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19 janvier 2015

Se soumettre ? La question posée par Michel Houellebecq

Illustration: Pierre Girardin

On l’entendra de plus en plus : le dernier roman de Michel Houellebecq est une provocation. Mais que, ou qui, provoque-t-il ? On aura dit : l’Islam. Parce que son roman parle de l’Islam ? Parce qu’il parle des musulmans ? On a dit encore : c’est le plus beau cadeau offert aux identitaires de tous bords, aux extrêmes et aux « blocs ». L’auteur s’en est démenti publiquement : il n’y a rien d’extrême dans son récit. Quoi alors, des faits ? Quelle est cette « soumission » dont on nous rabâche qu’elle excite un climat politique déjà sulfureux ? Proposition.


Voilà pour l’amalgame

« On entre dans un mort comme dans un moulin » disait un certain Jean-Paul Sartre. Et dans un vivant ? Dans un auteur vivant ? Vis-à-vis de l’œuvre de Michel Houellebecq, les critiques et les journalistes s’obstinent à passer par la même porte, à buter sur une question, réitérée à l’occasion de la sortie de Soumission (Flammarion, 2015) : Mais ce personnage que vous décrivez, c’est vous ? C’est vous, n’est-ce pas ? « Je sais pas, je sais même plus » a répondu l’écrivain récemment, laconique face au présentateur d’une chaine française, mal à l’aise comme un Bernard Lhermitte qu’on aurait arraché à l’ombre humide de son caillou pour l’exhiber à la lumière et le forcer à avouer. Il ne s’agit pas non plus de plaider l’innocence totale: le détachement est aussi une feinte, un tour d’ethos, une ruse de posture. La posture, c’est ce que l’auteur d’un livre dit et montre de lui-même en tant qu’auteur, fait savoir publiquement de son statut d’artiste et d’écrivain : une façon de se mettre en scène. Elle influe, bien sûr, sur la manière de lire, sur la réception du texte. Houellebecq, et son éditeur, sont trop malins pour ne pas le savoir. La carte de l’amalgame est coutumière dans son jeu médiatique, et ce dès ses premières armes. On a vu dans Extension du domaine de la lutte (1994), chronique de la défaite sexuelle d’un informaticien de bureau, un journal intime désabusé ; dans La Possibilité d’une île (2005), parce que l’auteur était allé s’entretenir avec des Raëliens, un plaidoyer personnel pour la venue des Elohim... Cette confusion entretenue roman après roman, et au-delà des controverses cherchant avec hargne (et en fonction d’un bizarre besoin inquisiteur) à rabattre l’auteur sur son narrateur, a (re)trouvé chez le romancier Emmanuel Carrère, une formulation plus pacifiste. Houellebecq serait notre « contemporain capital ». Loin de diaboliser l’homme, ce critère assignerait simplement à l’artiste une sensibilité telle qu’il s’avère capable de saisir avec une rare acuité, par le choix de ses sujets d’écriture, les enjeux de notre présent. En d’autres termes, si Houellebecq fait scandale, c’est parce qu’il fait mouche. C’est ce filon-là, peut-être, qu’il faut explorer. Ce qui n’empêche pas la littérature d’être aussi un commerce. On crie au scandale, donc on vend. Il faut juste être au courant, accepter l’un avec l’autre, et l’écrivain le sait. À la solde de l’édition française à gros tirage, l’amalgame entre auteur et narrateur peut rêver à de longs lendemains. Le flegme de Houellebecq n’apparaît alors que comme une manière honnête, quoique lucide, de répondre à l’acharnement des critiques.


Les affections des baromètres

C’est donc avant tout sa littérature qui fait de Houellebecq un contemporain si capital. Si les avis se déchainent, c’est que la question posée par Soumission frappe juste, mais aussi, qu’elle est pertinemment posée. Sans entrer dans les détails, le roman relate l’histoire de François, professeur à l’université Paris III (Sorbonne-Nouvelle) auteur d’une thèse sur Joris-Karl Huysmans, écrivain neurasthénique et désabusé du XIXème qui a finit, las d’espérer la paix sans l’obtenir ici-bas, par se convertir au catholicisme. Tout comme son auteur de prédilection, François vivote et s’emmerde. Ses cours l’assomment. Ses collègues sont des coincés ou des parasites. Il ne baise même plus ses étudiantes, sinon la sublime Myriam pour laquelle il se surprend, occasionnellement, à éprouver un sentiment. Notre protagoniste vit pourtant une époque troublée : on est en 2022. Le Front National est le parti politique le plus puissant de l’Hexagone. François Hollande, réélu en 2017, est sur le déclin. Le communautarisme religieux essaime et fleurit. Pour contrer la victoire prévue de Marine le Pen au second tour de l’élection présidentielle, le PS et l’UMP se rallient à un nouveau Parti, la Fraternité musulmane, pour porter au pouvoir son candidat, l’ambitieux et avenant Mohammed Ben Abbes. Et la France devient une terre d’Islam. S’en suit une série de réformes radicales : les femmes cessent de travailler. La polygamie est autorisée et plébiscitée. De colossaux capitaux venus des pétromonarchies du Golfe extirpent la France de la crise. Les Saoudiens rachètent la Sorbonne. Les professeurs, et de même tout fonctionnaire du domaine public, sont contraints à la conversion ou à la démission. Le pantouflard François se trouve alors placé devant un choix draconien.

On a beaucoup écrit sur les protagonistes de Houellebecq : hétérosexuels lambdas et blasés, apologues de la mollesse, badauds désabusés contemplant leur monde (notre monde) se précipiter vers l’abysse. Ces héros présentent cependant une qualité essentielle, corollaire de cette indifférence placide : ils révèlent ce qui les entourent. À leur insu, leur capacité d’imprégnation rend d’autant plus saillant au lecteur le fil des événements qu’ils traversent, la dynamique propre du récit. Cette spécificité est particulièrement exploitée dans ce sixième roman. Le tour de force narratif consiste ici en une manière de transcrire le cours des choses, de rendre perceptible le mouvement du temps, palpable la société dans sa transformation, à partir d’une conscience singulière. Son caractère banal y est sans doute pour quelque chose. Au regard de ses désirs,  de son ennui, de sa recherche de confort, François touche en ce qu’il pourrait être n’importe qui (« François », d’ailleurs, c’est tout bonnement l’archaïsme de « Français »). C’est un médiocre, au sens de « moyen » : ni plus haut, ni plus bas qu’un autre, au milieu. Ses aspirations, comme celles de nombreux protagonistes du même auteur, convergent vers une tendance assez uniforme à la recherche du bien-être, et ceci, quelle que soit la place occupée par chacun d’eux sur l’échelle sociale. Au niveau narratif, cette récurrence déjoue la pertinence de ladite société à garantir l’accès au bonheur par des critères définis : qu’on soit informaticien, généticien, professeur de littérature, le réel est le même pour tous. Il n’y a pas d’issue individuelle. François et ses comparses fonctionnent comme des buvards, des baromètres : entités recluses dans des vie monochromes, outils de révélation des milieux dans lesquels chacun baigne, et des modifications qui traversent ce même milieu. Il n’y a pas de préférence. « Il faut que tous les personnages aient raison », déclarait encore l’auteur dans l’entretien cité. Houellebecq peut bien ainsi dépeindre les aléas de leur quotidien : repas, rencontres et préférences sexuelles. C’est une politesse, un souci d’hôte qui nous accueille dans son salon, nous présente le mini bar, et pourquoi pas soulève aussi la jupe de la maîtresse de maison pour nous montrer ses jarretières. L’intérêt n’est pas là, ni peut-être l’ambition de sa littérature. On n’y prend plaisir, quand même, c’est un autre confort. Hurler à l’impudence, à l’assassinat de la morale, au racolage littéraire, en parcourant les déboires matrimoniaux et autres défaillances intimes de François, (et peut-être de Michel dans L’extension, de Daniel1 dans La Possibilité) n’est pas seulement inutile : c’est incohérent. Malgré le burlesque, le voyeurisme calculé, c’est manquer la cible, mésestimer la distance. Se méprendre sur le point de vue. La tectonique des plaques se moque des états d’âme du sismographe.


L’Islam, du point de vue de la géologie

Ce qui ne veut pas dire que Houellebecq soit relativiste, ni qu’il dénigre l’individu, entendons : le lecteur. Il lui ménage simplement un espace de réflexion alternatif, l’invite à prendre du recul. Soumission prolonge une réflexion amorcée dès La Possibilité (remontant peut-être même aux Particules... (1998)). Elle consiste à débusquer parmi les problématiques contemporaines un enjeu aux conséquences potentiellement bouleversantes (au sens d’une reconfiguration sociale radicale) et à lui fournir une intrigue qui en permette l’expérimentation romanesque jusqu’à des degrés extrêmes : dans La Possibilité, le clonage, dans La Carte et le territoire (2010), le monde de l’art, dans Soumission, la religion. C’est bien le fait religieux en général qu’exploite le roman (celui-là même dont on lit partout qu’il fait son grand retour) et dont l’Islam est une déclinaison, une tendance parmi d’autres. Sa spécificité, cependant, lui est conférée par la place et le rôle auxquels l’Occident l’a réduite : celui d’épouvantail, de Grand Autre, de bouc émissaire. La réflexion menée par Houellebecq rappelle qu’une société se définit d’abord par ce qu’elle refuse, ce qu’elle choisit de rejeter. En cela, il est ce « contemporain » qui devine ce qui veut être caché, indique les blessures et éprouve les sutures. Lui, d’ailleurs, se garde bien des amalgames et évite d’associer intégrisme et religion modérée. L’Islam qu’il décrit est celle de tous les jours, de l’homme du commun, de ces « n’importe qui » de la pâte desquels il modèle ses héros. On l’aura compris : pas de quoi affûter les canines de Marine.

De même, Houellebecq n’allume pas gratuitement des polémiques. Son travail répond à une vision d’artiste. Celle-ci touche aux espoirs qu’il est permis à l’homme de nourrir dans la société moderne au regard de l’accomplissement de ses désirs, de son bonheur, du genre humain et de l’au-delà. Les trois derniers romans de l’écrivain, au moins, évaluent cette question au fil d’une perspective nouvelle : celle de la démesure. Elle confronte ses héros  à l’impossibilité de saisir un monde qui les déborde inexorablement. Ainsi, dans Soumission, François doit fuir Paris et ses émeutes islamophobes. Il patiente au fin font du Lot, département campagnard et paisible, et au cours d’une promenade, contemple un paysage et soumet au lecteur la description suivante : « La Dordogne coulait en contrebas, encaissée entre des falaises calcaires d’une cinquantaine de mètres, poursuivant obscurément son destin géologique. La région était habitée depuis les temps les plus reculés de la préhistoire, appris-je sur un panneau d’information pédagogique ; l’homme de Cro-Magnon en avait progressivement chassé l’homme de Neandertal qui s’était replié jusqu’en Espagne avant de disparaître » (p.134). Ce type de description contribue à donner de l’individu une image neutre. Elle écrase sa singularité, réduit l’homme à une espèce parmi d’autres. Comme les couches calcaires ou le lit d’un fleuve, les êtres humains se déplacent, forment des strates, élèvent des villes comme des monticules de limons, puis s’évaporent. À cette échelle, l’étatisation d’une religion n’est qu’une variante de plus, un nœud ou un creux d’eau dans le lignage du fleuve. Placé à cette distance, le « scandale » d’un roman, ou d’une caricature, cesse d’exister. Traiter la religion en « fait » implique une conception proprement géologique de l’histoire, qui passe par l’effacement de l’homme comme « unité ». C’est à un tel regard que nous confronte Houellebecq. Que l’Islam en vienne dans dix ans, à la faveur de la démographie ou des intrigues politiques, à occuper le rang de première croyance européenne n’est qu’une étape comme une autre, un moment, un moyen dans la continuation globale de la présence de l’être humain sur la planète. Houellebecq ne livre pas un brûlot politique, mais une méditation esthétique sur le temps. Son François, gourmet et débonnaire, se laissera gagner par cette quiétude. Celle-ci berce l’ensemble du texte, scandée doucement par les verres de boukha, les réflexions littéraires et les plats libanais. Porté par la neutralité et l’indifférence du héros, le roman parvient à refléter, exercice philosophique notoire, le sentiment de la durée. « Ce n’est pas la littérature qui fait bouger l’Histoire », déclarait encore Houellebecq. Peut-être, mais sa plume à le mérite de nous ouvrir à sa « tendre indifférence ».


Corps et cahots

Le clonage, l’art et le religieux sont autant de manières de placer la destinée humaine à une autre échelle que celle, impulsive et frénétique, promue par le rythme de vie contemporain. De multiples façons de creuser une distance pour l’œil, c’est-à-dire de comprendre l’individu comme genre commun, dans l’interdépendance qui l’unit à ses semblables. Mais la critique de Houellebecq n’est pas sociale. Le style y prime  sur l’engagement. Le cadre et l’angle, sur l’investissement politique. C’est une représentation. Si la critique s’arrêtait là, pourtant, quelque chose cahoterait. On refoulerait les couacs et les fausses notes qui entravent l’accès douçâtre et sans bavures à la quiétude millénaire de l’angle géologique. Ce serait même, omission gravissime, laisser de côté l’humour.

Aussi contemplatif et malléable soit-il, le héros houellebecquien n’en possède pas moins un corps. Ni transcendance, ni pure extase : il pisse, se gratte et saigne. Dans le roman, les moments où ce décalage se fait jour sont salvateurs. Ils entachent le mysticisme, glissent des gravillons dans la socquette du pèlerin. Le rire, comme chez Beckett, naît de la dislocation entre les aspirations à l’infini par lesquelles se laisse aspirer le protagoniste, et cette mortalité à laquelle est rappelé. Enveloppé par l’ivresse de ressentir, derrière lui, toute la culture du Moyen-Âge se presser et embraser par-delà les siècles une statue de la vierge, François est saisi par la révélation...qu’il n’a rien avalé depuis la veille, et tombe dans une crise d’ « hypoglycémie mystique » (p.169). C’est un exemple parmi d’autres. L’ironie dont Houellebecq est un si fin praticien est la forme du rire que permet son entreprise d’écriture. Elle s’insinue dans les lézardes de son édifice narratif, profite de ces écarts, de la discontinuité entre les aspirations grandioses de l’homme et ses mésaventures « bassement » physiques. Tout en affirmant la nécessité du fait religieux comme consolation pour l’individu moderne, esseulé et apeuré face à la férocité du néolibéralisme, la distance que Houellebecq travaille dans son œuvre prend aussi l’aspect d’une dédramatisation, d’une vulgarisation, d’un dépouillement de cette « magie » qui auréole la religion. La conversion après tout, qu’elle soit prononcée en arabe, en hébreux, en français, en chinois, en tibétain, c’est une phrase rituelle apprise par cœur. L’hostie reste un morceau de pain. Houellebecq nous suggère que le véritable obstacle à la communion, de nos jours, est à chercher moins dans un doute de la foi que dans l’intolérance au gluten.


Qui se soumet ?

En définitive, à quoi nous soumet la lecture du roman de Houellebecq ? D’abord, à la réalité du religieux comme fait, c’est-à-dire à la croyance collective, et à son entretien par des rites arbitraires, qu’il existe quelque chose « d’autre », une intelligence millénaire qui règlerait le mouvement du temps, par-delà les galaxies et les âges. Au religieux comme « effet » surtout, comme soulagement, comme douceur, comme abdication de la volonté critique (parce qu’après tout, comme le souligne François : « l’intellectuel en France n’avait pas à être responsable, ce n’était pas dans sa nature » (p. 271)), comme tentation en somme, aussi bien individuelle que collective. Soumission n’est pas ainsi, chez l’écrivain, une traduction du mot « Islam ». C’est le nom que porte cette forme bien particulière de vertige apathique, teintée de mysticisme, jouant sur la peur de la dégradation du corps et de la mort, par lequel l’humanité pourrait être séduite, au-delà des clivages Est-Ouest, Orient/Occident, Front national ou gauche prolétarienne. L’Islam n’en est qu’une variante. Le hasard veut seulement qu’elle occupe actuellement le devant de la scène publique. Houellebecq n’essentialise pas, ne fustige pas, n’accuse pas. La force du roman consiste à poser le problème et à le laisser en suspens. Faut-il que le chômage disparaisse au mépris des droits de la femme ? Le prestige académique et intellectuel d’une civilisation doit-il faire l’impasse sur la libre-pensée ? Cette « soumission », si finement présentée par la négative dans le texte, c’est-à-dire, du point de vue de quelqu’un qui s’y laisse happé, questionne chez l’individu l’abandon libre de toute révolte, de toute volonté de questionnement, les raisons d’un refus de réconciliation avec le monde. Un refus dont l’acte d’écriture est peut-être l’ultime preuve (le dernier recueil de poèmes de Houellebecq s’intitulait d’ailleurs Non réconcilié (2014), ce n’est pas un hasard ; idem du personnage de Daniel25 dont la réflexion ultime, dans La Possibilité, consiste en un morose : "j'étais indélivré"). Le fait religieux, comme l’art et comme le clonage, est une manière d’envisager l’apaisement collectif des frustrations et des craintes personnelles, de s’y laisser couler, d’en illustrer l’idée.

Dans ses modes de narration, ce sixième roman interroge peut-être avec davantage de finesse la possibilité des comportements sociaux de produire de l’autre, du vraiment autre, du « neuf » ou du différent . Il n’y a rien de mal à ça, Houellebecq est écrivain avant d’être moraliste : il ménage des espaces et les ouvre à l’évaluation du lecteur. Ce faisant, tout de même, il agit (on oserait même dire qu’il s’engage). Lui, ne se réconcilie pas. Après, c’est à chacun de voir. La soumission est sans rancunes. 


À moins que...

Il y a tout de même une autre forme de fêlure, qui court entre les lignes, et suggère cette production du différent indique une issue personnelle autant que collective. C’est un échappatoire que le roman n’exploite pas, parce que le religieux comme « fait » l’ignore fondamentalement : l’amour d’un autre être de chair et d’os. Une deuxième chance, une « sortie du tunnel » (c’est le sous-titre de la thèse du personnage de François). Le thème de l’amour apparaît furtivement au fil du texte, rapidement éclipsé. Comme une annonce ou une promesse, répétée également au fil des autres romans de l’auteur. Houellebecq ne lui a pourtant jamais vraiment consacré un roman à part entière (à moins qu’ils ne le soient tous ?). S’il s’est refusé à le soumettre à l’optique géologique, c’est probablement qu’il ne lui résisterait pas : ce n’est pas le bon angle. À bien des égards l’amour apparaît pourtant comme la possibilité de cet « universel singulier », de cette différentiation au sein même de l’être clos et du social cyclique. Une manière plus humble, moins coercitive, de rejoindre l’infini ? Il y aurait à en dire, mais ce n’est pas ici la place.

On peut entrer dans un texte par n’importe quel bout. Certains sont plus poreux que d’autres, et fuient de tous les côtés, c’est une autre force du roman de Houellebecq : résister aux réappropriations lapidaires. L’angle aménagé par l’œuvre, il suffit de s’y plonger un peu, ne peut pas être articulée sur une considération politique uniforme. N’en déplaise au FN et à la publicité. Le choix de son sujet, c’est un autre aspect « capital », nous renvoie à notre propre considération de la religion musulmane et renforce le devoir de nuance et d’étude, d’un côté comme de l’autre. Houellebecq a réussi à se placer au carrefour des polémiques, sans y toucher vraiment, de là, encore, son habilité narquoise et flegmatique. Sa question « géologique », il ne nous l’adresse pas en tant qu’athées, juifs, musulmans ou chrétiens, mais en tant qu’espèce commune. Faut-il se soumettre à ce qui nous séduit mais nous sépare ? à ce qui nous rassure, mais nous isole ? En cela, peut-être, oui, c’est un romantique, un rêveur en tout cas.


Ce roman marque aussi une autre étape sur le chemin propre de sa littérature. L’auteur explore une possibilité de sortie parmi d’autres, une voie de réconciliation entre l’être humain et le monde, puis en bon ethnologue, nous livre son constat. Maintenant c’est à notre tour : Soumission n’est pas une prophétie politique, c’est un programme poétique. Houellebecq n’a pas encore écrit son grand roman d’amour.


Colin Pahlisch