Illustration: Enrico Boccioletti (spcnvdr.org) |
La notion d’authenticité, en terme de registre émotionnel, fait partie des normes récurrentes de l’expression artistique. Pour la musique actuelle, comment cette quête peut-elle exister ? Les copier-coller, les citations et la notion même de format semblent en effet devoir rendre son expérience impossible.
L’authenticité constitue en soi une notion problématique. Aux croisements de la culture et des sentiments, elle renvoie à la sincérité de l’auteur et fétichise une mythique production artistique pure et première (nous n’abordons pas ici l’autre signification de cette notion en tant que capacité à déterminer l’origine). Or la sincérité demeure impossible à déterminer et repose souvent de perception élitiste de la culture dénigrant les cultures populaires. Au fond, qu’est-ce qui nous permet d’affirmer que Rihanna serait moins sincère que le groupe qui répète dans une cave ? Certains argueront le fait que Rihanna n’écrit pas elle-même ses propres chansons. Mais est-ce vraiment ce qui importe dans la musique ? Ou est-ce plutôt la performance ?
Au fond, l’authenticité désigne avant tout une caractérisation construite culturellement et souvent utilisée comme argument de vente. A l’instar de la tradition, elle est inventée. Elle construit un mythe d’une création pure et naïve, délivrée de toute arrière-pensée commerciale ou de prestige. Malgré leur caractère factice, l’authenticité et la sincérité restent des valeurs dominantes et continuent d’être recherchées dans la pop. La structure actuelle de la production musicale, impliquant d’un côté une segmentation de la production entre producteur, compositeur et chanteur pour des produits distribués massivement et de l’autre un usage généralisé des instruments digitaux, semble devoir rompre avec toute prétention naïve à une authenticité dans une époque où le fait que Stan Marsh soit Lorde se révèle finalement une hypothèse presque crédible.
La pop devient alors une performance d’une sincérité candide forcément factice où l’authenticité se retrouve d’emblée formatée mais cherche néanmoins à produire des coups de cœur. Ceci peut par exemple être recherché à travers un usage volontairement low-fi des moyens à disposition, revendiquant l’aspect fait-à-la-maison-mon-ordinateur-sur-le-ventre-tout-en-mangeant-des-dragibus. L’idée est ici de faire entendre formellement une musique toute en candeur, une balade pop naïve ne pouvant naître que dans ce dernier royaume de la personnalité que constituent la chambre et son ordinateur. On retrouve aujourd’hui cette logique de façon spectaculaire au sein du projet/label PC Music. Ce dernier propose sur un site une majorité de morceaux gratuitement. Le point commun des différents morceaux réside d’une part dans une production minimale, volontairement brut, rendant l’impression que ces titres ont été véritablement écrit par un-e adolescent-e, copiant et s’appropriant des parties de telles chansons, utilisant des instruments basiques sur garageband, dans des registres allant de la pop électro à la euro-transe. Leur second point commun est d’autre part une volonté pop assumée, cherchant des mélodies immédiatement catchy, sûrement stupides, délicieusement adolescentes et mielleuses au possible. On se trouve donc en permanence à la frontière du mauvais gout, ce qui explique la propension de PC Music à être clivant, possédant autant de défenseurs transis que de haters convaincus. Et on ne sait pas vraiment à qui donner raison.
Là où réside l’intérêt de ce label est dans sa capacité à jouer avec la notion d’authenticité, oscillant en permanence entre facticité esthétique et émotions naïves. Prenons leur égérie Hannah Diamond. Les trois titres que cette dernière a sortis ont tous été accompagnés par des portraits d’elle extrêmement léchés. La pop sud-coréenne joue ici un pôle de référence évident, transposant ce qu’elle a à la fois de dérangeant et d’enfantin pour les non initiés. Hannah Diamond se présente ainsi en même temps comme un produit marketé et une jeune fille innocente. C’est surtout dans sa musique que ce sensible alliage est réussi : sa voix enfantine, ses mélodies insouciante et ses petits coeurs naïfs vont sauter sur leur lit et se dodeliner ceux et celles prêts à s’en amouracher. Mais sa voix laisse en même temps planer le doute sur sa réalité, son côté aigu et les effets fréquents qui lui sont ajoutés pouvant faire croire que comme chez SOPHIE il s'agit d'une voix masculine modifiée. Hannad Diamond aborde également cette tension entre facticité et authenticité dans ses paroles en chantant: "I don't wanna be a mp3" sur Keri Baby. Il résonne dans sa musique quelque chose d’authentiquement émouvant, un coup de cœur irraisonné et fervent. L’autre tête de liste de PC Music répond au nom de Danny L Harle et est responsable de deux comptines pop des plus entêtantes avec "Broken Flower" et surtout "Aquarius (Luna Remix)" où une voix féminine vient entonner des papapa entrainant et les synthés se font des plus simples pour à nouveau faire ressentir l’amour. D’ailleurs Danny L Harle l’aurait écrit pour l’anniversaire de sa copine et le remix utilise un sample de son chat. On ne sait pas si c’est vrai mais cette anecdote est emblématique de PC Music et de l’authenticité pop post-digital : les émotions les plus spontanées peuvent encore se réaliser, ce même dans les mises en scènes cliché de l’individualité. Ce qu'entreprend encore une autre membre du label dès son nom GOTY pour Girlfriend Of The Year. Mentionnons pour finir QT le projet mené en parallèle entre AG Cook de PC Music et SOPHIE: cette fois la facticité est explorée de façon plus directe avec la création d'une entité apparaissant parfois sous forme de fille parfois sous celle de canette: "I feel my hands on my body everytime you think of me".