrer sans expliquer, rien de plus : à son habitude. Million dollar baby déjà c’était une traversée, un truc intime. Même chose ici. Eastwood ne juge pas, il montre : c’est un naturaliste. Sa pédagogie tient au fait qu’on doit faire l’effort de comprendre, que rien n’est donné, ou plutôt que tout est montré sous les atours du préjugé, de la vulgate. Percer les a priori, même le jury n’y est pas arrivé. Preuve qu’il faudrait les renouveler ces vieilles têtes grisonnantes. Tant pis. So long, Clint.

Raphaël Rodriguez: Tidal
"Last night, a crack team of pop stars assembled to announce the launch of Jay Z’s music streaming service, then sign some kind of document in solidarity, then quote Nietzsche". Dans un article un peu optimiste pour FACT, le journaliste Andrew Friedman raconte la conférence de presse de Tidal, le nouveau service de streaming lancé Par Jay-z. Une grosse rimbambelle de stars un peu plantées là en mode vitrine, pas vraiment d'annonces et des promesses un peu floues (et de quoi lancer une jolie série de nouveaux memes). Dans un contexte où les ventes de disques, physiques comme digitales, sont au centre de tensions importantes et nécessitent une réflexion intense, le streaming doit, à juste titre, être partie intégrante du processus. Jay-Z promet une rémunération correcte pour les artistes et une flopée choses sympa comme du hi-hfi et un "curating" de qualité. On verra. Ce dont on est sûr, pour le moment, c'est que l'abonnement de Tidal est deux fois plus cher que son principal concurrent (Spotify), que l'interface ressemble diablement à ce même concurrent et que The Haxan Cloak accuse Jay-Z de plagiat pour la bande son du teaser de Tidal. Pas top comme départ pour un business qui veut changer les règles. Accessoirement, une preuve de plus que, même si ces promesses sont tenues, c'est pas les petits artistes indépendant qui en bénéficieront, malgré la street cred ce que ces mecs-là tentent de se refaire.
                                                 
Maxime Morisod: EXODUS (et PROMETHEUS)
Avec du retard, je me suis fait le dernier Ridley Scott, Exodus Gods and Kings sorti pour Noël 2014. Quel misère. Alors que ce type de film devrait permettre de transmettre au spectateur une sorte de bonheur enfoui d'enfant devant un grand spectacle, le film enchaîne mauvaises batailles, dialogues affligeants, une narration extrêmement faible et surtout une absence totale de dramaturgie. Comment en 2015 des films aussi moisis peuvent-ils voir le jour ? Comment un mec comme Ridley Scott (qui enchaîne le bon et le très mauvais) peut-il encore accepter de faire parler ses comédiens dans un anglais amérciano-hollywoodien-west-coast quand les décors sont des pyramides, du sable et le tout sous l'oeil de Ramses II. A côté de cette horreur, La Passion de Mel Gibson est un chef d'oeuvre (d'ailleurs, je pense que c'est un sacré bon film pour être honnête), mais surtout, il a osé redonner un peu de "vérité" à un film spectaculaire. Quand on voit dans la première séquence Ramses II et Moise parler comme s'il était dans un bar de Sunset Boulevard à trinquer des Buds, je suis à deux doigts de me promettre de plus regarder ce type de long-métrage pour les 20 prochaines années. Et pourtant... J'ai revu Prometheus (qui m'avait beaucoup plu au cinéma), histoire de relativiser mes premières joies. Etonnamment, ça fonctionne malgré les centaines d'erreurs scénaristiques et la fin qui ne raconte rien, le faux prequel d'Alien fonctionne dans sa progression de l'horreur, la dominance féminine des deux héroïnes du film (derniers personnages à mourir) et les décors grandioses qui contiennent cette oeuvre de science-fiction réussie.

Pierre Raboud: Jeff Koons à Beaubourg
Cette exposition représente un petit lait qui n’est pas sans provoquer une forme de fascination. Il y a les œuvres dont le jeu sur le kitsch et l’exubérance d’un art contemporain triomphant de luxe paraissent aujourd’hui datées. Mais c’est peut-être ce dernier aspect qui les rend presque intéressantes d'un point de vue historique. Surtout le rapport au public représente une expérience des plus intéressantes. L’appropriation du kitsch populaire marchait peut-être déjà, avec ironie ou non, avec les acheteurs californiens des années 2000. Il prend un nouveau souffle actuellement. On est loin des accusations de pornographie et d’art vulgaire qu’avait suscitée l’exposition à Versailles. Les immenses cœurs, les homards, les ballons de basket et les chats sont entre temps devenus de parfait arrière-fond pour selfies.


LE PAIN SURPRISE DU MOIS

Julien Gremaud: La rétrospective et l'affaire Björk au MoMA
C'est l'entrée ”petit lait x pain surprise” du mois; un cocktail explosif qui est en train de véritablement défragmenter le monde globalisé de l'art moderne et contemporain. Celui que l'on appelle "The Art World's Truman Capote" ou ”Herr Zeitgeist”, Klaus Biesenbach, commissaire associé du MoMA, directeur de sa branche contemporaine, le PS1, et grand ami des stars, se retrouve au centre d'un fiasco et d'une grosse polémique autour de sa personne et de sa positon comme sur un piédestal qui ne devrait pas durer. Il n'en fallait pas plus pour que les nombreux observateurs d'un musée qui se veut irréprochable sortent leurs armes. C'est tranchant, et on ne sait pas ce qui va déboucher de ce montage en épingle. On vous recommande ce savoureux article de l'excellent site Hyperallergic intitulé ”What Happened” ainsi que cet article très documenté (mais avec certaines sources non vérifiées) d'Artnet pour saisir l'ampleur de la débâcle. 

Colin Pahlisch: Birdman, le film qui déçoit en (vraiment) bien.
Il était évoqué partout, mentionné partout, loué (presque) partout. Et il le mérite, c’est vrai, il faut pas cracher dans la soupe. Le Birdman d’Inarritu sait séduire avec panache, avec ses (deux, ou plus ?) plans séquences, et la plongée qu’il offre dans le quotidien rêveur et angoissé d’un acteur has been qui gratte pour remonter sur scène. En prime le film présente l’ultime pied de né ironique constitué par ce Bird qui hante les pas de Michael Keaton, premier Batman (celui de Burton), et dont la voix rauque parodie furieusement le dernier (celui de Nolan)… pour l’intertexte, et l’humour, quand même, chapeau !

Raphaël Rodriguez: CARGAA1
Le label Principe, basé à Lisbonne, est l'un des vents les plus frais à souffler sur la musique électronique en ce moment. Leur marque de fabrique: Kuduro électronique et rythmes angolais versus fonctionnalité club - souvent aux limites du bon goût- mais avec une vraie grâce. Et surprise, voilà que sort sur Warp la première de trois compilation avec plusieurs d'entre eux (DJ Niggafox, Dj Marfox, etc). Décidément, Warp se dirige vers des musiques plus syncopées, avec une autre sensibilité pop. C'est cool et surtout, c'est plus deep que Future Brown. Espérons juste que Warp, en popularisant cette vague d'artistes, ne fasse pas oublier le label qui les porte.

Maxime Morisod: Birdman
Oubliez les récompenses et les critiques, regardez l’image : Birdman est esthétiquement une réussite dont la qualité de mise en scène ne connaît que peu de concurrents aujourd’hui. Plus qu’un exercice de style, la dernière réalisation d’Innaritu est un beau discours sur l’art du spectacle, celui du théâtre, des comédiens et du cinéma.

Pierre Raboud: Kingsman : The Secret Service 
Alors que le trailer ne laissait prévoir qu’un énième film d’action et d’espionnage cheap, Kingsman est bien plus que ça. C’est un énième film d’action et d’espionnage où le divertissement devient délice. Ici pas question de prétentions géopolitiques ou de densités psychologiques de gentils et méchants. Tout n’est que fun mais qu’est-ce que c’est bien réalisé et qu’est-ce que cela fait du bien. Ce n’est pas si surprenant quand on c’est que derrière ce film il y a un comic de Mark Millar, déjà responsable de Kick Ass. Le film joue avec les codes du genre mais sans jamais tomber ni dans la citation ni dans le retro. Les méchants zozotent, les têtes explosent en feu d’artifice et y a même un carlin trop mignon.