MUSIQUE      CINEMA      ARTS VISUELS      LIVRES      POP LUCIDE      POST DIGITAL

04 décembre 2014

Les Urbaines 2014

Illustration: visuel officiel des Urbaines, Maximage

Antipop les Urbaines? A travers deux séries de conversations avec les programmateurs musiques et d'arts visuels du festival lausannois, état des lieux de cette nouvelle édition pleine de promesses qui vient d'ouvrir ses feux. Les Urbaines, ce sont trois jours et autant de nuits de festivités aux confins des arts scéniques et visuels. Pas mal d'esbroufe pour certains mais aussi un souffle bienvenu dans un paysage consensuel pour (bien) d'autres. Rencontre avec les deux nouvelles entités curatoriales du festival, partie musique pour la presque doyenne Tamara Alegre qui accueille le petit nouveau Samuel Antoine, partie arts visuels avec mj, offspace genevois portants sur les nouvelles esthétiques plastiques.


Les musiques des Urbaines

Il s'agit de votre première année de collaboration en tant que programmateurs de la partie musique des Urbaines, aviez-vous un peu d'appréhension? 
Tamara Alegre: J'ai senti plutôt de l'excitation pour notre collaboration et notre défi ensemble aux Urbaines. Un peu d’appréhension peut-être parce que Christophe Jacquet, l’un des programmateurs insolite, excentrique, surprenant et pointu quittait l'équipe. Mais Samuel et moi nous connaissons depuis un moment, on a déjà collaboré aux Urbaines dans d'autres fonctions et surtout on connaît les goûts de chacun, même si on se surprend toujours l'un l'autre ! Je dirais qu’on est complémentaire. Chacun aime ce que l’autre programme, même si on propose des choses différentes. Au début du processus, il n'y a pas de direction clairement définie. On prospecte chacun de son côté, en suivant son intuition, sa passion, ses goûts. Puis on communique, on échange, on réfléchit, avec Patrick (de Rham directeur des Urbaines, ndlr), on regarde si les projets retenus ont leur place aux Urbaines.

Vous êtes-vous donnés des directions claires ou plutôt de grandes lignes directrices?
Samuel Antoine: Oui, il n’y a pas de directions claires à la base, si ce n’est les impératifs qu’on se fixe et que le cadre des Urbaines nous fixe. Parce que la ligne des Urbaines est quand même assez claire et exigeante: des projets émergents, innovants, souvent performatifs voire transdisciplinaires. C’est donc ces critères, plutôt que des critères stylistiques, qui ont donné la direction de notre programmation. Maintenant, comme l’a dit Tamara, on suit nos goûts, nos intuitions. Pour l’appréhension, non, pas vraiment. Enfin... si, mais maintenant, maintenant que le festival est juste là. Le stress classique, quand on espère que tout va bien se passer.

Parlons de la programmation plus spécifiquement. On pourrait parler des musiques et non pas de musique, tellement les spectres sont variés et singuliers. Quelles sont ces dimensions?
Tamara Alegre: Dans mes choix on retrouve beaucoup la dimension performative: un live-installation avec MSHR, qui nous place au milieu d'une sorte de post rétro-futurisme, ou à l'intérieur d'un jeu vidéo; un concert-projection avec Black MIDI, très visuel; un rêve utopique autour du moyen-orient avec DUBAIS, pour lequel elle a recruté des gens d’ici; le live de Labanna Babalon, musicienne-performer qui affirme explosivement son anatomie féminine et sa sexualité... Je peux encore citer Bongoleeros, qui feront une apparition remarquée au marché le samedi matin, en plus de leur concert… J’ai du mal à définir une ligne. Je pense qu’on prend des risques, on essaie de capter ce qui est frais, osé dans l’actualité musicale. Dans le cadre d’une musique électronique, pop, expérimentale, performative, E+E, qui vient avec un chanteur, résume assez bien ça. Il a un univers très personnel, créatif.

Une chose est sûre, c'est que le public peut donc souvent plonger dans l'inconnu n'est-ce pas?
Samuel Antoine: Une des lignes de la programmation, c’est peut-être justement de choisir des artistes qui ont une originalité importante, qui ont un univers à eux, un son à eux. Il y a tellement de choses interchangeables, complètement vaines parce qu’uniquement des redites de choses mille fois entendues… Le but, c’est de proposer des choses différentes, qui ont du caractère. Dans cette perspective, j’apprécie particulièrement l’hybridité, la collusion d’influences, pour pousser la musique plus loin. Powell, par exemple, trace sa voie en entrechoquant techno et post punk, et il en ressort quelque chose qui lui est propre, quelque chose de novateur et de puissant. Idem pour Gatekeeper, qui jouent avec la trance, le post internet, des voix baroques pour un résultat qui leur est super personnel. Amnesia Scanner, un de nos deux ajouts de dernière minute avec Labanna Babalon, a aussi une identité bien marquée. Il s’inscrit dans une scène, le grime, mais avec une sensibilité et une approche bizarres, bien différentes de beaucoup de producteurs grime qui sont assez interchangeables. Même démarche personnelle pour S S S S, un lucernois qui vient avec son idée de misant(h)ropical rave.

Musiques diverses: électronique, pop, expérimentale, performative. Y-a-t-il encore de la place pour des formations classiques, guitares-basse-batterie?
Samuel Antoine:  Ce n'est pas un choix délibéré d'avoir exclu des groupes à formation guitares-basse-batterie de la programmation. C'est plutôt le fruit du hasard, et, il faut le dire, le reflet d'un certain état de la production musicale actuelle, plus aventureuse, plus défricheuse peut-être en dehors du format guitares-basse-batterie. Mais ce qui guide nos choix, c'est moins le set up d'un groupe ou d'un artiste que ce qui est produit, la musique qui en sort.


Les arts visuels des Urbaines

m j est cette année commissaire des expositions d'arts visuels aux Urbaines 2014. L'espace M J que tu gères à Genève est bien connu des lecteurs de Think Tank, mais peux-tu décrire en quelques lignes ses activités?
mj: m j est un projet à but non lucratif qui s’intéresse aux pratiques contemporaines autour de la musique et de l’art. Le format, la durée et le support des événements varient en fonction des invités.

Parle-nous quelque peu de "Offspace Garage"… Si je lis l'intitulé du programme: en constante évolution sur le week-end (il) réunit six espaces d’art indépendants, suisses et internationaux, ainsi que les interventions de plusieurs jeunes artistes suisses. Quels sont ces espaces, et que va-t-il s'y passer
mj: Dingum (Berlin), Forde (Genève), HHDM (Vienne), M/L Artspace (New York), Shanaynay (Paris), UP STATE (Zürich) présenteront chacun leur projet, parfois en collaboration avec d’autres artistes. Tous ces espaces se connaissent pour la plupart et vont être présents, sauf pour les New Yorkaises de M/L Artspace avec lesquelles nous avons travaillé à distance pour leur installation. Offspace Garage, tout comme les intervenants qui vont y prendre part, fonctionne très organiquement, il faut donc s’attendre à des actions spontanées et imprévues. En parallèle, j’ai demandé à cinq artistes d’intervenir sur le lieu en réfléchissant à son ergonomie et en considérant également l’accueil des offspaces. 

Les arts visuels ont toujours bénéficié d'un traitement de faveur aux Urbaines, avec quelques lieux exceptionnellement ouverts pour l'occasion (on pense à l'année passée et ses Halles aux Locomotives ou encore à l'entier de l'Espace Arlaud). En 2014, les configurations, si elles sont plus convenues, se prêtent parfaitement à la pluridisciplinarité. T'es-tu inspirée des lieux à disposition (G-60, DémArt, TILT, mais aussi l'Arsenic, traditionnellement dévolu aux Arts vivants) pour ouvrir le spectre artistique? 
mj: Je dirais que l’idée d’ouverture est d’avantage liée à une posture plutôt qu’à une architecture. Le lieu influence évidemment la façon dont un projet est conçu, mais ce n’est qu’une donnée parmi tant d'autres. 

Ta programmation repose sur des invitations faites à d'autres espaces de s'associer au programme des Urbaines. Dans le même temps, elle consolide les liens tissés avec certains artistes à M J (Pauline Beaudemont, Oraibi Books et sa fondatrice Ramaya Tegegne dans le cadre de "Bootleg Library" – et d'autres?), est-ce correct? Comment se sont créées ces nouvelles collaborations, associées à d'autres plus étroites?
mj: Tout se fait assez spontanément, je ne pense pas vraiment aux personnes avec lesquelles j’ai déjà collaboré ou pas, mais plutôt à l’instant t. Je réfléchis à des combinaisons par rapport à un contexte particulier, et des noms surgissent. Après c’est plutôt simple, j’écris des emails, et j’attends les réponses. 


Néanmoins, l'accent est traditionnellement mis sur une programmation d'artistes visuel suisses, n'est-ce pas? Je me souviens de l'an passé avec la venue en tant que commissaire d'exposition de Chri Frautschi, aux commandes de l'espace biennois Lokal Int (associé aux membres de Rodynam). Dans son sillage, c'était une véritable processions d'artistes suisses alémaniques, parfois inconnus du public romand. Dans quelle mesure as-tu tenu compte de cet aspect du festival?
mj: Easyjet permet d’envisager plus facilement des collaborations internationales, il faut en tirer parti!