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Illustration: Cheatin' (Les Amants électriques) de Bill Plympton |
Lewis est un rigolo. Lorsque Philippe Duvanel, directeur artistique du
festival, le présente au public lors de la cérémonie d’ouverture du festival,
il n’attend pas et décide de monter sur scène avant même que son compère n’ait fini son discours. Lewis s’empare du micro nerveusement : « je n’aime
pas qu’on me dresse le portrait ». La salle applaudit, on lui offre des
fleurs ; « j’échange volontiers mon bouquet contre une plaque de
chocolat ». On rigole, Lewis pas trop. En fait, à l’image du canard dans
lequel il se représente dans ses histoires, l’auteur de La Mouche, Lapinot ou Donjon, ne joue pas à un jeu. Il est ainsi, anti-prix, anti-célébration,
anti-tout. Quand on lui demande s’il ne voudrait pas un jour rentrer dans le
monde du cinéma, il répond que c’est difficile car il faut de l’autonomie et
aimer les gens ; et qu’ils n’aiment aucun des deux.
Deux films au programme de cette soirée d'ouverture de BD-Fil 2014 : Imbroglio dont l’histoire est inspirée
d’une bande dessinée de Trondheim (c’est assez réussi) puis, le très attendu Cheatin’, Grand Prix du film d’animation
d’Annecy cette année.
Trompé
Cheatin’, ou Les Amants électriques en
vf, est un objet étrange. Septième film d’animation de l’américain, il présente
brutalement et sans effets inutiles l’adaptation pure du travail d’un bédéiste
au cinéma. Sur grand écran, le film donne le vertige, il bouillonne de partout,
on se croirait dans le rêve d’un fou qui, amoureux de son art, aurait tout
quitté pour s’y laisser emporter. Si l’histoire n’a rien d’extraordinaire,
c’est bien au niveau de la machinerie et du rendu que le film d’animation
étonne. Véritable coup de poing cinématographique, il est difficile de ne pas
être ému, dérangé ou touché par ces images. Rien est en mouvement juste pour l’être,
les traits semblent vivre, les personnages déchirent l’écran. Par moments, on
croirait revoir les meilleures parties de The
Wall sans tomber dans le pathos. Le nœud de l’histoire est simple :
on parle d’amour, de fausse trahison, d’infidélité déclenchée par erreur, de l’Amérique
pure, de la rencontre et même, peut-être, de Coney Island et donc de nostalgie. Ou comment les
attractions et l’homme s’unissent et se détruisent dans un mouvement
électrique.
Trondheim
Pour revenir à la bande dessinée pure, celle qu’on lit de gauche à
droite en tournant des pages, revenons sur Trondheim. Né en France et fondateur
de l’Association, il fait partie dès le début des années 1990 à une nouvelle
génération de franco-belge désireux d’apporter un peu d’air au mouvement bédéiste
dont ils ne sont pas encore les chefs de fil. C’est avec Lapinot
et les carottes de Patagonie qui sort en 1992 que Lewis commence à faire
parler de lui. C’est dans cet album – dont il commence l’écriture sans
connaître la fin – qu’il invente un personnage fétiche qu’il reprendra plus
tard dans une de ses séries les plus populaires. Trondheim s’entoure parfois de
collaborateurs comme Joann Sfar avec qui il créé le série-monstre : Donjon. Projet ambitieux et impossible,
celui de créer une série de plus de 200 albums qui raconterait l’histoire d’une
forteresse et de ses résidants. Récemment, il sort chez Dupuis – l’une des plus
importantes maisons d’éditions en bande dessinée – Ralph Azham : une série non loin de l’environnement de Donjon, plus simple dans sa narration,
mais qui remporte un succès public depuis 2011 avec déjà cinq albums à se
mettre sous la dente (le n°6 paraîtra cette année).
Si 2014 marque la venue de Trondheim à Lausanne cette date a, qu’il
le veuille ou non, une signification particulière dans sa biographie puisqu'elle coïncide avec l’année où il décide, avec son compère Sfar, de mettre un terme à Donjon. Série mythique qui comprend
elle-même cinq séries internes, ce projet fou voit sa fin venir, après quatre ans de silence. La Fin de Donjon est
accompagné d’un deuxième album, sorti en même temps, Haut Septentrion. Dans ce merveilleux double-album, Trondheim et
Sfar ont offert aux fans un énième voyage au cœur du monde qu’ils avaient créé
il y a 15 ans. Et quand on lui demande pourquoi avoir choisi de terminer, sa
réponse est nette : « Donjon
nous a clairement dépassé ». BdFil rend donc hommage à ce petit monstre de
la bande dessinée avec une exposition labyrinthique sur son œuvre, à découvrir
ce week-end à l’Espace Romandie (www.bdfil.ch).
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